• borain : Le Borinage est situé à l'ouest et au sud-ouest de la ville de Mons, à l'extrémité ouest du sillon Sambre-et-Meuse. La toponymie est picarde : le Quesnoy, Cu-du-qu'vau (hameaux de Wasmes), el Camp pierdu (hameau de Pâturages), el Campiau (hameau de Jemappes)... Le borain est marqué par le vocabulaire de la mine (une hypothèse de l'origine du mot serait le mot néerlandais boren, signifiant « forer, creuser »). « Frapper » s'y dit buskier (pic. buquer, wall. bouxhî), « froid », frod (pic. frod, wall. freûd), « fromage », froumâje (pic. fromache, wall. froumadje), « geler », djeler (pic. j'ler, wall. djaler), « jardin », gardégn (pic. gardin, wall. djårdin), « chemin », kemégn (pic. kmin, wall. tchmin), « tomber », kèyî (pic. querre, wall. tchaire), « feuille », fwèye (pic. feule, fwèle, wall. foye, fouye), « cendre », chinde, cinde (pic. chinde, wall. cinde)... Encore en wallon namurois, on dit uch « porte », mais ouf en wallon liégeois.

    La terminaison -eau du français et -iau du picard et -iâ du wallo-picard (-ê en wallon) est différentes d'une localité à l'autre, ainsi « morceau, couteau, os » : morchau, coutau, ochau, (à Quaregnon), morciau, coutiau, osiau (à Jemappes), morcha, couta, ocha (à Frameries), morcia, coutia, ocia (à Cuesmes)...

    Le mot « chapeau » est intéressant à retrouver d'un dialecte à l'autre, car il présente la palatalisation ou non du ca- latin et l'évolution différente du -ellus latin : chapiau (dans les dialectes du centre-ouest de France), capiau (en normanno-picard), capia (à Cuesmes), tchapia (en wallo-picard), tchapê (en wallon).


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  • aclot : ce terme désigne la variété wallo-picarde de Nivelles. On sort donc un peu de l'aire strictement picarde. Venant du francique Hanke, de Han (variante germanique de Jean) et suffixe germanique -ke et enfin le suffixe wallon -lot, Jean évoquant le Jean de Nivelle, pour Jean Ier du XIIIe siècle, et devenu le jacquemart de la cathédrale de Nivelles. Une chanson créée sur lui, à partir de l'expression "être comme ce chien de Jean de Nivelle, qui fuit quand on l'appelle", inspira la chanson Cadet Rousselle. L'abbé Michel Renard (Braine-l'Alleud 1829 - Bruxelles 1904) est l'auteur des Aventures dè Jean d' Nivelles, el fils de s' paire, poème épique (Froment, Nivelles, 1857, 71 pages, écrit en un sorte de premier r'fondu walon avant la lettre, puisqu'il utilisa plusieurs mots de toute la Wallonie) ainsi que de L'Argayon, èl djèyan d' Nivèle (Société Belge de Librairie, 1893, 156 pages, en patois de Nivelles). Situé à la rencontre du wallon namurois et du picard, on dit par exemple bèle pour « lune » comme en picard et non la bêté (« beauté ») comme en wallon. Cependant il ne tutoie jamais comme en wallon. La troisième personne du pluriel de l'indicatif présent est en -ont ( ex. Lès Nivèlwès, quand i 'l dizont, i l' fèzont), ce qui le rend différent à la fois du picard (en -tent) et du wallon (en -èt à Liège, en -ant à Bastogne, en -nut à Namur, et en -neut en carolo).

    En guise de mise en bouche pour ce qui concerne le picard, lisons Adelin Grignard, Phonétique et morphologie des dialectes de l'Ouest-wallon (H. Vaillant-Carmanne, Liège, 1908, dont Jules Feller fait la correction et le prologue où il dit : « Deux espèces appartenant à des genres différents, le rouchi, du domaine picard, et le namurois, du domaine wallon, s'y rencontrent et s'y entrepénètrent. Ce n'est pas un centre d'où les eaux gonflées s'avancent rythmiquement en ondulations successives, c'est un détroit où s'entreheurtent les derniers flots de deux mers opposées. » (p.4)

    Voici les traits principaux qui le différencient du wallon namurois :

    1° dans le vocalisme :

    a) le traitement de -atis, -atum, -adum en è (Brabant excepté) : tchantèz, prè, fossè, wè (vadum), dègrè, etc.

    b) la persistance absolue de l'a provenant de l'a tonique entravé : tchat, bras ; son allongement dans les formes en -aticum > -âdje : vilâdje, ouvrâdje.

    c) a devant bl donnant actuellement -âbe, non -auve : tâbe, misèrâbe, etc. Sporadiquement se rencontrent, il est vrai, trois formes anciennes en -ôle : tôle (table), stôle (étable), et banôle (inoccupé) ; mais elles constituent d'autre part une divergence d'avec le namurois pour le consonantisme.

    d) la prosthèse générale de è ou de i dans les mots commençant par le préfixe re ou par 2 consonnes, quand le mot précédent se termine par une consonne prononcée : èr'venu, èr'poser, ispène (épine), istôle (étable), etc.

    e) le traitement de l'o tonique ouvert entravé et de au en o : porte, fort, mort, cône "corne", côte, oze "[il] ose", r'poze, etc. ; de l'o protonique ouvert et de l'o tonique entravé en ou : nouvia, mouru, tout, roudje, crousse (croûte).

    J'indique encore rapidement l'hésitation entre o et â dans le traitement de ar + consonne : pârt, tchâr, ârbe, bârbe, lârme, etc. ; e ouvert libre donnant souvent iè et non î : pièce, cièl, Liège, pôpière, fièr, bière, liève (lièvre) ; oculum donnant î et oûy.

    2° dans le consonantisme :

    a) hésitation entre le traitement wallon et le traitement picard dans : tchambe (chambre) et cambe (boîte explosive) ; tchèssî (chasser) et cassî (chasser au jeu de balle) et cachî (chercher) ; tchètwère et catwère (ruche) ; astchèyance et askèyance (hasard) ; chorder (édenter) et scârder (entamer, entailler), scâr (entaille) ; choûter et ascouter (écouter) ; chôle, èschôle et èskèye (échelle).

    h) c, cc, xc, sc, traités comme en français ou comme en picard dans : pécher, Chârlèrwè, Châles, chateau, bouche, blanche, franche, èscorîye (fouet), èskine, skœr (secouer), scôrchî et scôrcî (écorcher), scôgne (écale), scwèle (écuelle), dèskinde, dèskirer, monkèt, scayon (échelon), scô (démangeaison ; fé scô ou scôpî, démanger), skèter (se fendre), scaper (échapper), scoupyî (ramasser à la pelle), èscoû (giron), rèscandi (réchauffer), èscume (écume) et ses dérivés.

    c) ti après les consonnes donnant parfois ch : conminchî, cachî.

    d) n n'influençant pas la voyelle précédente dans plène, grène, fontène, dérène (dernier).

    3° Morphologie :

    a) usage des pronoms possessifs : èm', èt' , ès' avec prosthèse d'une voyelle d'appui, uo, vo, èl uowe, èl vowe ;

    de l'article èl' (avec prosthèse également) ;

    de l'article indéfini in, ène ; absolu : yun, yeune.

    b) au présent de l'Indicatif, du Subjonctif et de l'Impératif, au futur simple ;

    1re personne du pluriel en on : tchantons, tchantonche.

    2e » » en èz ou éz étendue pour le Brabant-Ouest à la 1re et à la 3e conj., pour le reste de l'Ouest-wallon aux 3 conjugaisons : tchantèz, savèz, wèyèz ;

    au futur simple, les désinences du singulier comme en français : tchant'rè, tchant'ras, tchant'ra ;

    à l'imparfait de l'Indicatif au singulier, point de formes longues dérivées de -abam, mais eu ou è.

    Enfin, dans le vocabulaire, signalons l'intrusion de nombreuses formes françaises : jaune, encre, cuivre, huile, printemps, paix.

    Cela fait, j'ai dessiné suffisamment les traits qui différencient notre dialecte de ses voisins de l'est, wallons comme lui. Mais ces variantes laissent subsister la ressemblance fondamentale. Par elle, il s'affirme nettement wallon et, pour spécifier davantage, ille fait à la façon du dialecte namurois : c'est-à-dire qu'en plus des traits communs à tous les dialectes wallons, de l'Est et du Centre, il a les variantes qu'offre le namurois en regard du Nord et de l'Est-wallon (Liège et Luxembourg). (Au sud de la Sambre il présente pourtant quelques traits qui le rattachent au dialecte dinantais et à l'Est-wallon : è libre comme è + jod donnant parfois eu : deut, creu, dreut, reud. De plus la région Couvin-Givet à la 3e personne du pluriel du présent en è : i tchantèt, qu'i tchantèche, comme le Nord-Wallon).

    Citons : 1° la modification de a suivi d'une nasale libre par la labiale précédente : pwin, fwin, samwène ;

    2° la persistance de l'a tonique entravé : satch, atatche, glace, place ; comme dans -aticum > âdje : vilâdje, ouvrâdje, orâdje ;

    3° e + l + consonne donnant ia : bia, nouvia ;

    4° îy en hiatus et î + jod gardant l'î dans partîye, candjîye, vîye (vie), bièstrîye (bêtise), tch'vîye (cheville), èguîye, fîye (fois) ;

    5° -orium suffixe donnant wè (parfois wa) : murwè (miroir), sèmwè (semoir) ;

    6° u tonique donnant u : nu, cru, pièrdu.

    7° l'assimilation de la consonne sonore à la consonne sourde à l'intérieur du mot : tch'fô (cheval), tch'fœ (cheveux) ;

    8° c ou t intervocaliques + e ou i, avant l'accent donnent j : cûjène, plèji, nojète, vijin, d'jons, crojète (abécédaire), rûjî (aiguiser), pûjî (puiser), tîj'ner (tisonner) ; après l'accent donnent ch : dîch, chîch, nwèch (noisette), puch.

    9° ch résultant souvent de s initial : chabot, chûr, chufler, chèner (sembler), chîje (veillée) ; ou encore de sc initial parfois, de sc médial et final le plus souvent : pèchî, pèchon, fachî (emmailloter), pichî (pissé), crèche ([qu'il] croisse), conèche, vacha (vaisseau, cercueil), mouchon (moineau), finichons ; ou encore de x : bouchon, couche (branche), rèche (sortir) ; ou encore de ss + y : bachî (baisser) ; ou enfin de s + jod posttonique : tchèmîche, bîche (bise), grîche, cèrénche (cerise), binôche (bien-aise), èglîche, tandis qu'en protonique le même groupe s + jod donne j : môjon, cèrénjî, ôjîle (aisé), bôjî (baiser). Citons encore, en morphologie, les 3es pers. plur. des présents, qui avancent l'accent de deux syllabes : tchant'nu, voul'nu, etc. (pp.12-15)


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    Le picard est parlé dans les anciennes provinces de Picardie, d'Artois, du Boulonnais et de Flandre française en s'étendant jusque dans le Hainaut belge.

