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    Au XIIIe siècle, une langue de chancellerie prend forme et par Jacob van Maerlant, qui a travaillé en Zélande, en Flandre et peut-être en Hollande, on sait qu'une koiné s'est renforcée : on se sert alors (comme le dit lui-même Maerlant), pour les besoins de la rime, mais pas seulement, de mots empruntés à différents dialectes (Duutsch, Brabantsch, Vlaemsch, Zeeusch) et à d'autres langues (Walsch, Latijn, Grieksch, en de Hebreeuwsch).

    On peut trouver chez lui les mots : caer (cher, chère), canosie (chanoinie, canonicat, chapitre de chanoine), caproen (chaperon), kaitijf, keitijf, keijtijf (chétif), kempe (camp), compaengie (compagnie), desolaet, diviniteit, obstinaet, engien (engin), fier, fruut (fruit), notoor « notoire », reservoor « réservoir », persoer (pressoir), peinzen (penser), prence, prinche (souverain, de prince), prinden (prendre), provensch hout « bois de Provence », rosine (raisin)... qui sont originaires du picard. De même, ce n'est que des mots en -oi- (forme de l'ancien-picard) qui sont empruntés par le néerlandais, et jamais en -ei- : loy, convoy, octroye, roi... qui sont en ancien-français lei, convei, o(c)trei, rei.

    Mais on trouve aussi amie (amoureux), dilovie (déluge), luxurie, grongieren (grogner), instrument, ypocrite, joye, maisniede, mesnije, messenije (cour, maisonnée, de maisnie), naen (nain), ordinere, paijen (païen), pays (paix), parlement, poetrie ou poëterije, point, puur, quijt, quite zijn (être quitte) et quiten (quitter), reinardiie (ruse, de renard), religioen, ribaudie (espièglerie, brigandage, débauche), sacriste (sacristain), sale (salle), sermoen, siegie, sottie, subtijl, tempeest, torment (et tormenten ou tormenteren), travalie, truwant (truand), venijn (venin)... dont l'origine peut-être autant picarde que française, voire latine. Comme on l'a dit, le picard est la langue d'oïl, avec le normand, la plus conservatrice : les mots canter, canterije et discant, discanter, discantéren sont aussi proche du latin (cantus) que du picard (cant, « chant ») ; et glorie est aussi proche du latin gloria que du picard glore, « gloire » ; ou memorie est ressemble autant au latin memoria qu'au picard mémore « mémoire ». Par contre, il est sûr que laudéren « louer, faire des louanges » et licentiaet « licencié » sont d'origine latine. On sent aussi que le français est déjà en concurrence, Kiliaan enregistre mes-kief, mis-kief (prononciation picarde) et meschief (prononciation française, à moins qu'il faille lire -sch- comme schandaliséren) pour « malheur, infortune, méchef » (de mes- (mé-) et de chef aux sens ancien de « bout, extrémité », qui est passé en anglais également sous sa forme française mischief).

    Le moyen-néerlandais avait emprunté déjà beaucoup de termes au picard. On peut donc aussi lire dans les vieux textes (voir notamment le dictionnaire néerlandais-latin de Cornélius Kiliaan du du XVIe siècle) les mots achauteren, achauten, acouten, acouteren « écouter » (en picard acouter), alcumye, alkemye (alchimie) et alcumist, alkemist (alchimiste), andolie « andouille », aweit ou awet « guet, guetteur » (cf. l'expression être aux aguets), bochus et botseus « bossu », brachiere « brassière », capeau « chapeau », cateil, cateile « propriété, bien, capital » (du picard catel, qui donne aussi cattle en anglais), scolere « chanteur de chœur, étudient » (de scoliere), karnier, maintenant corrigé en scharnier, « charnière, gond » (de carnière), mais le frison knier de même origine et de même sens est encore courant. Calange (de calenge, « challenge, défi ») et calangeren « accuser, dénoncer » (de calengier « défier »), caval « cheval », exploot, explootéren « exploit, exploiter », fusiek (de fusique « fusil », encore présent chez Hécart et courant dans le Nord de la France), gambuyn « jambon », gaugie, gauge « jauge » et gaugierer « jauger », retoqueren (de re- et du picard toquer « retoucher », encore utilisé a XVIIe-XVIIIe siècle, puis détrôné par retoucheeren), waardemingier (de warde-minger, « garde-manger »), walop (« galop »)...

