• Le mot picard1 signifie en picard « piocheur », au sens de laboureur. Les Parisiens appelaient « piocheurs » tous les agriculteurs vivant au nord des zones forestières du Senlisis et du Valois (où les paysans étaient bûcherons), et dans le Nord on appelait « Picards » tous ceux qui ne parlaient pas le flamand : Arras, Boulogne, Calais, Tournai étaient des villes « picardes ». Charles du Cange (1678) évoque quant à lui une origine géographique. Venant de Picquigny, anciennement noté Pinkeni, Pinkinei, Pecquigny, se trouve mentionné en 942 sous le nom de Pinquigniacum, et sous les noms de Pinconii castrum en 1066 et de Pinchiniacum en 1110. Ce bourg, baronnie de « franc alleu », avec son château, « car le chasteau Piquigny eut jadis la Seigneurie de tout le pays jusques à la mer d'Angleterre, pour ce de Piquigny fut Picardie nommée. »2

    Dans le Dictionnaire universel françois et latin de Trévoux (de 1771, tome 6, p.751), on lit : « PICARD, PICARDE. s.m. & f. Qui est de Picardie, Province de France. Picardus, a. Les Picards sont bons soldats. On dit un bon Picard, pour dire, une homme droit, tout rond, qui n'entend point finesse. Homo rectus & simplex.

    « Le nom de Picard n'est pas ancien. Il étoit pourtant déja en usage dans l'onzième & le douzième siècle. Quelques-uns croyent que ce mot vient de pique, dans la basse latinité pica, nom d'une arme, qu'autrefois on disoit Picquenaires, comme on dit aujourd'hui Picquiers ; que de-là on a fait Picard, & qu'on a donné ce nom aux gens de cette province, parce qu'ils ont été les premiers qui se sont servis de piques à la guerre. D'autres croyent que ce mot vient de picquer, pris au sens de choquer, offenser, & qu'il fut donné aux habitans de cette contrée, parce qu'ils se fâchent, se choquent, se piquent aisément du moindre mot qu'on leur dit, & qu'ils sont fort sujets à des piques & des querelles. C'est le sentiment de Valois, Not.[itia] Gall.[orum] p. 447. Il croit que ce mot leur fut donné d'abord dans l'Université de Paris, où les Écoliers pour reprocher aux Écoliers de ce pays leur humeur querelleuse, & qui se piquoient de tout, les appellèrent Picards : de l'Université, cet usage passa dans toute la France. Quelques-uns ont crû que ce mot venoit de pica, une pie, oiseau opiniâtre, colère, criaillard, qui poursuit à coups de bec ceux qui l'agacent, & qui ne quitte point prise, image naturelle, à ce qu'ils prétendent, du caractère des Picards. Valois soutient que l'autre étymologie est la véritable, & le prouve, parce que par la même raison les voisins des Picards, qui ont le même défaut, ont été appelés Flamands, de flamme, comme si l'on vouloit dire, qu'ils prennent aisément feu. Il ajoute que la terminaison ard, s'est donnée dans notre langue aux mots qui marquent l'humeur, le caractère, & des défauts ; témoins languard, babillard, bavard, boutard, goguenard, musard, paillard, bâtard, trichard, guichard, gistard, louchard, cornard, faitard, gaillard, couard, &c.

    «  D'autre part, mon village est plein de gros manans,

    «  Picards en apparence, & dans le fonds Normans.

    SANLECQUE. »

    Le Dictionnaire de Godefroy donne pour picart les sens de « aigu, piquant » (Item pour demi cent de claus pikars ; Archives de Tournai) et par analogie « sorte de clou » (Dellivré audit Jehan d'Esvigny trois cens de cloux picart et deux cens de demy picart ; Archives de Mézières).

     

    À Paris, le néologisme picard fit florès à partir du XIIIe siècle, parce qu'il associait en un jeu de mots la pique et une province réputée pour sa hardiesse militaire (sa milice s'était illustrée à Bouvines en 1214, quelques années avant l'apparition du mot). La première occurrence dans l'histoire nous vient d'un nom d'un croisé mort à Jérusalem en 1098, Guillaume Picard : « Willermus Picardus, et Guarinus de Petra Mora, primus jaculo, alter obiit sagitta » (on y perdit encore Guillaume le Picard, et Guérin de Pierremore ; le premier d'un coup de javelot, le second d'une flèche).3