     

     

    L'aire d'extension du picard a peu varié depuis huit ou dix siècles. Il a cependant perdu sur le français au Sud (très tôt, certainement dès le Xe siècle) et au Sud-Est (vers la Champagne), il a perdu sur le wallon dans le Brabant wallon1. Le wallon gagne ainsi au début du siècle dernier Ecaussines (Ht). Mais le picard a parfois influencé les noms de communes wallonnes, ainsi Archennes (en néerlandais Eerken, en wallon Ertchene) fut appelé Arquennes au XVIe siècle encore. Marchin se dit Mårcin en wallon, et Jauchelette Djåçlete (si c'était le français de Paris qui avait influencé alors le wallon, on aurait tout simplement franciser par *Marcin et *Jaucelette). A Bruxelles, c'est le picard qui fut utilisé avant de subir une influence du wallon : ainsi en 1203 le pape Grégoire IX confirme la fondation d'une abbaye sous le nom de Chambre de Notre-Dame, celle-ci devient l'Abbaye de la Cambre (en néerlandais : Abdij Ter Kameren). Le Bois de la Cambre en prendra le nom. Citons également les monastères qu'a élevé la comtesse Ermesinde, fille de Henri l'Aveugle au Luxembourg portent des noms français : Bonnevoie (près de la ville de Luxembourg, devenu ensuite Bonneweg) et Clairefontaine (près d'Arlon). Cependant les chartes de Bruxelles utilisent le latin puis le flamand, Anvers et Louvain utilise le flamand. Malines pourtant a une charte, la plus ancienne, en 1267, en français, comme dans certains actes jusqu'au XVe siècle. A Enghien, le flamand et le français y sont employés. Même à Trêves et au Luxembourg, on utilisait le français mais alors sous une scripta lorraine (?) (Cartulaire de l'abbaye de Clairefontaine en 1256 ; Publications de l'Institut Royal Grand-Ducal de Luxembourg, t.XIV, p.85, n°100 ; Cartulaire de la ville de Luxembourg). De même la région de la Campine (en néerl. Kempen) du lat. campania à garder son consonantisme picard (la région Champagne à le même étymon latin).

    En 1355, la charte par Louis de Nevers, en flamand est remplie de mots français. Puis, les libertés communales nouvellement acquises par les classes populaires ne sachant que rarement le latin, et surtout la lutte prolongée de ces communes contre le roi de France, instaure une utilisation de plus en plus prépondérante du flamand, et ceci de façon consciente. Les luttes des provinces flamandes, de la fin du XIVe au début du XVe siècle, contre les ducs de Bourgogne, donnent un caractère particulier aux revendications de la langue flamande. Le français est alors considéré comme la langue de l'ennemie. La prise de possession par Philippe le Bon fait cesser ces questions, sauf au Luxembourg où il fallut lutter (en 1443, le duc prend d'assaut le ville de Luxembourg), par l'unification des Provinces des Pays-Bas, sous l'hospice de la langue française, avec un Conseil de Flandre à Lille. Mais on se servait alors fréquemment du flamand avec la population flamande. Et on transféra même plus tard le Conseil de Flandre à Malines puis à Bruxelles, donc en terre flamande. A partir du XVe siècle, la frontière linguistique ne bougera plus : Ypres édite ses actes en flamand, et hormis quatre ou cinq localités à la frontière, le flamand ne recule pas plus que le français ne gagne du terrain.

    Dans les comtés de Boulogne (sauf la ville de Boulogne), de Guînes et dans les environs de Calais, Dunkerque (dès le XIIe siècle), Saint-Omer (dès le XIIIe siècle), Mardick et Comines (dès le XVe siècle), Cassel (dès le XVIe siècle), jusqu'à la Lys marquant la frontière de l'idiome germanique d'avec l'idiome latin depuis l'invasion des Francs, la population était flamande mais les régents et la bourgeoisie furent très tôt bilingues, voire uniquement francophones. Cela ne fit que hâter la propagation de la langue française parmi toute la population de ces terres historiquement flamandes.

    A Ypres et en Flandre occidentale et dans le Furnes-Ambacht, les actes sont en latin jusqu'en 1250 environ, puis tous le long du XIIIe siècle, la scripta picarde est utilisée (le registre des keures, véritable palladium des libertés communales, portant le titre de Chest li livres de toutes les keures de le vile d'Ypres (Lambin, Notice sur les Archives d'Ypres, Annales de la Société d'Emulation de Bruges, t.I)), puis seulement au XIVe siècle, le flamand est utilisé de plus en plus en concurrence avec le français (en 1363, le livre des keures, orné de miniatures, se dit : Dit es de kuerbouc van der stede van Ypre), jusqu'au règne de Louis XIV.

    Sous Louis XIV, "le roi de la centralisation par excellence", nous dit Godefroid Kurth (Volume II, Livre Troisième, p.78), on interdit le 4 janvier 1685, l'usage de la langue flamande à Ypres et dans toutes les villes et châtellenies de la Flandre occidentale nouvellement conquises (le flamand s'y maintient cependant, notamment à Warneton, dans quelques actes jusqu'en 1750 environ). Le français pénétra ainsi jusqu'à Warneton, Comines, Reckhem, Ploegsteert, Houthem... D'autres édits de 1685 et 1700 appliquaient les mêmes dispositions à l'Alsace, ainsi qu'aux pays de Roussillon, Conflans et Cerdagne, où l'on parlait un dialecte catalan. Le but du gouvernement français était évidemment d'arriver à l'unité linguistique, symbole de l'unité politique du royaume.

    "On peut, sans crainte de se tromper, affirmer que l'extinction du flamand comme langue publique [dans le Pas-de-Calais et le Nord] était un fait accompli dès les premières années du XVIIIe siècle." (Godefroid Kurth, Volume II, Livre Troisième, p.80) Cependant il resta parlé au prône, au catéchisme, à l'école, jusqu'à la Révolution, après laquelle on remplaça les écoles religieuses par des écoles laïques où le français seul était enseigné. Au XIXe siècle, à Warneton, les enfants redisent encore dans leur jeux quelques strophes d'une chanson de Saint-Martin en flamand, mais dont il ne comprennent plus le sens : Sinte Martin 's avond / De tor gâ mee naer Gend, / Als myne moeder koeke bakt...2

    Un bilinguisme était donc de mise dans les hautes sphères des communes, plus souvent du côté flamand, mais aussi parfois du côté picard et wallon, ceci jusqu'à l'ère bourguignonne. Ce ne sont donc pas les ducs de Bourgogne qui les premiers ont introduit et imposé la langue française en Flandre (« Depuis la fin du XIVe siècle jusqu'à celle de l'ancien régime, on resta persuadé, dans les hautes régions du pouvoir, que ce n'était pas au peuple à apprendre la langue de ses gouvernants, mais aux gouvernants à savoir la langue de leurs peuples »)3, mais d'abord les Espagnols puis les Autrichiens au XVIIIe siècle (« C'est, chose curieuse, le gouvernement autrichien qui va, le premier, rompre avec la tradition séculaire, en parlant français aux échevinages des grands villes flamandes »4), et enfin les Révolutionnaires.

    Surtout le picard a gagné sur le flamand au Nord (surtout du XVIe au XIXe siècle). Les noms de communes en -inghem et -inghen sembleraient prouver une extension du germanique beaucoup plus étendue qu'actuellement, puisqu'on en retrouve aux environs de Lille (région des Weppes, dont le nom vient de ad vesperem (lat.) = au couchant, à l’ouest, sous-entendu de Lille) : Erquinghem-le-Sec (Erkegem en néerlandais, langue que l'on parlait encore en 1230 dans le village), Radinghem-en-Weppes (qui se trouve en Flandre romane (ou wallonne) et où le peuple ne parla pourtant certainement jamais que gallo-roman).5

    Le suffixe -heim est inégalement répandu : le Holstein et Lippe l'ignorent presque totalement ; la Flandre et la vallée du Rhin en présentent de nombreux exemples. En Angleterre, on le trouve dans un dixième des noms de lieux. « Les noms affectés de ce suffixe, plus ou moins modifié selon les prononciations locales (heim, hem, em, ghem, gem, ghen, ghien, ain, etc.), sont particulièrement fréquentes dans les Pays-Bas. Ils remplissent la carte de la Belgique depuis les provinces de Limbourg et d'Anvers, où ils prennent fréquemment les formes -um et -om, pullulent littéralement dans le Brabant et dans la Flandre orientale, et à gauche, dans le Hainaut et dans la Flandre française, des essaims assez nourris, pendant que le gros de la troupe se répand avec une abondance extraordinaire le long de la Lys et de l'Aa, jusque dans les environs de Boulogne, pour aller s'arrêter presque subitement au nord de la Canche, avant d'avoir atteint la vallée par laquelle cette rivière se fraye un chemin jusqu'à la mer.

    « Ce n'est pas seulement son extraordinaire diffusion, c'est encore la longue durée de son emploi qui fait du suffixe -heim une des caractéristiques de la toponymie thioise des Pays-Bas. Il y apparaît dès le Ve siècle dans les noms légendaires des trois localités où ont été élaborée la loi salique : Saleheim, Bodoheim, Widoheim ; six siècles après, nous le retrouvons vivant et fécond dans le Boulonnais, à l'extrémité méridionale de la terre franque, où un seigneur du nom de Helbolo laisse son nom au village de Helbodeshem. »6 mais aussi dans Westrehem (62) ou en association, dont voici la liste des possibilités :

    -inghen dans l'arrondissement de Boulogne ;

    -inghem dans celui de Saint-Omer ;

    -inghien et -inghem dans celui de Lille ou Cambrai ;

    -ent (Brexent, Beussent, Norrent-Fontes, Ecocuffent...(62)) ;

    -inghen : possessif, puis patronymique, donc l'homme de quelqu'un, et plus part, son fils ou son descendant. « Tous les gens d'un même chef portaient son nom : les fils, les vassaux, les esclaves, les sujets de Merovech s'appelaient (au pluriel) Merovechingen, ceux de Lothar s'appelaient Lotharingen. Voilà comment sont nés trois groupes de noms distincts : 1° plusieurs noms de peuples : les Thuringen, les Astingen, les Silingen, les Tervingen, les Lotharingen, les Karlingen ; 2° des noms de dynasties : les Merovingen, les Karlingen, les Amalingen, les Agilolfingen, qui pourraient bien avoir été tous, dans l'origine, étendus aux peuple sujets de ces dynasties ; 3° une innombrable quantité de noms de familles qui, fixées sur un point du sol, lui ont laissé leur nom ».7

    -suff. lat. -inium (gaulois -inio) a été traduit en -inghen, puis est redevenu -in, -ain (très courant dans le Tournaisie et le nord de la France) : Crespin, Couvin, Denain, Espain, Châtelet (anc. Chatelin) et Châtelineau (diminutif du précédent)... (ailleurs -ay, -aye : Liège : Amay, Hesbaye, Jehay...). Kurth, pour l'expliquer, pense à une colonisation germanique en masse, à l'époque de la conquête du pays par les Francs.8

    -ignies est courant dans le Hainaut et le nord de la France est du germ. -ingen : Brandignies, Gondregnies, Guignies, Mervergnies, Ottignies, Papignies (Ht), Baudignies, Mecquignies, Mérignies (59)

        • ou du gallo-roman -iniacum (lat. -inius) : Battignies, Goegnies, Gougnies, Harmignies, Montignies-Saint-Christophe, Soignies, Trazegnies... (Ht), Ligny, Montigny, Sassegnies, Wargnies, Aubignies, Selvigny (59)...

           

    Les Saxons auraient été déjà présents lors de l'invasion franque du Ve siècle, donc dès le IIIe siècle (les Romains disaient pour désigner la région Littus Saxonicum « littoral peuplé et colonisé par les Saxons »), et particulièrement lors de la mission du Ménapien Carausius, en 286, de protéger la côte septentrionale de la Gaule, à partir de Boulogne. N'y réussissant pas, Maximien ordonne de la tuer, mais il s'enfuit et s'empara de la Bretagne et force l'empire de signer la paix avec lui. Il était en effet de son intérêt à rester maître du rivage situé en face de lui.

    Les invasions vikings ont donc lieu par les côtes. En témoigne encore la toponymie de la Flandre à la Normandie, où une petite quantité de villages a été fondée par des Saxons, descendus du sud du Danemark (le Holstein ou Holsten en danois). Ils traverseront ensuite la Manche pour coloniser la Britannia (Wessex, Essex, Sussex et Middlesex signifient Saxons de l'Ouest, de l'Est, du Sud et du milieu ; certains voient aussi dans plusieurs noms de villes une origine saxonne, mais on peut plutôt supposer le latin saxum, « roche, rocher, roc », saxa, pluriel de saxum pris pour un féminin), et seront en partie rejoint sur le continent par les Francs saliens aux Ve siècle.