     

    Parfois les dialectes, notamment le west-vlaams (flamand occidental ou west-flamand), restent plus conservateurs : branke (de branke, « branche », attesté également dans le Brabant), et kokkemare, kokmare (de cauquemar « cauchemar », de cauquier « fouler, presser » et mare, d'origine néerlandais « fantôme, spectre », qu'on retrouve dans l'anglais nightmare), kuuscheege, kuuskesse, keussienge (de caussier « chaussier », cordonnier), memoorje, memorie (de mémorie, « mémoire »), ballesjiere, ballesoire, ballesôre (de balançore, « balançoire »), bordeure, borduure (de bordeure, « bordure »), kachtel, kachel, kachsel, kassel « poulain » de ca(p)tel, fr. cheptel (voir l'anglais cattle « bovins, bétail »), kletsoor, klatsoor, katsuur, klatsoel, katsoel, kasjoen, klatsioeën, ketsjuur « fouet » ou « lanière de fouet » de cachone, cachon, afr. chassoire, de cacher, afr. chasser et le -l- par l'influence du mot klakken « claquer » (chez Poilly cachoire et chassoire « fouet » et cachuron et chassuron « ficelle propre à faire une mèche de fouet »), foteure (de voteure, « voiture »), plangkier, plankier, plankis (de planquié, « plancher » signifiant « trottoir », pret, prèt, pareie, poreie, paret, poret (de poret, « poireau »), prochie (de parochie, « paroisse », signifiant « village »), teljoor, talore, talôre (qu'on entend encore à Maastricht, de tallor, « tailloir » mot ancien pour « assiette »), tette (de tète, tétète, « poitrine »), korzei pour le néerlandais korzeling (de courcé, « courroucé »), tinke (de tinque, « tanche »), verket, vringket, frienket, ket de fourquette « fourchette », stamenee de « estaminet », fitsjau, visse, « putois » viendrait du picard fichau (apparenté à fuseau, le putois étant de forme allongée)...

    On pense que les formes flamandes entwie, entwat, entwaar, enthoe sont un calque de la tournure picarde eune sais [qui, quoi, quel, comment, où](en wallon, la tournure existe aussi).

    Citons encore, attestés que dans certaines régions du westflamand : uitkolferen (dans le pays de Waes, ou Waasland) « bien chauffer » (de cauffer), tranque (Bruges, Ostende) « darne, disque » de tranque « tranche », bottel (à Ostende), de boutel, « bouteille », kallant (à Blankenberge, Knocke, Ypres) pour klant en néerlandais (de caland, « chaland »), karjot (de kariot, « chariot »), kassiene (à Wervik et Ypres) signifiant « rebord de fenêtre formant un banc » (de cassin, « châssis »), krette, karette (Flandre zélandaise) « charrette, vieille voiture » de karrette , kapelet (à Heverlee) « boursouflure du cou, de la gorge ou de la jambe d'un cheval » de kapelet (en français chapelet peut encore désigner des « nodosités des cartilages »)...

    En flamand de France (dialecte rattaché également au west-vlaams), on trouve aussi : kanne « litre » (de canne, « chainne », qui en 1286 signifiait « mesure de liquide » et kanneboetaaie (association de canne et bouteille, signifiant « bouteille d'un litre », kasse « armoire » (de casse, « châsse »), peinzen, peizen (de pinser, « penser »), wante (de want, « gant »)... L'abbé D. Carnel dans son étude du Dialecte flamand à Bailleul1 cite l'expression te feyte, « tantôt, sur le fait » et van 't part « de la part », dont la prononciation de fait et part est picarde avec ce -t final qui se fait entendre. On y dit aussi gouste, « goût ».

     

    En flamand, le /š/ emprunté au français ou au picard devient /s/ : on avait donc, par exemple, pour le picard angouche « angoisse », en moyen-néerlandais anguwisse ou anguisse, Chartres devient parfois Sartres, « anchois » (espagnol ou portugais anchova) donne antsouwe, anssoye (corrigé plus tadr en ansjovis, sj note en néerlandais le son /š/), « revanche », revence, sloep dérive du français « chaloupe ») et le /tš/ est donc devenu /ts/ (par exemple toorts du français « torche »).

    Le Etymologisch woordenboek van het Nederlands (EWN) explique que dans ce dialecte [picard (nord de la France)] ch (et le k correspondant à ch en français, ainsi britse, correspond à briche, « brique ») a encore été prononcé pendant longtemps comme une affriquée /č/, ce que la forme fréquente néerlandaise du XVIIe siècle ts démontre2. Alors que dans la langue française standard, la transition /ts/ > /s/ s'est produite durant le XIIIe siècle.

    C'est la raison pour laquelle on pense que les mots suivants ont du transiter par le picard : boetseren (bocher / bosser, « bosseler »), flitsen (flèke / flèche), kwetsen, kwetsuur (quachier / quasser (orthographe courante vers 1100), « casser » et cacheure / quassure, casseure, « cassure »), fatsoen (fachon / façon), rots (roque / roche)3, loods, loge, logie (loche / loge)4, plaats (plache / place), ketsen (« rebondir, ricocher ») et kaatsen (en Flandre « jouer à la balle, aux billes »)(cacher / chasser, qui donnera catch en anglais), rantsig (flamand occidental pour ranzig de ranche / rance)5... pens vient du picard pinche (panse, bedaine).

    Parfois le néerlandais a corrigé en se rapprochant du français : fors (anc. forts), forceren (anc. fortseren) de forcher / forcer, hoes (anc. hoets) de houche / houce, mtn. housse, toorts était anciennement torke pour « torche »...