    Il perdura dans ce sens, picard, piocheur, tête de pioche, les siècles suivants à cause du caractère montré par les Picards, dans leur attachement aux libertés communales acquises par les villes drapières défendues par une milice bourgeoise. Les étudiants des diocèses de Beauvais, Noyon, Amiens, Laon, Arras, Thérouanne, Cambrai, Tournai, ainsi qu'une partie des diocèses de Liège et d'Utrecht formaient à Paris, Orléans et Bologne la « Nation Picarde » (natio Picardorum). Celle-ci représentait les domaines linguistiques picard et flamand. Les autres nations à Paris étaient la française, la normande et l'anglaise. Dans le Chartularium Universitatis parisiensis, on trouve des traits picards, même dans les texte latin (Willermum pour Guillermum).

    Avec ce sens de tête dure, on peut citer la phrase : « Un Picard a la teste près du bonnet » dans Les Contes et joyeux devis de Bonav. des Perriers, nouv. IV4. Avoir la tête près du bonnet, signifie « être prompt, colère, se fâcher aisément pour peu de chose ». Notons que le mot caboche vient également du picard, et le dérivé cabochard (« opiniâtre, têtu ») est dans le même ordre d'idée.

    En Flandre, on désignait sous le terme wallon (du plus anc. wallec) la « langue d'oïl parlée dans les Pays-Bas », sans faire de différence entre le wallon et le picard. Arthur Dinaux et André Le Glay déclarent encore en 1832 : « ce qu'on appelle le wallon ou le rouchi n'est-il pas à quelques nuances près la même chose que le picard ? »5

    La première occurrence dans le sens de langue picarde date de 1235 quand Mathieu Paris évoque les violences des étudiants de l'Université de Paris : « Qui enim seminarium tumultuosi certaminis moverunt, erant de partibus conterminis Flandriae, quos vulgariter Picardos appellamus » (ceux du séminaire qui perturbait la lutte et qui ont été chassés, étaient des régions frontalières de la Flandre, que nous appelons communément Picard / en langue vulgaire Picard).6

    La première mention concernant la géographie est de Barthélémy l'Anglais, étudient à Paris en 1220-1230 et qui écrivit une sorte d'encyclopédie, traduite également en langue d’oc, espagnol, italien, flamand, De proprietatibus rerum (Livre des propriétés des choses) en 1240 dans laquelle il présente la Picardia comme une province de Gaule belge s'étendant depuis le Rhin jusqu'à la mer, et comprenant la haute Picardie qui jouxte la France au sud et la basse Picardie à la frontière de la Flandre et du Brabant au nord. Ses habitants parlent un « idiomatis grossi magis aliarum Galliae nationum » (une langue plus rude que celle des autres nations de France).

    Les mots pic et picaillon sont certainement préceltiques, mais leur origine est mal établie7, on y voit aussi l'onomatopée pikk, que l'on retrouve déjà en latin (lat. pop. *pīkkare « piquer, frapper » qui existe dans toutes les langues romanes, dont le catalan, l'espagnol, le portugais (picar), à l'exception du roumain ; en latin *piccus, « pic-vert », ou forme masculine de pica, « pie ») et dans les langues germaniques. De fait, pique (arme) et piquer, sont d'origine néerlandaise : pike est attesté depuis 1290.

     

    Les francs Picards8, quant à eux, sont les Picards du sud de la Somme, mais un Amiénois pourra se dire également franc-Picard. On disait aussi franc Gascon, franc Normand, franc Breton dans le sens de « courageux, ou ouverts, ou libre, à son propre compte », comme le franc-sayetteur. Une enseigne de cabaret de Lille portait le nom Le Franc-Picard. Un bois dans le domaine du château de Régnière-Écluse (dans la Somme à la frontière du Pas-de-Calais) s'appelle aussi Bois du Franc Picard. C'était aussi le nom d'un cheval rendu célèbre en 1846 pour ses exploits comme sauteur d'obstacle.

    Ainsi, comme on le voit, très tôt on a fait la différence entre ceux qui parlaient picard et ceux qui parlaient un autre dialecte d'oïl, mais la délimitation de l'endroit où ce picard été parlé était moins claire. Les noms de « pays picards », apparaissent dans le vocabulaire administratif au XVIe siècle, et le nom de « Picardie » au siècle suivant (institution du gouvernement de Picardie en 1483).

    1 Ce chapitre est basé sur l'article de Serge Lusignan et Diane Gervais, « Picard » et « Picardie », espace linguistique et structure sociopolitiques, août 2008 (http://www.u-picardie.fr/LESCLaP/spip.php?article250).