    Ces villages saxons ont la particularité de se voir affubler du suffixe -thun aux environs de Boulogne, le long du littoral ("habitation, ferme-enclos, établissement")9 : Alincthun, Audincthun, Baincthun, Frethun, Landrethun-le-Nord, Landrethun-lez-Ardres, Offrethun, Pelingthun, Verlincthun... On compte aussi Warneton/Wasten (commune sur la frontière franco-belge). Peut-être le premier élément de Dunkerque en Flandre. -ton, -tun dans le Boulonnais est combiné à -ing, donne -incthon, -incthun (-ington en Angleterre) : 42 localités dans le Boulonnais et des doublets des deux côtés de la frontière : Alencthun / Allington (Kent), Colincthun / Collington (Sussex), Todincthun / Toddington (Bedford), Frethun / Freton (Norfolk)... mais aussi en France Audincthun / Audinghen, Baicthun / Bainghen, Florincthun / Floringueselle, Tardincthun / Tardinghen, Warinchtun / Waringueselle... La colonisation saxonne concerne aussi la Normandie (Ronthon, Cottun).

    On pense également que l'élément -bourg dans la toponymie du Nord de la France a été introduit vers le Ve siècle et est d'origine saxonne10 : Bourbourg, Lisbourg, Richebourg (62), Bours (59) ; Espaubourg (60) ; Estaimbourg, Obourg, Ottenbourg (Hainaut), Ottenburg, Middelburg, Oudenburg, Bourg-Léopold/Leopoldsburg.... Idem pour le Bessin normand : Ricquebourg, Richebourg, Cherbourg, Cabourg, Jobourg, Jerbourg, Caillebourg....

    De même pour le suffixe -(h)am/-(h)em ou le préfixe (h)am- (ancien allemand hamma "méandre", ou allemand Heim "hameau" ; le suffixe -hausen est typique des Francs) : Ambleteuse, Drincham Abihen (commune de Lépine), Ham, Audrehem, Gonnehem..., peut-être Ames et Amette, Hames-Boucres..., dans le Nord-Pas-de-Calais ; Ouistreham, Étréham, Sudherham, Hemevez, Huppain, Surrain, Le Ham, Roches de Ham... peut-être Canehan, Grohan, Hambye..., en Normandie. Ham et Oostham, Hamme, Hamont, Berchem, Hemelveerdegem, Appelterre-Eichem, Broechem, Zichem, Pittem... en Flandre. Egalement en Angleterre, avec ces doublons : Nossegem (Brabant flamand) / Nottingham (Nottinghamshire), Loppem (Flandre occidentale) / South et North Lopham (Norfolk), Rotherham, Newham...

    Et aussi le suffixe -wyk (autant germanique que latin, commun à toutes les langues anciennes pour désigner "un village, une colonie", il est spécialement anglo-saxon11, en néerlandais -wijk) : Salperwick (62)(Salperwich, 1096, Salperwic, 1175) = NP germ. Selbericus + lat. vicus ; Austruy, Andruick dans le Pas-de-Calais ; Vicques en Normandie...

    Et encore les noms en -sel(e), -zel(e) (vieux germanique sala "lieu d'habitation", qui donne zaal en néerlandais et en français salle, salon) qui serait cependant d'origine franque uniquement, et des Francs-saliens particulièrement pour Godefroid Kurth), très nombreux en Belgique et dans le nord de la France : Basseux, Broxcele, Herzeele, Ellezelles, Andresselles, Audreselles, Lincelles, Bruxelles, Oldenzaal, Onkerzele, Strazele...

    -schott : Hautecôte (62), Hondschoote (59), du germ. Hundo + germ. schott «cloison, clôture» ; attr. de oïl côte ; Schoten (province d'Anvers, Scote 868) a pour homonyme Schoten, une ancienne commune des Pays-Bas et remonterait selon Gysseling (Toponymisch woordenboek van Belgie, Nederlands, Luxemburg, Noord Frankrijk en West Duitsland (voor 1226), Tongres 1960), au germanique skauti, « hauteur », terme également représenté au Luxembourg Schoos, en Normandie : Écots (Calvados, Escotum XIe siècle) ou Écos (Eure, Scoht ; Scoz 1060), etc.

    -hausen (-huizen) est par contre beaucoup plus rare qu'en Hesse ou en Oberlahngau.

     

    Voici d'autres éléments d'origine germanique :

    -lar ou -laer le plus anciens : Huclier (62), Hucqueliers (62), Lillers (62)...

    -steen (pierre) : Estaimbourg (Ht), Estaimpuits (Ht) ;

    -hove : Westhove, com. Blandecques, Westrehove, com. Surques, Zuthove, com. Quelmes,

    -kerk (particulièrement le long de la côte en Flandre, montrant son caractère récent) : Mavenquerques (62), Saint-Marie-Kerque (62), Steenkerque (Ht), Oisquercq (Br)...

    -beek (-bach en allemand, mais Godefroid Kurth précise qu'il est fort probable que le mot beek fut emprunté par le gallo-romain, en témoigne plusieurs Le Becque, comme nom de ruisseaux de l'arrondissement de Saint-Omer, le mot est aussi cité par Hécart (vol.I, p.416-17))(forme latine : -baccus parfois -bacia, -bisia, et en diminutif -baciolus)12 :

    -baix, -bais (Belgique et Picardie) : Corbais (02), Lambais (02), Fleurbais (62), Roubaix (59), Lobbes (Ht), Rebaix (Ht)...

    -bise (de -bisia)(Hainaut) : Jurbise, Lombise, Straubise, Tubise,

    -biseul (de -baciolus)(Belgique) : Corbiseul (Ht), Lombisoeul (Ht), Robiseul (Ht)...

    -becq (Nord et Pas-de-Calais, frontière linguistique) : Aubecq (Ht), Bambecques (62), Le Becque (62), Belbet (62), Bousbecque (59),

    -born (-brunn) (source) :

    -bourne (nord du 62, d'origine francique) : Courtebourne (62), Floquembourne (62), Lostbarne (62), Timborne (59)...

    -bronne (sud du 62, d'origine alémanique, entrée dans la langue gallo-romane, voir La Bronne, affluent de la Grande-Geete et affluent qui se jette dans la mer près de Dannes (arrondissement de Boulogne) ; le Molin de Bronnes à Arras au XIIe s. ; Le Brogne, commune de Remy ; Brogne, village de la province de Namur, et le Burnot ruisseau qui a donné son nom à la commune) : Caudebronne (62), Thiembronne (62), Hellebronne (62)...

    -brune (sud du 62, d'origine alémanique) : Bellebrune (62), La Brunelle (62), Questebrune (62)...

    -stroom (cours d'eau) : Estrun (59), Etroeux (59), Etroeungt (59), Lestrem (59), Etrun (62), Etrenx (02)...

    -mar, -meer (flaque d'eau, étang) : Grande Meer (62), Marbais (Brabant)

    -water (eau) : Bédouâtre, com. Saint Martin - Boulogne, sur un affl. g. du Wimereux (62), breit « large » + water « eau, cours d'eau »,

    -voorde (wez en roman, passage sur l'eau, les marécages, pont) : Audenfort (62), Etienfort (62), Belle-et-Houllefort (62), Londefort (62)...

    -brique (-brugge, pont) : Le Pont-de-Briques (62), Cobrique (62), Stambruges (Ht)...

    -berg, -bergue, -bercq (mont) : Audembert (62), Autembert (com. de Wierre-Effroy, 62), Berguette (62), Berck-sur-Mer (62), Berck (62), Flobecq (Ht),

    -dal, -delle (vallée) : Dalles (62), Besdalle (62), Dippendale, com. Bouquehault (62), Dohem (62 de dal + heim),

    - le rapport avec le bois est constant :

    - loo, lo, -el, -le, -l (loh, particulièrement franc salien, jamais sur un nom propre de pers. ce qui atteste de son ancienneté d'utilisation) : Averlot (62), Beaulo (62), Hardelot (62), Pont-de-Loup (Ht), Clenleu (62), Watterlos (59), Watrelos (Ht)...

    - holt, hout (holz, en haut allemand -wald) : Avroult (62), Bécourt (62), Bouquehault (62), Ecaut (62), Westhécourt (62), Houthem (Ht)...

    - aski (chêne) : Acq (62), Aix en Issart (62),

    - Esquerdes (62)(Squerdia, 857 ; Suerdes, XIIe s. ; Squerdes, 1166) = pl. de germ. *skarda, qui a donné oïl pic. eskerde « écaille, copeau, piquant de hérisson » (FEW, XVII, 96b), peut-être pour désigner un terrain hérissé de buissons ;

    - gault (wald) : Les Gault (02), Mainvault (Ht), Wault (Ht), Mirvaux (80)...

    - bosch (busch) : Witembus (62), Le Bucq (62), Le Bucquet (62), La Bouquelboisque (62)...

    - wide, wede : Colwide (deux dans le 62),

    - waber (forêt) : Wavre (Brabant, Luxembourg), Wabern (près de Kassel), Wabern (en Suisse, près de Berne), Wawern (près de Trèves), Wavrans (Pas-de-Calais), Wavrechin (Nord), Wavrin (Nord), Wavreille (Namur), Wavremont (Namur et Liège)...

    - rode, rade, riete, reute, reuth, -ert (sart) : Le Roeulx (Ht), Broqueroie (Ht), Familleureux (Ht)...

    - champs :

    -veld, -vert, -fault, -vaut, -faut : Pittefaux (62), Wingrefaut (62), Saint-Inglevert (62), Le Quervet (62)...

    -land : Garbeland (62), Hardiland (62), Hodelant (62),

    -acker (germ. d'origine latine ager) : Lacres (62), Denacre (62), Landracre (62), Le Renard (Outreau, 62)...

    - Wastine (terrain inculte) donne Wattignies ;

    -straet (rue) : Hollestraet (Lecques et Ecques), Nordstraet (Eperlecques).

    - Franc : terre du Franc, des Francs (ou peut-être terre libre, ou localité ayant reçu des franchises, ou terre de Franco) : Francquier (Wannebecq, Ht), Franque Pierre (Outreau, 62), Franquesart (Wimille, 62), Franqueville (Honnecourt, 59), Frankeselle (Everbecq, Ht),

    - Saxons : terre du Saxon, des Saxons, (ou peut-être terre de Sassia, de Sasso, de Sassonia, de Sassius, ou de Sassonius) : Sassegnies (59, Jacques de Guyse raconte au XIVe s. la légende qui attribue la fondation de l'endroit à un chef saxon) (d'autres exemples en Belgique).

     

     

    Il y a donc eu recul, mais, depuis le Moyen-Age, cette frontière entre les aires romanes et germaniques, a très peu bougée. On note que le picard gagne Everbecq (au XIIIe s., Wisselingveld est traduit par Ghinselincamp, Hoogbosch devient Haut Bos, Plankkauter devient Couture de le Planke...), Bois-de-Lessines (peuplé par des Lessinois au XIe s. qui provoque la minorisation de la population flamande d'origine), Goy (même cas que la précédente), une partie de Petit-Enghien et Hoves (au XVIIIe s.), Reckem (aujourd'hui en Flandre-Occidendale, faisant partie de Menin où 44% de la population est francophone), Zandvoorde (aujourd'hui en Flandre-Occidendale également), Comines-Belgique, Houthem, Warneton, Ploegsteert (en Belgique, au XIXe siècle était encore flamand).

    Le flamand avait gagné du terrain à Mouscron au XVIIIe s.

    Le picard gagne, par contre, de grande étendue dans le Nord et le Pas-de-Calais. Au XIIIe siècle, entre Boulogne et Guines (canton de Marquise jusqu'à la frontière flamande actuelle), la région était encore majoritairement flamande (sauf à Boulogne cependant qui resta toujours latine, les Comtes de Guines au XIe siècle avait appris le français). Coyecques l'était également au XIVe siècle, alors que Herbelle ne l'est plus depuis le XIIe au moins. Saint-Omer (de langue germanique) était la frontière à l'est. Au nord d'une ligne droite de Boulogne à Saint-Omer, le pays était flamand. La ville de Calais, très anciennement était aussi flamande. Au XIIIe siècle, le canton d'Hazebrouck commence à se romaniser.