     

    On sait que le suffixe -teit (-té) a gardé en néerlandais le -t final sous l'influence des premiers mots qu'il a emprunté au picard (faculteit...) où le -t final, comme on le sait, s'est maintenu longtemps, contrairement au français : ainsi en moyen-néerlandais taneit (maintenant tanig) « tanné », et tapijt « tapis », recruut « recrue », et avec le suffixe -teit : naïviteit (« naïveté »), continuïteit, majesteit, kwaliteit, kwantiteit...

    De même le suffixe -ier (prononcé i long + -r), aurait son origine dans le fait qu'en picard, par la réduction des diphtongues, on avait -i- et non -ié- comme en ancien-français. Le néerlandais a donc emprunté barbier, officier, bankier, puis le suffixe a servi à former d'autres mots pour désigner une fonction : herbergier (« aubergiste »), afgodier (« idolâtre », dans le sens religieux)... Ce suffixe a parfois été concurrencé par sa variante -enier (sur le modèle de aalmoezenier « aumônier ») : drapenier et drapier, fruitenier et fruitier...

    Encore le suffixe français -eur (ou plutôt -our, en ancien-français, avant qu'il ne soit supplanté par la forme picarde en -eur) est, à date ancienne, rendu par -oos (par analogie avec -loos), puis par -eus (équivalent du picard -eux) : diffamoos (« diffamateur »), amoureus, delicieus, komplimenteus, qui ont disparus de la langue moderne, flatteus toujours employé sous cette forme, tapageus plus tard corrigé en tapageur... Mais on a bien reformateur, labeur et labeuren (avec le suffixe -eur picard) mais jamais labour, labourer (avec le suffixe -our qui est originaire du Centre de la France).

    De là peut-être la graphie -eu- pour le son [ø], comme dans le mot keure (lois et statuts des communes de droit public), vleugel « aile », peuterig « minuscule »...

    Le préfixe her- (« encore, de nouveau ») est également emprunté au picard er-, ar- (français -re, erposer, arposer « reposer ») : herademen « respirer de nouveau, retrouver son souffle », herbebossen « reboisement », herboren « renaître », herontdekken « re-découvrir »... Ce préfixe est d'ailleurs toujours productif en flamand, tandis qu'il est souvent remplacé en néerlandais standard par l'adverbe opnieuw. Herbeginnen est outre-Moerdijk opnieuw beginnen « recommencer ».

    Il est possible qu'en plus de cette influence du picard durant le Moyen-Âge, elle ait perduré durant le XIXe siècle, lors de l'immigration des ouvriers pauvres de la Flandre belge, vers les régions carolorégienne et lilloise. En effet, beaucoup faisait des aller-retours après la création des lignes de chemin de fer.

    Les chansonniers lillois se moquaient de la prononciation flamande. Par exemple, Brûle-Maison, dans ses Chansons tourquennoises et lilloises (1813) :

    DIALOGUE

    Entre un Flamand et une Daruse

    de la paroisse de St. Sauveur.

    Air noté n.° 3.

    LE FLAMAND.

    Bon zour Jofvrouw, mon cœur,

    Moi, venir tout-à-l'heure

    Te faire de l'amourese ;

    Bon zour Jofvrouw, mon cœur,

    Moi venir tout-à-l'henre,

    Va de moi l'ai pas peur :

    Je le suis de Bruxelles,

    Belle jolie mamezelle ;

    Je le suis venu pour trois mois,

    Pour l'apprendre le bon François,

    Vous, mamezelle l'apprendre moi.

    LA FILLE DE ST. SAUVEUR.

    Mi je ne vons entend point,

    Vo fichu baragouin,

    Wettiez in pau che Flaüte ;

    Mi je ne vous entend point

    Vo fichu baragouin,

    Sommes-nous ichi à Tourcoing ?

    Vous parlez tout dervierre,

    Je ne suis point mamezelle,

    Je suis une fille de Saint Sauveur,

    Pauvre, mais ben riche en honneur,

    Ne mé fiché point malheur.

    LE FLAMAND.

    Moi le suis garçon Flamand,

    Z'ai beaucoup de l'arzent

    De mon père et de mon mère ;

    Moi le suis garçon Flamand,

    Z'ai beaucoup de l'arzent,

    Beaucoup de l'habillement ;

    Si vous voulez, madame,

    L'étre mon petite femme,

    Toi li couchera avec moi,

    Moi li coucherai avec toi,

    Dites ben oui par mon foi.

    Dites ben oui par mon foi.

    LA FILLE DE ST. SAUVEUR.

    Ti conqué aveuque mi,

    Ta ben fé va toudi !

    Va t'en Flamend de Bruxelles ;

    Ti conqué aveuque mi,

    Mi couqué aveuque ti,

    Mi je veux rester drochi ;

    Va t'en vir tes mamezelles,

    U ben tes trois Puchelles :

    Le Mann' qui piche à cheu qu'un di,

    Qui jour et nuit piche toudi,

    Va t'en couqué tout près de li.

    LE FLAMAND.