    2 Du Cange et al., Glossarium mediæ et infimæ latinitatis, Favre, Niort, 1883-1887, art. Picardia.

    3 Robert, le Moine, Histoire de la première croisade, in Collection des Mémoires relatifs à l'Histoire de France, chez J.-L.-J. Brière, Paris, 1824, Livre huitième, chap. V, p.449.

    4 Cf. Francisque Michel, Études de philologie comparée sur l'argot, Firmin Didot frères, fils et cie, 1856, p.62.

    5 Arthur Dinaux, Archives historiques et littéraires du nord de la France, et du midi de la Belgique, Tome II, Impr. de A. Prignet, Valenciennes, 1832, p.36.

    6 Matthæi Parisiensis, Monachi Sancti Albani, Chronica Majora, Edited by Henry Richards Luard, London, 1876, Vol.3, p.167.

    7 Henriette Walter & Gérard Walter, Dictionnaire des mots d'origine étrangère, Larousse, 2000 - Les couches lexicales au cours des siècles.

    8 Cette expression désigne aussi le Populus Canenscens (peuplier grisard) ou le Populus Alba (peuplier blanc), également nommé ypréau, blanc de Hollande, bouillard selon les régions françaises et aspen en Amérique.


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  • platiau : à Lille (vieilli). Il désigne à la fois la langue et les gens qui la parlent. Pierre Pierrard le décrit comme « un patois issu du picard, mais terriblement abâtardi, sans orthographe, pénétré et déformé par l'argot et le mauvais français ».1 Son origine semble être proche du terme « patois » (d'abord « agiter les mains [pattes] pour se faire comprendre », puis « jargon, parler ») et remonter au terme néerlandais platt « dialecte » (datant du XVIe siècle, d'abord dans le sens de « sans fioriture ») : « in goede platten duytsche », c'est-à-dire en langage intelligible, simple, familier, puis vernaculaire2, en face de la langue cultivée, caractérisée par ses emprunts aux langues étrangères (français, italien...). L'allemand l'a emprunté et désigne certains dialecte (Mundart) notamment le Plattdüütsch (ou simplement Platt, ou Niederdeutsch, « bas-allemand », expression datant de la deuxième moitié du XVe siècle, et désignant en néerlandais la langue des « pays bas »), mais aussi d'autres : francique lorrain (lothrénger Platt, lothrìnger Platt, platt lorrain, platt mosellan), Öcher Platt (dialecte francique ripuaire de la région d'Aix-la-Chapelle, Aachen en allemand, sur la frontière belgo-allemande), proche du Eifeler Platt (dialecte francique mosellan de la région de l'Eifel, entre le triangle Aix-Cologne-Trèves), même jusqu'au Plattdänisch (ou Sønderjysk, dialecte danois de l'ancien Duché de Schleswig, maintenant partagé depuis 1864 entre Danemark et Allemagne)...

    Le daru est le patois particulier des habitants de la paroisse Saint-Sauveur (quartier de Lille), majoritairement sayetteurs et dentellières et illustré par Alexandre Desrousseaux ou Brûle-Maison.

    1 Pierre Pierrard, Lille, Dix siècles d'histoire, Stock, 1979, p.146.

    2 Voir l'idée similaire dans le sens de deutsch (« allemand ») en allemand : deutlisch (clairement), deuten (signifier).   


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  • chti ou chtimi, ch'timi : dans le Nord, viendrait soit :

        • de chti (celui) et imi (et moi), explication retenue par Gaston Esnault dans Le poilu tel qu'il se parle en 1919 (« Ch', Ce, ti, Toi, mi, Moi, mots du Nord juxtaposés »), Fernand Carton et Henriette Walter, le Trésor de la langue française précise qu’il date d’avant 19, mais devient populaire durant la guerre pour désigner les gens du Nord. Pour désigner la langue, on peut le lire dès 1929 (lettre d’un Orléanais dans Martin et Martine, bulletin du Groupe de Lille de l'Association des anciens combattants du 1er R. I.). On peut lire un dialogue dès 1885 dans Chair molle de Paul Adam (1862-1920, Issu d'une famille d'industriels et de militaires originaires de l'Artois) qui semble indiquer qu’on jouait depuis longtemps avec la sonorité des mots : « - Oh ! ch’est ti qu’elle ravise comme nô. - Non, ch’est pas mi, ch’est ti. - A ch’t’heure, ch’est mi ? Hé t’es sot, ch’est ti, ch’est ben ti. Oh ! elle ravise cor ; comme elle t’a cher. » (deuxième partie, chapitre IV).