    Dans l'arrondissement de Lille, Halluin, Bousbecque, Comines-France était encore flamand. Le comté de Flandre (Ypres, Bruges, Gand) choisit le moyen-français comme langue administrative.

    « La rive droite de la Lys, avec toute la Flandre française au nord de Lille, et française dès l'époque où commencent à apparaître les noms des lieux-dits et les localités flamandes sont une exception rare dans cette région. Quant à Lille même, on peut affirmer sa romanité originelle ; le nom de Ryssel, sous lequel les Flamands la désignent, n'a de sens qu'en français, puisque Ryssel, abrégé de Ter Yssel, n'est que la traduction germanique de l'Isle. Aussi, un écrivain du XIIIe siècle pouvait-il dire, en racontant son arrivée à Lille au retour d'un voyage en Flandre :

    Nos ubi barbaricae post verba incognita linguae

    Sub quâ longa diu fueramus taedia passi

    Demum nativae cognovimus organa vocis.

    (Guillelmus Brito, Philippid, 1, IX, 581, édition de la Société de l'histoire de France) »13

    « A partir d'Aire-sur-la-Lys et tout le long de la rive droite de cette rivière jusqu'à sa source, à Lisbourg, et de là jusque dans les environs de Montreuil, les noms germaniques, sans être aussi nombreux que de ce côté de la ligne idéale de Saint-Omer à Boulogne, se rencontrent cependant en fort grande quantité, mêlés à des noms romans qui sont les uns plus anciens et les autres plus modernes. On peut, dans tous les cas, considérer comme pays germanique tout ce qui se trouve entre la Lys et la mer jusqu'à la Canche. »14

    Godefroid Kurth signale en 1895 qu'il y avait encore des flamandophones dans quelques villages du Pas-de-Calais (Clairmarais, Ruminghem, hameaux de Haut-Pont et de Lysel à Saint-Omer). Dans le Nord, comme flamandes, il cite le communes de Bailleul, Vieux-Berquin, Morbecque, Steenbecque, Sercus, Lynde, Eblinghem, Bavinchove, Zuydpeene, Noordpeene, Lederzeele, Wulverdinghe, Millame, Cappellebrouck, Looberghe, Brouckerque, Spycker, Petite-Synthe. En gros, la frontière entre le roman et le thiois va en ligne presque droite d'Arlon à Visé, et de Visé à Dunkerque.

    A Dunkerque, grand port, on ne parle plus flamand depuis longtemps ; cependant la région a développé son propre sociolecte, puisqu'on n'y parle pas picard non plus, mais plutôt ce qu'on peut appeler déjà un français régional, ayant subi l'influence à la fois des substrats picard et flamand.

    Il reste cependant étonnant qu'il y ait encore des noms d'origine picarde ou même flamand, car beaucoup ont été traduites en français : Valenchiennes devient Valenciennes, Ellezielle devient Ellezelle, Groote et Kleine Sinte sont devenus Grande et Petite-Synthe, Guienes est devenu Guînes (Giezene en flamand), Armentière est devenu Armantières (maintenant Armentières)...

    Hirson en Thiérache, du latin ericius, qui signifie « hérisson », en picard hirchon, a la forme Iricio, en 1136 dans le cartulaire de l'abbaye de Clairfontaine ou Terra Yricionis en 1187 dans le cartulaire de l'abbaye de Bucilly, puis Irezun (1183), Yrizun (1189) et Ericon (1234), on passe naturellement à Hirechon, Yrechun vers 1250. On retrouve Hyrecon, Ireson, Heircon, Heirson et Herson vers 1300-1400 sans interruption, sauf un Hyrechon dans le cartulaire de la seignerie de Guise de 1335. Signalons les compromis de Yrecon-en-Thiérasche, dans le même cartulaire en 1323 et de même un Yrechon en Therasche en 1379. A partir de 1400 on ne trouvera plus que le son -ss- francisé, alors que le nom de la Thiérache restera avec le -ié- du picard...

    Le nom de la ville de Chelles (en Seine-et-Marne, région Île-de-France), du bas latin cala, « abri sous roche, maison », issu du gaulois, lui même d'origine pré-indo-européenne *kal (cf. chalet). Au VIe siècle, mentionnée en tant que Villa Cala. En 580 Grégoire de Tours, historien, aurait utilisé le nom de Cala (désignant le mont Châlats) pour désigner le futur Chelles. Vers 632 Kalense, puis deux siècles plus tard, Calense et Calensis. Vers 811 Kala, puis, quarante ans plus tard, Cale. Kalas en 1026, Chela et Cale, au siècle suivant. Cela et enfin Chiele en 1346. Ce n'est qu'à partir de 1388 que le nom actuel de la ville apparaît progressivement : Chielle, puis Chelles Sainte Bautour, en 1550, Chelles Sainte Bathilde en 1672 et Echelle Sainte Bandour en 1788.

    Citons encore Carnetin (apparaît dans une charte d'Adèle reine de France en 1178 sous la forme Apud Carnotinum), Monceaux (dans l'Oise, a connu les variantes : Monceaulx, Monciaux, Montceaux, Monchaux, Mauciens en 1295 du latin Moncelloe), Cauffry (Oise, appelée Cauferei en 1104, Chauferi en 1218, Caufri en 1220 et Caufratum en 1250)... Que d'hésitations et d'hadaptations...

     

    Le patois picard est parlé sous différentes formes du Nord au Sud de la zone picarde. L' Observatoire linguistique dénombre treize variantes du picard :

      • laonnais (Aisne nord est)

      • vermandois (Aisne nord ouest)

      • noyonnais (Oise nord est)

      • amiénois (Somme et Oise nord)

      • vimeu (Somme ouest)

      • marquenterre (Somme nord et Pas de Calais sud ouest)

      • boulonnais-paysan (Pas de Calais ouest)

      • boulonnais-marin (Pas de Calais ouest)

      • calaisien (Pas de Calais nord ouest)

      • ternois (Pas de Calais centre)

      • arrageois (Pas de Calais sud)

      • ch-ti-mi (Nord et Flandre ouest)

      • hennuyer (Hainaut et Nord)

    Cependant la langue picarde est assez homogène et la variation phonétique est régulière, l'intercompréhension est donc généralement possible du nord au sud de l'aire de diffusion de la langue.

     

    1Marche-lez-Écaussinnes est maintenant dans l'aire wallonne, mais faisait partie du domaine picard au début du XXe siècle encore (Walther Wartburg, Hans-Erich Keller, Robert Geuljans, Bibliographie des dictionnaires patois galloromans : 1550-1967, p.27, note 10). Cependant le flamand perd aussi en faveur du français : « Louis XIV, par ordonnances de juin 1663 et de décembre 1684, rendit obligatoire l'emploi du français pour les actes publics et les procédures. L'édit du mois de décembre 1683, enregistré le 4 janvier 1684, au parlement de Flandre veut "que dorénavant il ne puisse plus être plaidé dans la ville d'Ypres et dans toutes les autres villes et châtellenies de la Flandre occidentale qu'en langue française ; défendons pour cette fin", ajoute-t-il, "à tous avocats et procureux de se plus servir de la langue flamande, soit pour les plaidoyers, soit pour les écritures, ou autres procédures ; et aux magistrats des dites villes et châtellenies de le souffrir, ni de prononcer leurs jugements qu'en langue française à peine de nullité et de désobéissance. » (L. de Simple, Envahissement de la langue française en Flandre (Ploegsteert, Warneton, Bas-Warneton, Comines et Houthem), p.43-44).

    2 Dans le dialecte de Westvleteren : Sinte-Moartens oavend, / de torre goa mei noa Gent, / En o' mien moedre koekschjes bakk'n. (Le soir de la Saint-Martin / Les étoiles vont à Gand / Pendant que notre mère cuit des gâteaux).

    3 Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume II, Livre Troisième, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.52-53.

    4 Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume II, Livre Troisième, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.54

    5 Cf. Henriette Walter, Le français dans tous les sens, Le Livre de Poche, p.140

    6 Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume I, Livre Troisième, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.256-57. -heim est de formation secondaire, "de celle qui commence avec les invasions et qui se prolonge au delà de Charlemagne" (Kurth, vol.I, p.529) et d'origine francique (les Alamans ne l'utilise que rarement, par contre -ingen (seul, sans -heim, -ing en Bavière et -ikon en Suisse, -ange en France et Luxembourg (Tihange se dit Tîhondje en wallon et Dudelange Diddeleng en luxembourgeois et Düdelingen en allemand ; Aubange, luxembourgeois : Éibeng/Ibéng, wallon : Åbindje, allemand : Ibingen ; )), -weiler (-willer en Alsace, -wyl ou -weil en Suissen, -villers en Moselle et Alsace), -beuren sont typiquement alamans et donc très rares dans l'aire picarde. Le Luxembourg présente les suffixes francs et alamans, c'est donc la zone tampon entre les deux peuples. -scheid est franc ripuaire, donc également rare (les Francs ripuaires sont à l'origine de l'avancée germanique à l'est de la ligne nord-sud depuis la rive droite de la Meuse jusqu'à l'extrémité méridionale du Luxembourg).

    7 Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume I, Livre Troisième, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.301.

    8 Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume I, Livre Troisième, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.322.

    9 Du germ. *tunaz, *tunan qui donne en allemand Zaun "clôture", en anglais town à l'origine "ville fortifiée" et en néerlandais tuin "jardin" ; en Ecosse, une ferme isolée s'appelle toujours toun, en Islande tun. En flamand de France (Bailleul), tün aurait encore le sens de "barrière d'enclos" (toe veut dire "fermé, clos").

    10 Voir les noms anglais sous la forme -bury, -borough, -brough, -burgh : Cadborough, Cadbury (cf. Le doublon Cabourg en Normandie), Dewsbury, Bury, Middlesbrough, Edinburgh, Bamburgh, Peterborough...

    11 Sous la forme -wich/-wicken en Angleterre : Greenwich, Norwich, Ipswich, Nantwich, Alnwick...

    12 D'autres mot d'origine germanique sont entrés dans la langue romance pour en disparaître par la suite : beek (ruisseau), bronne (source), warichet (canal d'irrigation, en flamand waterschap, en wallon werixhas, aisances communales) ; falise (rocher, cf. notamment Haute falise à Rinxent et Audrighem, 62 ; falaise vient en français du norrois par le normand), breux (de broek, bruch, cf. Dolembreux, Mangonbroux, Breucq en Hainait et d'autres, dans le Registre de l'église Sainte-Croix, du XIVe siècle, on lit "De Nedrehem usque ad locum qui dicitur Bruke teuthonice et gallice, latine ad paludes."), rode (sart, cf. le verbe déroder), leut (peuple), forrière, fourrière (de fodraria, foriara, du germ. voder, Futter, "fourrage")...

    13 Nous, chez les Barbares, après entendre une langue inconnue / sous laquelle, pendant longtemps, nous fumes las de la rudesse de la langue / nous entendions enfin les voix de ma langue natale. (Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume II, Livre Troisième, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.231-32.)

    14 Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume II, Livre Troisième, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.399-400.


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    Au Ier siècle avant notre ère, Jules César mène la Guerre des Gaules. Le nord de la Gaule est donc habitée par les Celtes, et pour ce qui nous intéresse, les Belges : un ensemble de peuples celtes et de quelques peuples d'origine germanique mais vraisemblablement celtisés.

    « Toute la Gaule est divisée en trois parties, dont l'une est habitée par les Belges, l'autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui, dans leur langue, se nomment Celtes, et dans la nôtre, Gaulois. Ces nations diffèrent entre elles par le langage, les institutions et les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine. Les Belges sont les plus braves de tous ces peuples, parce qu'ils restent tout à fait étrangers à la politesse et à la civilisation de la province romaine, et que les marchands, allant rarement chez eux, ne leur portent point ce qui contribue à énerver le courage : d'ailleurs, voisins des Germains qui habitent au-delà du Rhin, ils sont continuellement en guerre avec eux. » (Jules César, Guerre des Gaules, I, 1).