    Moi l'ai beaucoup d'écus,

    D'escalins encore plus,

    Pour li acheter une femme ;

    Moi l'ai beaucoup d'écus,

    D'escalins encore plus,

    Pour point coucher sur la rue,

    Que mon père me donne :

    Viens mon petit cochonne,

    Viens-moi me baiser volontier,

    Tu l'aura tout men'amitié.

    Quand j'aurai toi marié.

    LA FILLE DE ST. SAUVEUR.

    Je n'ai que faire de t'n'argent,

    Je n'ai point besoin d'un Flament ;

    Y sont plus lourds que des biettes :

    Je n'ai que faire de t'n'argent,

    Je n'ai point besoin d'un Flament,

    J'aim' mieux un Lillois qui n'a rien.

    Si j'étais te femmelette,

    Te ferait tourner m'tiette,

    Aveuque ti je ne sarot tout d'bon

    Betôt ni Flamen ni Wallon,

    J'aime mieux rester à m'mason.

    LE FLAMAND.

    Toi le veut pas de moi,

    Moi le veux pas de toi ;

    Ze trouverai bien d'autre fille :

    Toi le veut pas de moi,

    Moi le veux pas de toi,

    Adieu la belle je m'envoi.

    LA FILLLE DE ST. SAUVEUR.

    Adieu fichu Flaüte,

    Va t'en avec tes flûtes,

    Ne reviens plus den nos endrot,

    Mi je veux mettre d'sus men dot,

    De l'hierbe que je connot.

     

    Une chanson de Bob Dechamps (dont les paroles ont été recueillies par André Pletinckx, mise en musique par Georges Rieding) illustre à l'inverse la langue picarde parlée par les Flamands, ou en tout cas, l'image que les ouvriers avaient de leur langue parlée par l'étranger, L'accordeoneu :

     

    I

    Ze l'suis venir de Popimplûhûte

    Pac' que z'étint toudis dire à l'maizon

    Qu'a Roubignou Minhir Flahûte

    Aim' à danser au son du Cordézon.

    Quansqu'i c'est mi c'est in bon muzicienne

    Z'ai cru fair' mon z'av'nir avec en Roubizienne

    Ze suis venir in dimanz' a dinner

    Avec ma Cordézon pour zouer dinstous les Cab'rets.

     

    A Roubignou

    Amuse vous

    Brokni quir et Trek en kir

    Quant tu voulez prend' du plaizir

    N'betche zweek en ascouter'

    Quant tu voulez tertou's danser

    Cordéoneu Mi c'est toudis Zwéyeux ----- bis

    Soir et Main ze fais danser les zins ----- bis

     

    II

    Ascoute bien un' fois mam'zelle

    Quant tu vouley' çoisir un'amoureu

    Tu l'fras zamais un choix plus belle

    Quant tu prendeye un bel cordéoneu

    Dans mon maizon quend les éfants c'est braire

    C'est print' ma cordézon et rad'mind eu se taire

    Dans mon samain'ze va zamais travié

    Z gangn' bien mon quinzain' a zouer dans le cab'rets

     

    A Roubignou...............

     

    III

    Ze connais tout' les z'airs de France

    Tu pou d'mander a mis s'que tu vouler

    Quand ze l'ètent'un nouvis danse

    Faut né lontimps ou tout s' suite l'apperdez

    In z'air walon' ou ben in z'air flaminte

    Ze l'a d'ja des méday's patavna tout m'vint

    A Roubignou c'est y co mi l'meyeur

    C'est la sti décorè pou li rwè des cordéoneu

     

    A Roubignou...............

     

    La version de Raoul de Godewarsvelde a perdu ce clin d'œil, mais garde les mots flamands :

    Euj' sus venu eud' Godewarsvelde

    Par'ç'qu'ils étotent tous à dire à l'mason

    Qu'un flamind in guise d'intermède

    I'aime bin dinser au son du cordéon

    Quind's'qu'i s'invite chez eune bonne musicienne

    J'croyos faire eum'n'avnir avec eune Roubaisienne

    Alors j'sus v'nu un dimanche à dîner,

    Avec min cordéon pour juer dins sin cabaret

     

    In Roubaignot, Amusez-vos

    Trek 'n keer, brok 'n keer,

    Quind tu voudros prinde du plasi

    Euch' bekken weg, stekke weg,

    Quind tu voudros dinser avec

    Cordéoneux, mi j'sus toudis joyeux,

    Soir et matin eud' faire dinser les gins !

    Cordéoneux, mi j'sus toudis joyeux,

    Soir et matin eud' faire dinser les gins !

     

    Acoute bin eune fos ma'm'zelle,

    Quind's'que tu voudros choisir un z'amoureux

    Te t'f'ras jamais un soir plus bielle,

    Quind's'que te prendras un bel cordéoneux

    Dins ma mason, quind qu'les infants osent braire,

    Euj' prinds min cordéon et tout d'suite i va s'taire

    Pindint l' s'maine, euj' va jamais oeuvrer,

    Euj' gagne ma p'tite quinzaine in juant dins les cabarets

     

    In Roubaignot,..........