        • de l'équivalent du mot français « chétif », chti dans le sens premier de « méprisable, malheureux » dans l'expression interjective ch'ti-mi, « pauvre de moi ! ». Claude Hagège retient, avec le Robert, cette étymologie, rejetée par Fernand Carton disant que le lat. vulg. *captivus, a donné caitif, caitis « malheureux », avec le k dur caractéristique (chti est une prononciation bourguignonne ou champenoise de « chétif »), que l'on retrouve notamment chez Adam de la Halle dans Li Gieus e Robin et de Marion, et que l'anglais à emprunté sous la forme caitiff (comme nom et adjectif), utilisé encore dans la langue poétique et signifiant « lâche, misérable », et anciennement (comme nom) « captif, galérien »,

        • pour Albert Dauzat (Linguistique française, p. 295), d'une expression picarde, proprement ch't'i mi, « c'est-il moi ? ». Mais le Trésor de la Langue française précise que celle-ci n'est pas confirmée dans les textes.

    Ce qui est sûr, est que le terme chtimi s'est propagé durant la Première Guerre mondiale. Chti serait plus récent. Il désigne à la fois la langue (dès 1917) et les gens qui la parlent et semble avoir remplacé le terme platiau puisque Fernand Carton le décrit comme un « mélange d'accent du Nord, de patois plus ou moins déformé, d'argot et de français régional ».1

    Ce nom chtimi est devenu populaire, d'après Fernand Carton, grâce au succès du livre Les croix de bois de Roland Dorgelès (paru en 1919), écrivain picard, né le 15 juin 1885 à Amiens et mort le 18 mars 1973 à Paris. Il présente l'un des personnages Broucke ainsi : « le gars de ch'Nord » et, plus loin, le « ch'timi aux yeux d'enfant ». « C'est un sobriquet assez élastique dans son acception géographique. Au sud de la Loire, chtimi désigne ceux qui vivent au nord de Paris. Pour les habitants de la Somme, de l'Oise et de l'Aisne, le chtimi est un natif du Nord/Pas-de-Calais. Pour des gens de Montreuil-sur-Mer, du Ternois ou du Boulonnais, ce sont seulement les nordistes, Flandre maritime exceptée. »2

    Signalons que l'historien et romaniste allemand, Grottfried-Heinrich Mayer-Sülzenhofer, propose une autre origine beaucoup plus ancienne : le mot viendrait du latin superstitēs, « survivants » (pluriel de superstes, d'où vient l'italien superstite, survivant), du fait de l'étonnement des Romains à leur arrivé dans les régions de voir un peuple in hac regione impossibile victu (« vivre dans une région si stérile» du fait de la présence de marécage3, et en même temps copiae Romanae hostes impossibiles visu difficillime vicerunt (« leurs expériences douloureuses dans le combat avec un ennemi presque invisible du fait de l'obscurité, la pluie et le brouillard »). Robert Foissier dans son Histoire de la Picardie décrit de la façon suivante : « limons au paysage sans clôtures, sous-sol où domine la craie, altitudes uniformes de plateaux bas que rompent d'amples vallées aux eaux presqu'immobiles, emprise des exigences de la terre. » Le romaniste allemand aurait trouvé, déjà dans les sources ecclésiastiques latines, le terme superstites, raccourci populairement en stites, pour désigner ce peuple du Nord. Et l'origine du mot superstites se serait perdue pour désigner les Gentils (du fait de leur croyance superstitieuses, superstitiosus). Ou pour surnommer un commandant romain, pour le ridiculiser de sa défaite face aux stites. D'autres auteurs du Moyen-Age ont voulu le faire remonter au grec Styx (fleuve des enfers), et plus précisément à l'adjectif latin dérivé stygius (ceux de l'enfer).4 Ce stite serait devenu chti. Mais si on peut expliquer chtimi par le sobriquet repris durant la Première Guerre mondiale avec le mi caractéristique, on explique pas la disparition du -t latin, alors qu'un des traits typiques du picard est justement la conservation du -t latin, comme on le verra plus loin.

    1 H.Walter, Le français d'ici, de là, de là-bas, JC Lattès, Paris, 1998, p.266.

    2 Fernand Carton & Denise Poulet, Dictionnaire du français régional du Nord-Pas-de-Calais, Editions Bonneton, Paris, 1991, p.113-115.