    C'est donc la division en de nombreuses factions qui fait la faiblesse des peuples de la Gaule.

    On a émis l'hypothèse de l'existence d'une langue belge. En tout état de cause, le celte des Belges est différent du celte des Gaulois. Ainsi le /p/ indo-européen s'est conservé (voir le nom du peuple Menapii, et la ville de Genappe, sur une racine *ab-/*ap-, désignant l'eau vive)1 ou a évolué en /x/ (voir le nom de l'Aisne, Axona). On note aussi la conservation du /kw/ (qui évolue généralement en /p/ en gaulois)(voir le nom de la Canche, Quantia). D'après Jules César, ils « se distinguent par leurs lois, us et coutumes et langues ».

    Les peuples celtes, les Belges (Belgae), de la région de l'aire picarde sont les :

    • Atrébates, qui vivaient dans ce qui correspondant approximativement à l'Artois et qui colonisèrent la Bretagne insulaire. Leur oppidum Nemetocenna (ou Nemetacon « le pays, le terrain appartenant au sanctuaire ») est devenu Arras,

    • Suessions (Suessiones de l'Axona (nom de l'Aisne, donc « peuple de l'Aisne »). Leur territoire se nommait le Soissonnais et sa capitale était Augusta Suessionum, Soissons, et ils sont très liés aux suivants,

    • Rèmes (Remi, les « premiers »), qui hormis en Champagne, avait un oppidum, le « Vieux-Laon », localisé à Saint-Thomas (Aisne), et qui pourrait être le fameux site de Bibrax, dont parle Jules César et près duquel il remporta en 57 av. J.-C. une grande et sanglante victoire contre les Belges coalisés,

    • Nerviens, leur capitale était Bagacum (gaulois *bagos hêtre, et suffixe -acum), Bavay, à l'est de l'Escaut, qui les séparait des Ménapes et des Atrébates,

    • Viromanduens (dont la traduction pose problème, « hommes-petits », « hommes-chevaux » (centaures), « ceux qui écrasent les hommes »), qui occupaient le Vermandois et donna son nom à Vermand, leur oppidum principal (et chef lieu durant le Bas-Empire, après Augusta Viromanduorum (Saint-Quentin) durant le Haut-Empire),

    • Morins (Morini, probablement le gaulois mori, mer, donc « ceux de la mer »), avec pour capitale administrative romaine (civitas) Taruanna, Terwaan en néerlandais qui deviendra Thérouanne en français. Leur principal port, Boulogne (Bononia), était également germanique à la fin du quatrième siècle, et ils sont à l'origine des premiers polders,

    • Bellovaques (Bellovaquii, « ceux qui luttent (bello) en hurlant (vac-) » ?), dans l'actuel département de l'Oise, qui ont donné leur nom à Beauvais, capitale fondée à l'époque romaine sous le nom de Caesaromagus, devenue Bellovacis au Bas-Empire,

    • Ambiens (Ambiani, « ceux qui sont des deux côtés » (de la Somme)), dont le chef-lieu était Samarobriva (pont sur la Somme, c'est-à-dire Amiens, nommé d'après le nom du peuple),

    • Silvanectes (Silvanectii, « ceux des forêts »), qui donnèrent leur nom à Senlis,

    • Véliocasses (Veliocassinus, « les bouclés » (casse), « modeste, honnête ou meilleurs » (velio-)), occupant le Vexin auquel ils donnent leur nom, cependant leur chef-lieu était Rotomagus, Rouen,

    • Vadicasses (Vadicassii), dont on ignore tout. On l'a longtemps confondu avec les Viducasses, les Véliocasses ou encore les Bajocasses. Ptolémée les situe « aux confins de la Belgique », d'autres au sud-ouest des Suessions ou à l'extrémité occidentale du territoire des Leuques. Le pagus gaulois des Vadicasses devient, sous les rois mérovingiens au VIIe siècle, le pagus Vadensis dirigé par un comites. Vadum devenu aujourd'hui Vez est le chef-lieu de ce pays. Sous les empereurs carolingiens au IXe siècle, ce pays ou district administratif se nomme Valesia.

    • Calètes (Caleti, probablement du gaulois caletos, dur), demeurant dans les actuels pays de Caux (auquel ils donnèrent leur nom), et pays de Bray.

     

    Les autres tribus belges sont les :

    • Leuques (l'oppidum de Nasium à Boviolles (département de la Meuse) semble avoir été un centre politique important et Toul en fut la capitale administrative),

    • Médiomatriques, dont l'actuel département français de la Moselle correspond à une partie de leur territoire,

    • Condruses (qui aurait légué leur nom à la région de Condroz, en Belgique),

    • Trévires (approximativement l’actuel Luxembourg et les régions avoisinantes),

    • Sègnes (à proximité de la rivière Ourthe),

    • Éburons (occupant les provinces modernes du Limbourg et de Liège en Belgique, au Limbourg hollandais, et à une partie avoisinante de l'Allemagne jusqu'à Aix-la-Chapelle),

    • Ménapiens (dont la civitas était organisée autour de l'oppidum de Cassel, en territoire Morin, leur territoire se situe dans des marécages longeant la bande côtière de la mer du Nord, correspondant à la Flandre maritime),

    • Caeroesi dans le territoire des Ardennes,

    • Pémanes, installé dans les Ardennes, certainement dans la région de la Famenne,

    • Aduatuques, entre le Rhin, la Meuse, la forêt Charbonnière et l'Ardenne,

    • Ambivarètes dont le territoire, dans la région des Éduens, n’est pas précisément localisé,

     

    Le territoire de ces tribus gauloises seront repris approximativement par les civitas romaines dans la Gaule belgique (Gallia belgica) :

    • le territoire des Suessions devient le Soissonnais, l'actuel arrondissement de Soissons (et de Château-Thierry) ;

    • une partie du territoire des Rèmes deviendra le Laonnois, actuel arrondissement de Laon (au nord de Soissons) ;

    • le territoire des Viromanduens deviendra le Vermandois, assimilé à l'arrondissement de Saint-Quentin, au nord-ouest de l'Aisne ;

    • le territoire des Bellovaques se transforme en l'actuel département de l’Oise (comprenant le Beauvaisis) ;

    • le territoire des Silvanectes devient une partie du département de l'Oise (le Senlisis) et l'ancien département de Seine-et-Oise (actuels départements de l'Essonne, du Val-d'Oise (comprenant le Valois) et des Yvelines) ;

    • les Veliocasses (et des Vadicasses ?) habitaient le Vexin actuel, partagé entre Vexin français (à cheval sur le Val-d'Oise, les Yvelines, et l'Oise) et Vexin normand (à cheval entre l'Eure et la Seine-Maritime) ;

    • le territoire des Ambiens devient le département de la Somme (comprenant la bande côtière du Ponthieu) ;

    • le territoire des Calètes est les actuels Pays de Caux (ouest de la Seine-Maritime) et Pays de Bray (à cheval sur les départements de Seine-Maritime et de l'Oise) ;

    • le territoire des Morins, la Morinie, s'étendait de l'embouchure de l'Escaut, deviendra l'arrondissement de Saint-Omer ;

    • le territoire des Nerviens comprenait les provinces modernes belges du Hainaut (comprenant la Thiérache, le Cambrésis et la Flandre wallonne), du Brabant (wallon et flamand), plus au nord, la province d'Anvers et encore plus au nord, la province hollandaise du Brabant du Nord, ainsi qu'en France le Sud et l'Est du département du Nord, où se trouve l'actuelle Bavay et deux oppida celtiques : Flaumont-Waudrechies et Estrun.

    • le territoire des Artrébates devient l'Artois ;

     

    Les Belges seront soumis à Rome durant quatre siècles et demi.

    À l'époque d'Auguste, la province de Belgique comprenait les cités suivantes :

    • Ciuitas Remorum, capitale : Durocortorum (Reims),
    • Ciuitas Siluanectum, capitale : Augustomagus (Senlis),
    • Ciuitas Suessionum, capitale : Augusta Suessionum (Soissons),
    • Ciuitas Bellouacorum, capitale : Caesaromagus (Beauvais),
    • Ciuitas Ambianorum, capitale : Samarobriua (Amiens),
    • Ciuitas Viromanduorum, capitale : Augusta Viromanduorum (Saint-Quentin),
    • Ciuitas Atrebatium, capitale : Nemetacum (Arras),
    • Ciuitas Neruiorum, capitale : Bagacum Nerviorum (Bavay),
    • Ciuitas Leucorum, capitale : Tullum (Toul),
    • Ciuitas Treuerorum, capitale : Augusta Treverorum (Trèves),
    • Ciuitas Mediomatricorum, capitale : Divodurum (Metz),
    • Civitas Tungrorum, capitale : Atuatuca Tungrorum (Tongres).

    Jean-Louis Cadoux écrit que « la ''proto-Picardie'' s'articule autour d'un noyau de trois civitates, les Atrébates, les Ambiens et les Bellovaques. Vue de haut la ''proto-Picardie'' correspondrait assez bien à celle de la Belgique seconde, qui séparait ce territoire de la Lyonnaise seconde où se trouvait Lutèce. »2

    Tournai, Amiens, Beauvais, Soissons, Saint-Quentin, Cambrai, Bavay, Cassel, Arras, Thérouanne et Boulogne-sur-Mer étaient déjà des agglomérations mérovingiennes (vicus), et Tournai sera une des grandes villes du XIIe-XIIIe siècles. Dans le Douaisis et le Valenciennois, plus du tiers des communes actuelles tirent leur nom d'une cité gallo-romaine.

    Dioclétien (244-311) réorganise la province en deux nouveaux territoires, prenant les noms de Belgique première, Belgica Prima avec Trévires, Leuques, Médiomatriques et Verodunenses faisant suite à la précédente ; et de Belgique seconde, Belgica Secunda avec les autres tribus, dont la Ciuitas Camaracensium est l'ancienne ciuitas Nerviorum (avec pour nouveau chef-lieu : Camaracum – Cambrai), la Ciuitas Catalaunorum, séparée de la ciuitas Remorum (chef-lieu : Catalaunum – Châlons-en-Champagne) et la Ciuitas Bononensium est séparée de la ciuitas Morinorum (chef-lieu : Bononia – Boulogne-sur-Mer). 

    Les provinces historiques du Nord-Pas-de-Calais sont : Flandre, Artois, Hainaut, Cambrésis, Boulonnais, Calaisis. Pour la Picardie, c'est plus compliqué : seuls la totalité de la Somme, le Nord de l'Oise et le Nord de l'Aisne constituaient l'ancienne Picardie (qui intégrait le Boulonnais). La majorité de l'Oise faisait partie du domaine royal (c'est-à-dire l'Île-de-France). On y trouvait alors le Vexin français au sud-ouest (en opposition au Vexin normand), le Valois (au sud-est) et le comté de Clermont (au centre). Dans l'Aisne, le Soissonnais appartenait aussi au domaine royal. Reste le nord-est de l'Oise qui était l'évêché de Noyon.

    Le substrat pré-celtique est assez mince et diffère très peu de ce qu'on trouve en français. Walter von Wartburg comptabilise 81 mots environ d'origine gauloise en Picardie. Cela est faible par rapport au 108 du Berry et Bourbonnais ou au 110 de l'Auvergne, la Marche et le Limousin. Cela prouverait bien le caractère hétérogène du peuplement de cette région à l'arrivé du latin, même si « un passage célèbre de saint Jérôme nous induit même à croire que [le celtique] était resté au IVe siècle la langue des populations rurales du pays des Trévires. Mais il n'avait plus qu'une existence languissante et il ne devait pas survivre à l'Empire. »3

    Signalons la racine *car/*cal, qui a donné caillou en français, calanque (par le provençal) et chalet (par un dialecte roman de la Suisse). Mais aussi cayeux : Cayeux-sur-Mer donnerait au normand le nom de la moule (Robin, Glossaire du patois de l'Eure), car les moules viendrait de là par bateaux cayolais pour être vendu ensuite en Normandie. Cependant des moules venant aussi des bancs situés à l'embouchure de la Seine. On parle aussi dans une chanson des caïeux d'Isigny, c'est encore se que criaient les marchands de Cherbourg. On signale encore dans la Somme un Caix et un Cayeux en Santerre (ainsi que Chail dans les Deux Sèvres et Chailles, dans le Loir et Cher, puis la Butte Chaillot à Paris).