     

    Euj' connos tous les airs eud' France,

    Te peux d'minder à tout ch'ti qu'te voudros

    Quind j'que j'intinds eune nouvelle danse,

    M'faut point longtimps tout d'suite j'l'apprindros

    Chanson d'Paris ou bien de Valenciennes,

    Et oui, j'l'ai dins mes dogts et j'in fais eune rengaine

    Ouais Capenoules, ch'est encore mi qu'est l'mieux,

    Ch'est mi l'plus décoré eud' tous les cordéoneux

     

    In Roubaignot,..........

     

    Edmond Tanière la chante également, mais fait presque disparaître toute référence aux Flamands, puisque les mots difficilement interprétables, il est vrai, disparaissent :

    In rigole bien, In s’amuse bien

    Et ar’baisse-te, et ar’lèf’-te, fais z’i vire tes belles gambettes

    Et ravisse-le, et imbrasse-le, pus qu’in d’vient vieux, pus qu’in d’vient bête

    L’cordéoneux, il est toudis joyeux, soir et matin, il fait danser les gins (bis)

    Brokni quir et Trek en kir ou Trek 'n keer, brok 'n keer, pourrait se traduire par « Tire une fois, casse une fois » ; N'betche zweek [en ascouter'] ou Euch' bekken weg, stekke weg, par « Le bassin en avant, le bitoniau en avant ».

     

    Plus récemment, on peut lire les Fables de Pitje Schramouille de Roger Kervyn de Marcke ten Driessche (1923). « Dans ses Fables, il mélange l'argot des Marolles, des archaïsmes, des tournures d'autres quartiers, des flandricismes, des wallonismes. Ainsi sa langue, en tant que création littéraire sur fond bruxellois, s'allie parfaitement aux personnages, pastiches vivants de la vie quotidienne aux Marolles ou dans d'autres quartiers populaires. » Concernant les traits wallons, l'auteur indique : « "tertous", l'article défini "el", le possessif "s' monpère", la voyelle "i" au lieu de "u" dans par exemple "Dans in trou", "in peu"... De ce point de vue, les Fables semblent s'adresser en premier lieu aux Bruxellois. Au point qu'on pouvait les croire "naturellement fermée[s] aux unilingues" (Emile Kesterman, Un héros bruxellois, Labord, 1994, p.60). L'histoire de leur succès prouve qu'elles ont su dépasser ce rôle purement local. Le talent artistique de Kervyn a rendu son "argot d'art" également accessible aux francophones hors de Bruxelles. »6 L'auteur utilise donc la marollien et non le brusseleir (dialecte flamand de Bruxelles). Francis Wanet indique également qu'il aurait été influencé par le wallon. « Historiquement, de nombreux ouvriers wallons venus travailler à Bruxelles au début du XVIIIe siècle ont influencé, par leur parler, les autochtones. Implantés dans l'aire géographique située entre la rue Haute et la rue aux Laines près du couvent des Sœurs Mariolles (ou Marolles), ils ont donné naissance au bruxellois marollien. Il se singularisait notamment par l'emploi d'articles wallons comme par exemple "el" (el mettekoo...). Ce parler a cependant perdu peu à peu de son apport wallon. Popularisé en 1920 par "Les Fables de Pitje Schramouille" de l'avocat et poète gantois Roger Kervyn de Marcke ten Driessche, ce bruxellois a presque totalement disparu. »7

    Remarquons cependant qu'en fait de wallon, ces traits pourraient tout autant être picard. En effet, l'article "el" est loin d'être commun en wallon puisqu'il n'y a que l'accent carolorégien qui le connaisse (la brabançon dit "lë", le liégeois et namurois disent "li" et le bastognais "lu"). On lit également "avec es têt' en bas", "pris s'n élan", "parents de s' femme".

    Un autre trait dont l'auteur n'évoque pas est la forme de la 3e personne du pluriel du présent. Le wallon a la terminaison -èt en liégeois, -nut en namurois, -neut en carolorégien et -ant en bastognais. Ainsi on a pour le verbe "trover/trovî" (trouver), respectivement : i trovèt, i trovnut, i trovneut, i trovant. Or on trouve dans les Fables les formes "trouv'tent", "appel'tent", "penstent". A l'imparfait, on trouve "y righolliont", "commenciont" et "alliont" qui ressemblent également plus au picard "i rigollot", "comminchot" et "allot" (en wallon on a les terminaisons -ît en liégeois, -inne en namurois, et -int en carolorégien et bastognais). On trouve également le mot "feulles" (feuilles) qui se dit "fouye" en wallon. De même "s'èvell'", "boutel", "consel", "solel", "file"... On trouve également un "fernett'" (fenêtre se dit "finiesse"), un "calante" (pour client venant de chaland, caland en picard bien sûr, et dont le klant néerlandais est aussi issu), "histooreke" (petite histoire avec le suffixe diminutif typiquement flamand -ke), "ghernouil'" (qui est rin.ne en wallon). On lit aussi le mot "moisite" et "mourute" avec cette forme féminine particulière au picard (le wallon a mojheye et moite). On trouve aussi "talluur" pour assiette (de talloir), "deul" (diable) qui sont également plus picard que wallon. Par contre "à c't'heur'" est autant picard que wallon, voir français populaire. "Fachon" et "conchierze" peuvent être des défauts de prononciation flamande, mais remarquons encore la similitude avec le picard. On ne pourrait bien voir en ce "y courait d'jà envoïe" que du wallon, même si le wallon a emprunté cette formule au flamand (i corive dèdja evoye, en néerlandais hij lip al weg). "Kron" (dans par exemple "tout va kron") est également à remarquer : en bruxellois courbe se dit krüm (krom en néerlandais). En wallon, on connaît cron, tout comme en picard cran. En dunkerquois, on dit krom.