    3 Ce dernier mot est un emprunt français au picard maresc, « marais » (du francique *marisk), mot dont on retrouve sous cette forme écrite dans un texte latin du XIe siècle, les formes mariscus, marescus sont attestées en bas latin dès le VIIIe siècle, marescagie en moyen-néerlandais (avec suffixe picard). « La Campine, le Brabant et les deux Flandres semblent des terres désertes, envahies par d'immenses marécages ou par d'inextricables forêts » (Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, vol. I, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.527), ce qui explique que « les plus anciennes stratifications onomastiques sont très mal représentées en pays flamand. Les cours d'eau s'y appellent toujours -beek, et très rarement -aha ou -aa, nom beaucoup plus ancien. Les moulins s'appellent toujours molen (du latin molina) et jamais quirn, et la combinaison de ces deux indications toponymiques est toujours Molenbeek et jamais Quirnach. Ce sont là des exemples qu'on pourrait facilement multiplier. Je me borne à noter, à la suite de Waitz, ce cartactère de jeunesse relative de la toponymie franque en Flandre. Elle peut être du IVe et du Ve siècle ; tout porte à croire qu'elle n'est pas du Ier, moins encore d'une époque antérieure à notre ère." (Kurt, p.473). « L'Escaut seul, parvient à vivifier les vastes solitudes de la Flandre, et tout le nord du pays, depuis Anvers jusqu'à Maeseyck, offre l'aspect d'un vaste désert dans lequel les Romains ne se sont guère aventurés. » (Kurt, p.527). « La mer pénétrait partout par de vastes estuaires. Le sol était formé d'une multitude d'îlots. Les abords de Saint-Omer étaient des îles flottantes ; il n'y a pas longtemps que la dernière s'est fixée. Les noms de broeck et de meer, si fréquents dans la toponymie de ces régions, donnent une idée de leur caractère marécageux. Ce que les eaux laissaient à la terre était pris par la forêt. » (Kurth, vol. I, p.528). Signalons que l'origine du nom de Lille vient que la ville fut construite sur une île entourée de marécages.

    4 http://www.verbalissimo.com/main/offers/languages/romance/french/d_french_chtis.htm.


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  • rouchi : à Valenciennes, déformation de dourchi (d'ici) ou de drochi (droit ici, vraiment d'ici)1. On le dit parfois inventé par Gabriel Hécart, mais lui-même cite des auteurs qui l'ont utilisé avant lui (Gregoire d'Essigny fils, en 1811, notamment, et citons encore Jean de Bimard en 1732 et l'abbé Grégoire en 1794, même si ceux-ci le confondent avec le wallon). Mais c'est bien lui qui le rendit célèbre.

     

    1 C'est le sens de droit en ancien français (« vraiment, complètement, ici même, immédiatement ») que l'on retrouve encore chez Montaigne. La formule est courante chez Georges Chastelain, chroniqueur du duc Philippe II de Bourgogne, dit le Hardi : « Dame Imaginacion, tu as fait une resumpcion droit ci de douse couplès, cest homme droit ci, nostre nourrechon, confesse avoir fais, et d'iceulx tu prens en les sentences, attribuant au premier de tous : que droit là semble estre monstrée une repentance d'avoir bien fait. » (Exposition de George Chastellain sur vérité mal prise, in Œuvres historiques inédites, A. Desrez Libraire – Éditeur, Paris, 1837, p.538).


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  • wallon : la première attestation française (dans Les mémoires de messire Jean, seigneur de Haynin et de Louvegnies, 1465-1477, un Hennuyer) sous la forme Vallon désignée un « habitant de la région romane des Pays-Bas. » On le lit aussi chez Jean Molinet (1435-1507). Chez un autre Hennuyer, Jean Lemaire de Belges (1473-après 1515, on lit « nous autres Wallon » (dans son Illustration de Gaule et Singularité de Troie), en regard des Thiois, les peuples qui parlent une langue germanique : « Nous disons encores aujourdhuy la ville de Nivelles estre situee au Romanbrabant, à cause de la difference du langage. Car les autres Brabasons parlent Thiois, ou Teuthonique, cestadire bas Aleman ; et ceux cy parlent le vieil langage Gallique, que nous appellons Vualon ou Rommand. [...] Et de ladite ancienne langue Vualonne, ou Rommande, nous vsons en nostre Gaule Belgique : Cestadire en Haynau, Cambresis, Artois, Namur, Liege, Lorraine, Ardenne & le Rommanbrabant, & est beaucoup différente du François, lequel est plus modernes plus gaillart. » (Jean Lemaire de Belges, Les illustrations de Gaule, Imp. Jean de Tournes, Lyon, 1549, p.44).