    Tous ces noms viennent de la racine gauloise *caljo- « pierre », lui-même formé de la base *cal-, qui donna le latin callum « cal, durillon » et est représentée dans de nombreux noms de lieux. Quai également vient de la même racine.

    « Quelle qu'ait été leur origine ethnique, Celtes ou Germains, les Belges, une fois passées sur la rive gauche du Rhin, participèrent davantage à la vie de la Gaule qu'à celle de la Germanie. »4 

    En effet, on retrouve dans ces dialectes d'oïl du nord également des racines gauloises, dont voici le témoignages survivant en picard (et français) :

    • *brin(n)a > brennus > brin (fr. bran, bren),

    • *wōredos > para-veredus > palefroi,

    • *lankia > lancea > lance,

    • *rīg- > rex > roi,

    • *wassalo-/*wossalo- > vassallus > vassal,

    • *baski > bascauda > bâche (ang-norm. bascat qui devient basket en anglais),

    • benna > banne et benne,

    • *balcos > bauche (fr. bauge),

    • *bacc- > beccus > bec,

    • *bergina > *barica > berche (fr. berge),

    • *bebros > beber > bièvre (« castor »),

    • *dragenos > dragenus > fourdrène, fourdérène (fr. prunelle, fruit),

    • *bucco > buccus > bouc (et boucher),

    • *bawa > boue,

    • *soro > ordeolum > uriot en picard et oriou/seuroûy en wallon (orgelet, compère-loriot),

    • *kammin- > camminus > quémin (fr. chemin),

    • *crinare > cran (et crénelé, créneau),

    • *cleta > clida > cloie, cloion, cloian (fr. claie puis clayette et cloyère),

    • *olca > ouche (potager clôturé),

    • *ard(u)- > *ardesia > ardoise, ainsi qu'Arduenna > Ardennes et arduus > ardu,

    • *ambactos > ambactus > embassee (ayant donné l'anglis ambassy) > ambassade,

    • *krosu- > *crosus > creux et creuses, formation sèche (« vallée sèche ») typique des pays crayeux, courantes en Picardie et dans le Nord-Pas-de-Calais, et plus particulièrement dans le Pas-de-Calais,

    • *duno > néerl. duin > dûne

    • *gallo- > gallet et gallica > galoche,

    • *gaba > gabarus > gave (qui donne en fr. gaver),

    • *ligisja > ligitia > lise (fr. glaise),

    • *talapaci- > talavacius > taloche (spatule à mortier, fr. talevas),

    • *gos- > geusiae > gosier,

    • *marga > margouiller (fr. magouiller),

    • *meina > mina > mine,

    • *venna > venna > vanne (cloison),

    • *caio > caii > quai (d'origine picarde, en fr. chai),

    • *frogna > frongner (qui donne en fr. renfrogner),

    • cohuta > cohue

    • *rusca > rusca > ruche,

    • *gansko > gascaria > gaskière (fr. jachère, qui semblerait venir du picard),

    • *mesigu > miègue (petit lait qui donne en fr. mégauder puis mégot),

    • *ker- > *cerinca > séran (peigne à chanvre ou à lin),

    • *soccos/*succos > soccus > soc,

    • *tsukka > choque (fr. souche),

    • *uernos > vernum > verne (fr. aulne, vergne dans certains dialecte),

    • *suteg- > sutis > seu (fr. soue « étable à porc »),

    • *crei- > crienta > crincher et wallon crinci (fr. secouer, vanner),

    • *bilia > billia > bille (de bois), d'où habiller (préparer d'abord une bille de bois) et billard,

    • *ancorago (saumon du Rhin) ancoravus > ancreu en picard et ancrawe en wallon (femelle du saumon, saumon à crochet),

    • *karro- > carrus > car, cabrouet et cabarouet, carin,

    • *mukyare > mucher (anc.fr. musser)...

     

     

    1 Henri Laurent, Notre histoire, in Encyclopédie belge, La Renaissance du Livre, Bruxelles, 1933, p.26. 

     

    1 -apa, -apia (celte ap, "eau") : l'Aa (nom d'une rivière dans le Nord et encore en Belgique et aux Pays-Bas) et Aix-la-Chapelle (Aachen) descent de là en même temps que du latin Aqua, du fait de ces eaux thermales. Puis citons les formes :

    -pe, -eppe : Annappes (Nord), Antreppes (affluent de la Sambre entre le Nord et l'Aisne), Antreppes (canton de Vervins), Scarpe (près de Cambrai), Guemps (Pas-de-Calais), Eppes (Aisne)... En Belgique : Autreppe, Fleppe, Genappe, Gileppe, Gulpe, Helpe, Jaspe, Jemappe, Jemeppe, La Hulpe, Oteppe, Otreppe, Suippe, Tourneppe, Wilp, Wiseppe... Aux Pays-Bas : Brunnepe (Gueldre), Hunnep et Wesepe (Overyssel), Gennep (Limbourg, Brabant sept. Gueldre), Erp (Brabant serpt.), Epe (Gueldre)...

    -fe, -effe : Aineffe, Boneffe, Crelf, Floreffe, Haneffe, Laneffe, Meeff, Jeneffe, Marneffe, Seneffe, Sombreffe, Waleffe, Alphen (affluent de la Dendre, auj. Bell qui a donné son nom aux localités de Bydalfenbrugge, Alphenblock, Opalphen, Neeralphen, Teralphene)...

    - ve : Amblève, Ave, Modave, Mouzaive...

    -ona, -ana (celte, "cours d'eau, ruisseau" : Agniona (Aa), Altona, Axona, Bevrona (ruisseau des Castors), Diona, Flona, Graona, Ladona, Lehona, Retona, Salmona ou Salmana, Struona, Logana (Lahn)...

    2 Serge Lusignan, Diane Gervais, « Picard » et « Picardie », espace linguistique et structure sociopolitiques, août 2008, p.22 (http://www.u-picardie.fr/LESCLaP/spip.php?article250).

    3 Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume I, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.526-527.

    4 Henri Laurent, Notre histoire, in Encyclopédie belge, La Renaissance du Livre, Bruxelles, 1933, p.26.

     


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    La langue picarde, « ce patrimoine régional, essentiellement constitué par les vestiges d'un prestigieux dialecte du moyen âge »1, comme les autres langues du même groupes d'oïl, est d'origine latine avec un substrat gaulois et un superstrat germanique. On évitera donc de faire remonter les dialectes romans du nord de la France ou son vocabulaire : au gaulois (M.Henri, et plus sérieusement Bernard Adolphe Granier de Cassagnac), au grec (Grégoire d'Essigny, André de Poilly, Daniel Haigneré), aux langues proche-orientales (M. Rigollot) ou à la langue des Vikings (on fait descendre quelques mots du norrois )...

    On a longtemps pensé que la dialectisation de la Romania était due à la partition en province. Cependant, si le rouchi correspond au Hainaut, l'amiénois à l'arrondissement d'Amiens, etc. et le flamand à la Flandre maritime, on aurait ensuite du mal à superposer les variantes (ou sous-dialectes) du picard à chaque province (marquenterre, vimeu, ternois, boulonnais paysan et boulonnais marin...). Et qu'en serait-il de ce fait du picard lui-même ?

    Si on admet l'existence d'un wallo-picard, on ne trouve pas de lorraino-picard ou de champeno-picard... Et si on évoque un normanno-picard, ce n'est pas pour parler d'un dialecte de transition, mais bien d'un super-dialecte qui se différencie assez bien des autres (gallo, mayennais, champenois...).

    Cependant même si les provinces ne sont pas à l'origine des dialectes ou sous-dialectes, il existe bien des traits distinctifs qui différencient bien tel dialecte de tel autre. « Ainsi tout en refusant la notion de limites dialectales rigoureuses on doit admettre l'existence de zones de transition plus ou moins larges, plus ou moins floues, qui permettent de distinguer entre différents dialectes. »2

     

    Concernant les changements phonétiques dans la langue latine ou proto-romane, on peut signaler3 :

    • les longueurs des voyelles ne sont plus réalisées au profit d'une distinction aperture / fermeture : CATĒNA > CATENA (chaîne),

    • les voyelles Ē, Ĭ et OE se confondent en e fermé (sauf en sarde)4 : RĒX > roi (sarde re, it. re, roum. rege, esp. rey, port., cat. rei), FĬCATUM > foie (sarde fícadu, it. fegato, roum. ficat, esp. hígado, port. fígado, cat. fetge), POENA > peine (sarde pèna, it., esp., port., cat., pena, roum. penă),

    • les voyelles Ō et Ŭ se confondent en o fermé (sauf en sarde) : DŌLOR > douleur (sarde dóliu, dólima, it. dolore, roum. durere, esp., cat. dolor, port. dor), GŬLA > goule (gueule est un emprunt du français au picard, sarde irgúnzu, it. gola, roum. gură, esp., port., cat. gola),

    • I > /ʒ/, DI et GI > /dj/ : JOCUS (jeu), DIES (jour), ANGELIU (ange),

    • le -M final s'amuït (sauf en monosyllabe) : GARDINIU(M) (jardin),

    • la syllabe atone s'amuït : AUDAC(I)TER (faire preuve d'audace), CAL(I)DU(S) (chaud),

    • les semi-consonnes /j/ (JAM (déjà), MAJOR (majeur)) et /w/ (VOLO (veux), LAVARE (laver)) apparaissent,

    • le H disparaît (il reste une consonne dans certaines langues d'oïl : en wallon, poitevin-saintongeais et lorrain, mais par une autre évolution phonétique)5,

    • le N devant S et T s'amuït : CO(N)FECI (fis), CO(N)SOL (consul),

    • simplification des groupes consonnantiques MN, NS, K [ks], CT : OMNIBUS / ONIBUS, MENSIS / MESIS, VIXIT / BISSIT, OCTO > it. otto, esp. ocho, cat. vuit, port. oito, fr. huit, wal. ût, roum. opt,

    • simplification des géminés : PUELLA > PUELA,

    • QU se confond avec C : QUI > fr. qui, esp., cat., port. que, it. chi,

    • le B intervocalique s'amuït en /β/ (v espagnol) puis /v/ (pour disparaître complètement dans les langues d'oïl) : DEBUTU > DEVUT > dëu > dû,

    • le W (écrit u) s'amuït en /β/ (écrit B) puis en V : VIVERE (vivre),

    • le S final s'amuït : OMNIBU(S) (datif pluriel de OMNIS, tout),

    • le T final samuït : CANTA(T) (chanté),

    • le T intervocalique s'amuït en /θ/ en gallo-roman : ADJUTAT (aide, anc.fr. aieu). Dans le Serment de Strasbourg du IXe siècle, on lit aiudha. Dans la Vie de Saint Alexis, de la fin du XIe siècle, on a ajude. Mais aussi, au paragraphe 27, l'auteur fait rimer remese, contrede et esguarethe (cf. plus loin),

    • le K + e et i se palatalise en /kj/ puis /tj/ puis /ts/ ou /tʃ/ : RECIPIO (reçois).

     

    Concernant les changements grammaticaux, signalons :

    • la dégradation des flexions des noms et adjectifs principalement (sauf en roumain, et survivance d'un système bicasuel durant quelques siècles : cas sujet (nominatif) / cas régime (accusatif)), qui entraîne une rigidité des éléments de la phrase (de libre, on passe à Compl.-Préd.-Suj. ou Suj.-Préd.-Compl.) et l'utilisation de prépositions (ex. AD PRESSUM > après), de conjonctions (ex. CUM > comme), le locutions conjonctives (ex. PRO EO QUOD > por co que > parce que) et de propositions composées (ex. INTERIM QUOD > pendant que),

    • le neutre se confond avec le masculin ou le féminin : BALNEUM / BALNEUS, FOLIUM / FOLIA (FOLIA était le pluriel collectif du substantif neutre FOLIUM « feuille d'arbre, de plante ; de papier », il devient féminin),

    • les tournures prépositionnelles se généralisent,

    • des remaniements dans la conjugaison : apparition d'un nouveau futur notamment (sauf en roumain) et de temps composés (avec auxiliaire habere, plus rarement esse et participe passé). Cependant le système verbal latin, en comparaison avec le système de flexion, est bien conservé. Disparition, sauf dans certaines tournures figées, de l'infectum (pour les tournures passives) pour laisser la place à une forme analytique esse et participe passé.