    Une étude plus poussée serait certainement nécessaire, mais il semble par ces éléments que ce n'est pas du wallon qui a influencé le marollien, mais bien un français populaire, plus proche du picard ou du wallo-picard cependant. Voici pour finir un exemple complet d'une de ces fables truculentes :

    Wisske duvait de s'mère

    Aller chiez l' verdurière

    Aprè in litter' de bière.

     

    "Heië, Wisske, zeg,

    Surtout blaaf niet te lank weg !"

     

    Wisske n'est d'jà sur le palliè

    Ell' court en bas de l'escaliè,

    Ell' clach' la port', mo son caban,

    Çuilà rest' pris dedans !

     

    Et Wisske commenç' de gheller !

    Mouma vient par la fernett' righarder,

    Et ell' se rit presqu'in' bosse,

    Avant qu'ell' va pour la fair' los.

     

    Te faut seul'ma t' mett' à courir

    Pou' les gens fair' plaisir !

    Risquer de se casser le cou !

    Et êter' tenu pour le fou !!

    J'préfèr' mieù de l'laisser pour vous !!!

     

    On le compare très vite au bargoensch, l'argot des voleurs de Bruxelles, mélange de wallon, de flamand, d'espagnol et de yiddish. On y reviendra dans la partie réservée aux argots.

    Le quartier des Marolles abritait de nombreuses familles pauvres travaillant dans la filature. Le marollien est souvent dit être la langue héritée des ouvriers wallons, donc. Mais il faudrait bien sûr s'entendre sur le sens de « wallon » ici. Il s'agit d'habitants de la Wallonie. Georges Lebouc précise qu'il s'agissait d'ouvrier hennuyers venus travailler à Bruxelles au cours du XIXe siècle, notamment pour la construction d'églises et du Palais de Justice. D'autres prétendent que le marollien a une origine beaucoup plus lointaine, qu'ils vont chercher au XVIIIe, voire au XVIIe siècle, lorsqu'un certain nombre d'ouvriers wallons du sud du Brabant8 se seraient établis à Bruxelles, dans le quartier des Brigittines et de la rue des Tanneurs. Avant la construction de la jonction Nord-Midi, on trouvait une Place des wallons (Waelsche Plaats), déjà mentionnée dans un document de 1321. Elle accueillit des tailleurs de pierre venus de Quenast, des maçons, des menuisiers, des charpentiers venus du Brabant wallons. Quenast est encore connu pour sa carrière de porphyre, utilisé pour les pavés routiers. Le village est à la limite de la frontière linguistique (le village de Bierghes est en partie néerlandophone, son nom est d'ailleurs d'origine germanique), dans l'arrondissement de Nivelles, c'est également la zone de rencontre entre le picard et le wallon. Mais si on parle encore wallo-picard (particulièrement aclot) à Nivelles, on parle encore picard dans cette petite partie du Brabant wallon, pour preuve le nom de Braine-le-Château se dit Braine-Castio dans la langue du pays. Situé dans le sud de la ville près de la Porte de Hal (ou Obbrussel, construite pour la deuxième enceinte en 1357-1383), la rue Haute (Hoogstraat, anciennement chemin de Hal, qui était déjà une voie romaine et encore la plus longue du Pentagone) continuait au-delà de la Steenpoort (datant de la première enceinte, construite vers 1250), très fréquenté par les voyageurs se rendant dans le Sud. En bref, quand on se penche sur l'origine de ces Wallons, on voit qu'ils sont des locuteurs du picard et non du wallon.

    Anecdotiquement, signalons que le marollien se retrouve dans l'œuvre d'Hergé, dont la grand-mère était des Marolles. Ainsi dans les Aventures de Tintin, les langages exotiques (arumbaya, picaros, bordure, syldave), les noms de villes étrangères (Wadesdah dans L'Or Noir signifie « Qu'est-ce que c'est que ça »), les patronymes des sheick arabes (Mohammed Ben Kalish Ezab évoquant « le jus de réglisse », Bab El Ehr, « le beau parleur »)... sont en bruxellois.9 Un autre personnage a illustré le bruxellois, le journaliste et folkloriste Jean d'Osta (1909-1993), notamment avec son personnage fétiche Jef Kazak. Le marollien continue de plaire, cependant il a changé : il s'est francisé en quelques sortes. Ainsi les traits typiques du wallon ne s'entendront plus au Théâtre du Toone.