    Le mot est issu de wallec, walesch, walesc qui était le « langue d'oïl parlée dans les Pays-Bas. » On l'imagine venir du néerlandais *walesch, *walec, lui même de l'ancien bas francique *walhisk. En germanique, *Walhoz désignait les « Celtes » (d'où la Gaule et les Gaulois) du latin Volcae, (les Volques) nom d'une peuplade celte voisine des Germains. Alors que les locuteurs de langues romanes, se qualifiaient de Romans (Romani), les Barbares (Barbari) nommés plus tard Teutons (Teutonici) désignent ces premiers sous le nom de Welches (Walahen).1

    Ce terme germanique a donné le mot welche, velche, sous lequel les les Allemands nommés les Espagnols, les Italiens et les Français, et sous lequel les Suisses de langue alémanique nomme encore les Suisses romands. De même, le welshe, ou welsche, désigne une dialecte roman parlé principalement dans la vallée de la Bruche, dans l'Ouest du Haut-Rhin. De même encore, les germanophones de Haut-Adige (Italie) appellent Walsche les Italiens et les Rhéto-Romans. Le nom de la Gaule, des Pays de Galles, la Valachie en proviennent également. Jean Ier, comte de Luxembourg, dit l'Aveugle partage en 1340 le comté de Luxembourg en quartier wallon / Walengassen (Orchimont, Bastogne, Chiny, Durbuy, Marche, Neufchâteau, Laroche, Virton en Belgique) et quartier allemand / deutschengassen (Arlon, Houffalize, Saint-Vith en Belgique, Longwy et de Thionville en France, région de Bitburg avec Saarburg en Allemagne et Luxembourg, Vianden, au Luxembourg même).

    Le suffixe -esc > -ois (qu'on a encore pour *walesc > gaulois ou *theudisk > thiois) est remplacé par le suffixe -on pour donner wallon (pendant un temps on trouvera wallin) et teuton (cf. en italien Tedesco pour « Allemand »). En 1900, Séraphin Simon écrit une Grammaire du patois wallon du canton de La Poutroye (Schnierlach), Haute-Alsace, le patois lorrain (roman), appelé maintenant plutôt welche, comme on l'a vu.

    Ainsi on appelle également la Flandre française, la Flandre wallonne (ou romane, ou gallicante), bien qu'on y parle picard, tout comme dans le Hainaut occidental, qui fait partie de la Wallonie, alors que c'est également la partie du pays dans laquelle on parle picard. On a proposé les termes de Wallonie picarde, de Picardie Wallonne, de Picardie hennuyère pour désigner le Hainaut occidental (le département de Jemmapes français de 1795 à 1814). Le premier terme semble maintenant l'emporter. Il comprend la région naturelle hennuyère (jusque Soignies au nord et à l'est, non compris, le sillon Sambre-et-Meuse comprenant la région Centre et le Bassin de Charleroi), donc : le Pays des Collines, le Pays Blanc (Antoing), le Pays Vert (Ath) et le Tournaisis. On considère qu'on parle encore le picard dans le Borinage (avant Mons et la région Centre) et en partie dans l'arrondissement de Thuin (entités d'Erquelinnes et de Merbes-le-Château, à la frontière de l'Avesnois). Dans la région Centre (Binche, entre Mons et le Pays de Charleroi), au Nord de la Thudinie (région de Thuin), on considère qu'on parle l'ouest-wallon, aussi nommé wallo-picard (ou picard wallon), où la langue picarde se fond de plus en plus avec le wallon. Le mot a longtemps servi à désigner le picard tournaisien, Joseph Sigart donne comme titre en 1870 à son dictionnaire : Glossaire etymologique montois, ou, Dictionnaire du Wallon de Mons et de la plus grande partie du Hainaut. Il dit même p.30 : « Le montois lui même qui arrive à Liége ne comprend pas plus que si l'on parlait sanscrit. Lorsqu'il s'est attaché à étudier la loi de transformation des lettres, autrement dit la prononciation, il s'aperçoit que c'est bien son patois qui se parle à Liège ». Frédéric de Reiffenberg (en 1832) parle lui du wallon-hennuyer.

    1 Cf. Gaston Paris, Romani, Romania, Lingua Romana, Romancium, in Romania, I, 1872, p.5.


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