     

    Pour le vocabulaire, signalons seulement quelques exemples :

    • disparition du verbe loqui remplacé par parabolare, du grec « parabole, comparaison, parole » (parler en français, parlar en catalan et occitan), fabulare, « raconter des histoires » (hablar en espagnol, falar en portugais), narrare, « narrer » (nàrrere en sarde), discurrere « discourir » (discurrer en romanche), tandis que le roumain emprunte un élément slave dvoriba (a vorbă avec influence du latin vorbum),

    • disparition de l'adjectif pulcher, remplacé par bellus (beau en français, bel en occitan et romanche, bello en italien), ou formosus (hermoso en espagnol, formoso en portugais, frumos en roumain),

    • disparition du nom ignis, remplacé par focus, « foyer » (feu en français et romanche, fogo en portugais, fuego en espagnol, foc en catalan, fuec en occitan, fuoco en italien, fogu en sarde, foc en roumain).

    Cela s'explique généralement par la difficulté de mots irréguliers, trop court (avec l'érosion des syllabes atones), désignant des notions trop abstraite...

     

    Le latin vulgaire et le latin classique (ce dernier élaboré par Ennius et les écrivains de son temps) ont toujours été différents tout en étant la même langue, comme le français parlé et le français écrit et comme l'allemand parlé et l'allemand écrit.

    A l'époque romaine, « il y eut un réel courant d'échanges entre l'Italie et le Belgique. Le domaine rural (villa), organisme économique autonome, avec sa maison du seigneur, son troupeau d'esclaves, ses colons tenanciers attachés au sol, ses ateliers, ses clôtures, apparaît alors constitué à peu près tel qu'il durera à travers tout le moyen âge. Mais à l'époque romaine, il exerce un certain rayonnement, qu'il n'a peut-être pas eu plus tard ; il exporte ses produits, salaisons et draps de la Flandre maritime, armes de l'Entre-Sambre-et-Meuse, vers l'Italie et les camps de légions sur le Rhin, et il emporte de Rome des marbres, des bijoux et des vins. Ce courant d'échanges est, avec le fonctionnarisme romain, l'agent de la progression victorieuse de la langue latine et (à partir du IIIe siècle) du christianisme dans les chefs-lieux, le long des chaussées et enfin dans les campagnes. Ce qui reste de l'héritage celtique – langue et religion – est nettement en recul, sauf dans la toponymie, au moment où commence, dans le Nord-Ouest de l'Empire, l'infiltration germanique. »6

    On considère qu'il y a eut plusieurs phases de romanisation de la Gaule, selon le latin vulgaire, différent verticalement (selon les couches sociales et les moments de locutions, par exemple au Sénat ou en famille) et horizontalement (d'une province à une autre). On en compte généralement quatre, selon le nombre de divisions administratives imposées par les Romains : la Provincia Narbonensis ou Narbonnaise (dont la capitale était Narbonne, la plus conservatrice car la plus proche de Rome et alors la plus urbanisée, donc la plus scolarisée mais avec un substrat ligure), la Provincia Lugdunensis ou Lyonnaise (capitale Lyon, romanisé par des non-Latinophones de naissance, Osques, Ombriens, Etrusques... parlant principalement un latin vulgaire), la Provincia Aquitania ou Aquitaine (avec un substrat ibèro-aquitain), et la Provincia Belgica ou Belgique (avec principalement un superstrat germanique). Toute la Gaule présente également, comme on l'a vu, un substrat celte, par le gaulois. La romanisation de la Gaule Belgique et en partie des Gaules Lyonnaise et Aquitaine ayant été lente et parcellaire, le gaulois y est resté parlé encore longtemps, offrant un substrat plus fort que pour le reste de la Gaule.7 Cependant c'est un autre événement qui provoquera le plus grand changement dans la dialectisation du latin sur le territoire de la Gaule.

     

    A la chute de l'Empire romain en 176, les invasions germaniques fragmentent et réorganisent les régions de la Gaule. « D'après Wartburg, les différenciations dialectales seraient essentiellement liées aux invasions germaniques. Les trois grandes aires dialectales : française, franco-provençale et provençale correspondraient à l'aire de peuplement des Francs, des Burgondes et des Goths. »8 Le latin, laissé à lui-même sans l'attraction de Rome, se fragmente en dialectes. Cependant que la christianisation, comme on l'a dit, crée des diocèses sur les frontières des civitates romains, favorisant ainsi un regroupement de traits linguistique des idiomes. C'est ce qui fait dire que le dialecte est « une forme particulière prise par une langue dans un domaine donné. Il se définit par un ensemble de particularités telles que leur groupement donne l'impression d'un parler distinct des parlers voisins, en dépit de la parenté qui les unit ».9

     

    Du IIIe au VIIIe siècle, la Flandre, le Hainaut, la Picardie sont occupés, après les invasions barbares, par des peuples germaniques (Saxons, Francs saliens, Vandales, Huns, Alamans...). Mouvements migrateurs, lente progression de familles et de clans à la recherche de champs et de pâturages dans les régions en friche principalement, l'appropriation violente ou l'attaque à main armée de pillards étant l'exception. A la fin du Ve siècle, la frontière est fixée.

    Tournai fut le point de départ de la conquête de la Gaule par le quatrième roi des Francs, Clovis. L'évangélisation de l'église, facilité par sa conversion, provoquera une réorganisation des provinces romaines en évêchés. Maurice des Ombiaux en fait une des plus belle page de son roman Le Maugré (1911), au chapitre II : « Ils [Éleuthère et son maître d'école] allaient aussi fureter dans les différents quartiers de la ville : à la crypte romane sur laquelle l'abbaye de Saint-Martin fut bâtie, à l'église de Saint-Quentin qui doit son origine à un temple bâti au VIIe siècle par Saint-Éloi, détruit en 882 par les Normands, à l'église de Saint-Piat qui, selon la tradition, aurait été bâtie sur un temple païen, à proximité du lieu où fut martyrisé l'apôtre à qui elle est dédiée, ils y recherchaient des pleins cintres romans, à Saint-Jacques dont Saint-Éleuthère bâtit la chapelle primitive, à Saint Brice, qui remonte aux premiers temps du christianisme et auquel chaque siècle a mis son ajoute ; au bas de la tour, ils s’arrêtaient longuement devant les deux maisons romanes du XIe siècle où siégeait la justice, où le magistrat faisait citer à la barre les habitants du bourg. Là, tout prés, devant le portail qui donne sur la terrasse Saint-Brice, se dresse la petite maison sous laquelle fut découvert, en 1653, le tombeau du roi mérovingien Childéric, mort en 481 ! C'était donc en cet endroit que se trouvait le palais des rois francs de la première dynastie. C'était donc là le premier centre du monde occidental. Là qu'était né Chlodovich le conquérant, le vainqueur de Syagrius, l'ami de Saint-Rémi, le créateur de l'unité franque ; de là que la loi salique avait rayonné jusqu'à la mer du Nord, l'Océan Atlantique et la Méditerranée. Et il lui semblait que des voix arrivaient de ce siècle lointain lui chanter le poème des origines et des énergies de sa lignée. Il croyait entendre un des compagnons chevelus du vainqueur de Soissons, qui le reconnaissait comme de son sang. »

     

    On connaît cet épisode, célèbre, du vase de Soissons, ville de Picardie à la limite de l'aire de diffusion du picard. Vers l'an 486, au cours de la guerre livrée par Clovis à Syagrus (considéré comme le « roi des Romains ») et peu de temps après la prise de Soissons, sa capitale, l'évêque Rémi réclame un vase liturgique volé par les soldats francs. Clovis propose de lui restituer à Soissons, où se tient son camp principal. Mais alors qu'il le réclame à ses soldats, un guerrier présomptueux, jaloux et emporté (levis, invidus ac facilis) frappe le vase de sa hache en s’écriant : « Tu ne recevras que ce que le sort t’attribuera vraiment ! » Clovis remet le vase brisé à l'évêque et cacha le ressentiment de cet outrage sous un air de patience. Mais un an plus tard, passant en revue ses troupes, Clovis reconnaît l'homme et le tue d'un coup de hache, en disant : « Ainsi as-tu fait au vase à Soissons ! »10

    Cet épisode, certainement plus légendaire et hagiographique que vrai, avait comme but à la fois d'opposer vigoureusement le Clovis païen au Clovis converti (496). Mais en même temps, ce Clovis encore plongé dans le « fanatisme » se distingue déjà de ses guerriers par son respect des clercs : c’est un signe avant-coureur certain de sa conversion. Le Clovis païen pille les églises, alors que le Clovis converti interdit à ses troupes de rien prendre de ce qui leur appartient, ne serait-ce que du fourrage pour les chevaux. Cette légende illustre également la Loi Salique tel que la raconte Maurice des Ombiaux.

    Le Clovis converti choisit aussi Paris comme capitale (après Tournai et Soissons, toutes deux en territoire picard)11, ville de garnison et résidence impériale vers la fin de l'Empire, qui bénéficie en outre de défenses naturelles et d'une bonne situation géographique, Childéric Ier avait tenté de s'en emparer en l'assiégeant à deux reprises, sans succès. Charles-Martel défendra alors la chrétienté en « boutant » les musulmans à Poitiers en 732.

    Les Mérovingiens forment la dynastie qui régna sur une très grande partie de la France et de la Belgique actuelles, ainsi que sur une partie de l'Allemagne et de la Suisse, du Ve siècle jusqu'au milieu du VIIIe siècle.

    Cette lignée est issue des peuples de Francs saliens qui étaient établis au Ve siècle dans les régions de Cambrai et de Tournai, en Belgique (Childéric Ier). L'histoire des Mérovingiens est marquée par l'émergence d'une forte culture chrétienne parmi l'aristocratie, l'implantation progressive de l'Église dans leur territoire et une certaine reprise économique survenant après l'effondrement de l'Empire romain.

    Le nom mérovingien provient du roi Mérovée, ancêtre semi-mythique de Clovis.

    La dynastie commence en terre picarde à Tournai avec Clovis dont c'est la capitale, et finit en terre picarde à Saint-Bertin, près de Saint-Omer, avec Chilpéric III (en novembre 751, Pépin dépose Childéric III, puis se fait sacrer roi à Soissons par l'archevêque Boniface de Mayence. Childéric est quant à lui déposé, rasé et confiné dans un monastère par l’ordre du pape Étienne. Il y meurt vers 755). Mais François Reynaert précise ironiquement que faire de Clovis un roi français est un anachronisme : "Clovis n'est ni allemand ni français, il est belge" (p.58).

    Au VIIIe siècle, Pépin le Bref, originaire du pays mosan (Pépin de Landen, Pépin de Herstal) s'empare de la couronne après Chilpéric III et ne se réclamera pas de ses prédécesseurs, mais il se fait sacré, à l'instar des rois wisigoths d'Espagne, qui eux-mêmes l'avaient copiés des rois hébreux de la Bible (p.74). Il peut ainsi se réclamer de Dieu qui l'a choisi. Cependant, il reste Franc et parle le germanique, pratiquait encore le culte païen, tout comme Charlemagne, lui aussi "Belge" de naissance (p.82).