     

    À l'heure actuelle, on remarque que tous les domaines de la langue flamande ont été pénétrés par des éléments de picard. La gastronomie : alsem de aluisne, alhsene (< lat. aloxinum « plante aromatique amère », synonyme de « Artemisia Absinthium L. », désignant la même plante, et qui donnera en français absince, absinthe), kalisse (« réglisse » en Flandre, zoethout « bois sucré » aux Pays-Bas) de régoliche, en wallon rékoulisse (« réglisse »), kampernoelie en Flandre uniquement de campaigneul, campernouille, (« champignon »), kandeel probablement via le picard, du latin caldellum « vin chaud », kapoen (« chapon » et aussi « coquin » en Flandre) de capon (« chapon, coquin, fripon »), kastanje (« châtaigner, marronnier ») de castagne « châtaigne », kokielje (en Flandre) de coquille « brioche », komfoor de cauffoir « chauffe-plat, réchaud », krakeling (« biscuit de forme de 8 ») de craquelin « biscuit », mastel, mastelle (à Breda encore, mastel, mestel, mustel) « biscuit, spéculoos, pain » de wastel, gastel (« gâteau », par assimilation du -w- avec l'article indéfini een)10, rozijn « raisin sec » de roisin, rosin, « raisin », slaatje « plat de légumes froids », de salade (ici, c'est une influence sur le sens qui joue, puisque en français, on a d'abord le sens de « plat de légumes assaisonnés » et particulièrement dans le nord de la France, le sens de « légumes assaisonnés en salades »), vork, vorket, verket de furcke, forque « fourche » et de fourquette « fourchette » (mais aussi fursjet à Tilburg, ville néerlandaise à la frontière belge)...

    Dans le domaine de la faune et la flore encore : fluwijn « fouine », du picard floène, flouène, (vlaamse) gaai de gai « geai », ivoor de ivorie « ivoire », karonje « charogne, femme vile » (injure courante dans les comédie du XVIIe siècle) et kreng « charogne, personne malveillante » de carogne « charogne », pioen de pione, afr. pyoine « pivoine », plevier de pleuvier « échassier, pluvier », en flamand schawuit, schavuit « coquin » p.ê. de cauette, cavette « chouette »...

    Le domaine de la construction, on a : arceren « hâchurer », qu'on imagine remonter au picard arcer « hâcher », arduin (« pierre de taille, azurite ») de ordon « azurite », construeren de construer « construire », harnas de harnas « harnais », kabel du normanno-picard cable que le français lui a également emprunté, kajuit « cabane de bateau » de cahute « cabane », kemenade (de keminé et le suffixe également d'origine française -ade, « pièce chauffée »), kandelaar de candelier « chandelier », kant « côté » de cant (du lat. canthus « cercle de fer pour ceindre les roues » qui donne chant, champ en français, terme technique signifiant « face la moins large d'un objet parallélépipédique », par ex. le chant d'une brique, d'un livre, d'une planche), cantus « coin, côté », kanteel « créneau », probablement de cantel, « chantel » « bord », kar « chariot, charrette », karren « rouler » de car (ou directement du lat. carrus ?), kasteel de castel « château » (à Bruxelles kastïel) et kastelein de castellain « châtelain », en Flandre kassei ou kasseiweg de cauchie « chaussée » (on peut voir des panneaux indiquant kasseistrook, « rétrécissement de chaussée », et dans le domaine du cycliste, sport traditionnel dans le Nord de la France et en Belgique, les « pavés du nord » sont traduit par de kasseien in Noord-Frankrijk, en bruxellois on trouve kassaestïen pour « pavé »), knier de carnière « charnière, gond », kozijn de cassin, « châssis », pier « jeté dans la mer » probablement de pire, piere « pilier, barrage », plank « planche », plankier, planket « plancher » de planque « planche », vliering « étage sous les toits, soupente » de filière « poutre, traverse », veranda, soit de l'anglais varanda (mot hindi varanda, lui-même emprunté au portugais varanda « balcon, balustrade », attesté depuis la fin du XVe s., d'origine incertaine, que le FEW fait remonter au lat. vara « poutre ») ou de waranda, déformation de warande « garenne, varenne »11, mais le sens de terrain de chasse, parc, et déjà anciennement à Bruxelles « réserve de chasse des ducs de Brabant » parle plutôt pour une origine locale...