    Et parler de France, d'Allemagne ou de Belgique pour l'époque est un non-sens nationaliste. La littérature, donc la langue, française commence avec les Serments de Strasbourg en 842 et un embryon de pays, avec le traité de Verdun en 843 : "à l'ouest, une entité que l'on appellera un jour le royaume de France ; à l'est, une préfiguration de l'Allemagne, et entre les deux une succession disparate de provinces qui, des siècles plus tard, passeront de l'une à l'autre (l'Alsace par exemple), ou deviendront des États après avoir réussi à conquérir leur indépendance (la Suisse au Moyen âge, la Belgique au XIXe siècle)." (p.90) Remarquons que c'est deux pays sont multilingues dans leur constitution, alors que la France se veut une et indivisible, une aberration historique pour un pays d'Europe de l'époque (comparons avec la Prusse ou l'Autriche-Hongrie).

    Le culte des saints, amenant une superposition du christianisme sur les anciennes croyances polythéistes des Francs encore majoritairement païens, commence au Ve siècle autour de Saint-Martin, évêque de Tours. "On vient en pèlerinage jusqu'à sa chapelle, c'est-à-dire le monument où l'on garde une partie du fameux manteau qu'il a partagé avec un pauvre, la chape - c'est l'origine du mot." (p.97-98). Hugues Capet est abbé laïc de Saint-Martin de Tours, où l'on garde les reliques de Saint-Martin. Son nom viendrait de là (chape > chapet en francien ou capet en picard). Il est couronné à Senlis dans l'Oise en terre picarde. Depuis Hugues, donc, jusqu'au moment de la mort sans descendant du dernier des fils de Philippe le bel, en 1328, les rois se succéderont de père en fils, configuration rare. Ce sont les "Capétiens directs". "La dynastie qu'il a fondée est incontestablement celle qui produira ces "rois qui ont fait la France", comme on disait. Le titre lui-même ne sera donné qu'à partir du XIIIe siècle, avec Saint Louis (p.105).

    Guillaume le Conquérant entend être l'égal des Capétiens, dont il est vassal en Normandie. Il conquiert donc l'Angleterre. Sa femme est originaire des terres picardes. A l'époque la France n'existe toujours pas, on parle toujours de provinces avec leur langue propre qui délimite les frontières.

    Philippe Auguste, pour agrandir ses terres, commence une série de guerres et d'alliances, "il faudra une bataille (Bouvines, en 1214, près de Cysoing dans le Nord) où se mêleront tous les grands d'Europe pour régler le différend entre le Capétien et son ennemi. Philippe la gagnera. Il mourra en laissant à ses successeurs un royaume trois fois plus grand que celui dont il avait hérité, et à la postérité ce surnom d'Auguste." (p.117).

     

    De cette époque ancienne subsiste une emprunte germanique sur les dialectes d'oïl du nord et de l'ouest : wallon, picard, lorrain.

    Cinq siècles séparent les témoignages du latin classique des premiers textes français que sont la Séquence de Sainte Eulalie et la Vie de Saint Alexis. Cependant on sait par quelques auteurs (l'épisode du festin chez Trimalcion dans le Satyricon de Pétrone, du Ier siècle, certains dialogues du théâtre de Plaute ou Térence, le Peregrinatio Aetheriae du IVe siècle, récit d'une religieuse lors d'un séjour en Terre Sainte, et les œuvres de Grégoire de Tours, du VIe siècle) ou les graffitis (notamment de Pompéi, détruite par l'éruption du Vésuve de l'an 79) que la langue parlée des couches peu ou non influencées par l'enseignement scolaire et par les modèles littéraire, en d'autres termes, le latin vulgaire, connaissait déjà des changements phonétiques, grammaticales et de vocabulaires.

    Ainsi le latin vulgaire, au contact des populations gauloises et des envahisseurs francs, s'éloigne de plus en plus du latin classique, au grand dam de Charlemagne qui appelle le moine anglais Alcuin (VIIIe siècle) pour relatiniser les fidèles. Mais alors qu'on essaye de retrouver un latin plus « pure », on commence aussi à écrire le « français », cela afin de se faire comprendre de la population. Mais le premier vœu de Charlemagne, en réalité, est de restauré l'Empire romain.

    Ce latin vulgaire du nord de la France, étant plus éloigné que le latin vulgaire du sud de la France, c'est au nord que l'on trouve les premières traductions romanes. Au VIIIe siècle, au monastère de Corbie (Picardie) probablement, on écrit donc dans les marges d'une Bible gallo-romane de plus de mille équivalents romans de mots latins. Dans ce document, connu sous le nom des Gloses de Reichenau : Oves est glosé par berbices, ainsi ouailles descend directement du latin classique, alors que brebis descend du latin vulgaire berbix, berbex, qui voulait dire à l'origine "mouton". Le mot latin galea (casque de cuir) est glosé par helme, d'origine franque, et qui deviendra heaume.12

    En 813, le Concile de Tours, réuni par Charlemagne, stipule dans le canon 17, que dans le territoire d'Empire d'Occident (correspondant à la France et l'Allemagne actuelles), les homélies ne seront en « rusticam Romanam linguam aut Theodiscam, quo facilius cuncti possint intellegere quae dicuntur » (langue rustique romaine ou tudesque ». Ceci afin, notamment, de facilité la christianisation de l'Empire, le latin n'étant plus compris. Ainsi, en 842, est écrit le premier texte complet dans ces deux langues : le Serment de Strasbourg / Straßburger Eide, texte bilingue d'alliance entre deux des petits-fils de Charlemagne : Karle (Charles le Chauve) et Lodhuvig (Louis le Germanique) contre le prétendant unique au trône de Charlemagne, Lothaire Ier. Ce texte aurait été rédigé dans un proto-français de la zone sud du domaine d'oïl (Poitou, Bourgogne, Franche-Comté, Lorraine). Le traité de Verdun en 843 met fin aux hostilités entre les trois frères et dessine la carte de l'Europe pour les siècles suivants. On pense que la haute société fut longtemps bilingue. « Une analyse méthodique du nom en question (Leudicus > Liége) nous met en présence de deux éléments : le radical, qui est incontestablement germanique, et la désinence qui est franchement latine. Dès lors, nous sommes obligés de reconnaître dans le mot leudicus un de ces termes hybrides comme en fabriquait beaucoup la langue mérovingienne : germanique quant à son élément matériel, latin quant à sa forme et à son emploi, vrai produit d'une époque où tout, dans les institutions, dans les mœurs, dans le langage, portait le cachet d'un mélange bizarre, mais fécond, entre le génie barbare et le génie latin. »13

     

    1 Fernand Carton, Le parler du Nord Pas-de-Calais, Bonneton, Paris, 2006.

    2 Pierre Guiraud, Patois et dialectes français, Que sais-je ? N°1285, PUF, Paris, 1978, p.23 et cf. pp.19-23 où il cite le cas d'école du normand et du picard d'un côté et du picard et du wallon de l'autre.

    3 Ce chapitre est rédigé en grande partie avec l'aide du livre : Joseph Herman, Le Latin vulgaire, Que sais-je ? N°1217, PUF, Paris, 1967.

    4 D'après E. Philipon (Les destinées du phonème e + i dans les langues romanes, in Romania XLV, p.422 ss. 1918-19), le phonème pré-roman ẹ + ị s'est normalement développé en i (vers le XIe siècle) : glĭtia > glise, mĭliu > mil, pĭscione > pisson, puis en ei>oi ; un ĭ latin classique, tout comme le ē latin classique, donnant normalement ẹ en latin vulgaire, sauf en contact d'un n mouillé (tĭneam > teigne), un ī latin classique faisant un i en latin vulgaire.

    5 Pour le patois boulonnais, Daniel Haigneré, signale que « l'aspiration de l'h, le coup de soufflet vocal, devient de moins en moins sensible. Les vieillards la font toujours entendre, mais la jeune génération en perd l'habitude, au contact de la prononciation française. » (Le patois boulonnais comparé avec les patois du nord de la France, vol. 1, 1901, p.162). Vermesse, pour la région de Lille, precise « la lettre H ne s'aspire presque jamais. » sauf pour hars,e (hardi, ardent), haufe (gaufre, prononciation flamande), et hauflette, haufrette, héring (hareng), héritance (héritage)... Haigneré pense « qu'en interrogeant les anciens avec plus de patience et de méthode, il en aurait trouvé davantage. » Edouard Hrkal renseigne aussi que le h était encore fortement aspiré par les vieillards à Demuin en 1910 (Ed. Hrkal, Grammaire historique du patois picard de Démuin (in Revue de philologie française, T.24, 1910, p.190). Jules Corblet indique 58 mots commençant par h aspiré. Thomas Logie par contre ne référence que des interjections à Cachy.

    En wallon liégeois et lorrain, le h apparaît dans les mots d'origine germanique (à l'initial et intervocalique) :

    - en wallon : håye (haie), hesse (hêtre), bahou (fane de pomme de terre)...

    - en lorrain : hoffe (cour, de l'all. Hof), hélié (image, de l'all. Heilige « sainte »),

    En wallon et lorrain, il est aussi dû à l'évolution d'un [s] (parfois d'un [z]) intervocalique :

    - en wallon jh ([ʒ] ou [h] et xh ([ʃ] ou [h] selon les variantes dialectales) : qui j'avaxhe /qui j'euxhixhe (que j'eusse), qu'i plovaxhe (qu'il plût), baxhî (baisser), åjhèye (aisé), ouh / ouf (porte, du lat. huis), mojhone (maison), assåjhner (assaisonner)...

    - en lorrain (hh ou h [h] ou [ʃ] et j [ʒ] ou h [h]) : hhtandler (être debout, de l'all. Stand), gahhon / gachon (garçon), keuhhe / keuche (cuisse), mâhon / mâjon (maison), quehine / cujine (cuisine), euhhi (sortir, du lat. exire ou de huis), euhh (porte, du lat. huis), ahi (aisé), que j'éveuhhe (que j'eusse), qu'i pieuvahhe (qu'il plût)...

    En poitevin-saintongeais, il est une évolution du son [ʒ] en une fricative glottale ou un fricative pharyngale sourde [ħ] ou plus souvent un [ʒ] expiré, écrit jh (et gh devant e et i [dʒh]). Il est prononcé avec expiration dans le sud du Marais comme dans le sud du Haut-Poitou et la Saintonge : jhardrin (jardin), parlanjhe (parler, langue), jh'avons manghé dau ghigourit (nous avons mangé du gigouri)...

    6 Henri Laurent, Notre histoire, in Encyclopédie belge, La Renaissance du Livre, Bruxelles, 1933, p.27.

    7 R. Anthony Lodge, Le français, Fayard, Paris, 1997, p.67.

    8 Pierre Guiraud, Patois et dialectes français, Que sais-je ? N°1285, PUF, Paris, 1978, p.25.

    9 Définition de J. Marouzeau (Lexique de la terminologie linguistique) dans Pierre Guiraud, Patois et dialectes français, Que sais-je? N°1285, PUF, Paris, 1978, p.5.

    10 Grégoire de Tours, Histoires (des Francs), Livre II, Traduction de François Guizot.

    11 Soissons est à la limite de l'aire picarde, mais y a certainement appartenu à date ancienne, comme en témoigne le nom du village de Merlieux-et-Fouquerolles, équivalent picard de fougerole « sorte de petite fougère ». Cependant, déjà au Moyen Âge, dans l'Université de Paris, le diocèse appartenait à la nation française, et les chartes conservées sont en dialecte central, comme le montre Serge Lusignan dans La langue voyageuse. Le picard et la famille d’Estrées au XIIIe siècle.

    12 D'autres gloses célèbres sont celle de Kassel, donnant l'équivalent germanique de mots latins, dont Paul Marchot dit : « J'admets que la langue dans laquelle elles sont rédigées présente bon nombre de caractères qui sont ceux du français du Nord, tels que la chute des voyelles finales, le maintien de W germanique, le changement de cs en s, la réduction de ts à z. Mais il y a plusieurs raisons qui s’opposent absolument à l’attribution des Gloses au domaine français. [...] Tous les caractères de cette langue que j’ai relevés plaident au contraire en faveur du réto-roman. » Paul Marchot, Les Gloses de Cassel, in Collectanea Friburgensia, III, Université de Fribourg, 1895. Le roman était alors très peu dialectisé, comme on peut le voir.

    13 Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume I, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.424.

     


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