    Dans le domaine de la vie sociale, on peut citer : baljuw de baliu « bailli » (cf. la rue du Bailli / Baljuwstraat à Ixelles-Bruxelles), boezeroen « sarrau, blouse » de bougeron « bourgeron, quille, blouse de soldat », dorsen de drassen « battre le blé » en afr. treschier, fatsoeneren de fachonner et fatsoen « bonne manière » de fachon « façon », fier [fir] « confiant, sûr de soi », et en Flandre « fier » de fier (via le picard, où les diphtongues française /ié/ et /iè/ sont prononcées généralement /ī/), foor « foire », kalkoen « sabot de cheval » de calcain « talon » (du lat. calx, cacis, calcaneum, origine différente de kalkoen « dinde, dindon », de Calicut, Calcoen en nl., Calcuta, mais que ce mot a du influencer dans sa prononciation), kampioen « champion » de campion, historiquement « celui qui combattait en champ clos (camp en picard) pour défendre la cause d'une autre personne ou la sienne propre, champion », kans de cance « chance », klaroen de claron, « clairon », malloot « pitre » (de malot en ancien-français « abeille, guêpe, frelon », mais le sens vient d'un dialecte du nord « bourdonnement, murmure, grondeur », chez Hécart malot, malotart, maloteux « celui qui gronde toujours »), rebus de rébus que le français a vraisemblablement emprunté au picard, verpieteren « empirer » de ver- + piètre « guenille, chiffon », wambuis « pourpoint » (de wambais, en ancien-français gambais, gambison, « vêtement d'homme ou de femme, ajusté, ordinairement sans manches et couvrant les hanches, fait d'étoffe rembourrée et piquée »)...

    Dans le domaine du commerce, on trouve : klant « client » de calant « protecteur, camarade » (et nonchalant sera emprunté du français plus tardivement), kohier « registre fiscal » de coier « cahier » (mais cahier emprunté au français), pagina « page » du pic. ou wall. pagine (en moyen-nl. pagie du picard paige « page », que le néerlandais moderne a recorrigé à partir du latin), schaats, schaatsen « patin à glace, faire du patin à glace » de escache « échasse »12, taak de taque « tâche, travail »...

    Et en relation directe, dans ces villes drapières : en flamand kamoesleer « peau de chamois » formé de camois « chamois » et le germ. leer, « peau de cuir » (on dit aussi gemsleder ou gemzeleer, proche de l'allemand Gemsleder, et zeemleer qui vient également du mot « chamois », mais reprenant la prononciation plus proche du français), kous « bas, chaussettes hautes » de cauce, « chausse », kaproen « couvre-chef du Moyen-Age » de caperon « chaperon », pan de pan, du lat. pannus « pièce de tissu, cargaison », ce dernier sens a glissé en germanique de l'ouest et dans le nord de la France vers « objet servant de garanti », vaneel « pan de quille, de sarrau » du picard vanel, ven(n)el, ou du wallon vaniel (en français van)....

    Évoquons le mot vals (fals, « faux ») qui en moyen-néerlandais était valsc et qui présenté donc un emprunt du picard falske, mot qui a été propagé par Hendrik van Veldeke, mais que le néerlandais a corrigé en se rapprochant de la forme française.

     

    Le néerlandais standard a beaucoup emprunté au picard, car c'est le dialecte germanique brabançon qui est la source de la langue standard au XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, l'époque de Joost van den Vondel (1587-1679, considéré comme le créateur de la langue et du théâtre classique hollandais) où l'on peut même comparer la première période (1605-1625) à une deuxième (1625-1679) par des mots et expressions brabançons qui disparaissent pour laisser la place à des influences frisonnes du dialecte d'Amsterdam. Mais les emprunts de la langue néerlandaise sont maintenant dirigés vers la langue française : en Flandre, elle est encore très forte, ainsi kant est emprunté au picard, mais on rencontre aussi kottee dans le sens de voisinage (de côté), on trouve kans en néerlandais standard et ounchance en Flandre occidentale (déformation de une chance), le moyen-néerlandais avait emprunté zaan (voir plus tard Sahn en allemand) au picard et qu'on emploie encore en Flandre, mais, on trouve aussi room (du germ.), kreim(e)... Mais le néerlandais de Flandre connaît aussi karotte, krotte (pour wortel), ambetant, serieus, tefrente (« différent »), vélo...

    Dans le domaine de la phonologie, on aurait remarqué des changements identiques en flamand et en picard13, signalant des contacts constants entre les langues :

    - la palatalisation d'une voyelle vélaire, par exemple ou / u (du o long latin) donnent ü (heure > uur en néerlandais, jeu > ju en picard...)

    - la réduction de la diphtongue oe en o : juene [joene] > jone (jeune en picard), v.fr. fuer > foor (« taxe, prix » en néerlandais, et qui entre dans l'expression française au fur et à mesure, signifiant à l'origine donc « au prix et à la mesure »)...

    - e long > ei : zeeën (zeyen, "voir"), -teit (universiteit...), contreie, cateil ou cateel...

    - er > ar : baret ("béret, barrette"), garnaal ("crevette", qui viendrait du moyen-néerlandais grane, gerne), haring ("hareng », en allemand Hering), karwei ("corvée"),

    - intercalation de n, m : winket (wiket), messengier (messager), pampier (papier) en néerlandais ; en picard devant les dentales et les gutturales, en wallon devant v, w.

    - intercalation de b entre m et r : kamer (chambre), komkommer... en néerlandais ; ensanle en picard.

    - métathèse de r : concredeeren (concorder), kersp (cresp), persent (présent), pers (presse) ; ertenir (retenir), guernoulle (grenouille)...

     

    Le néerlandais des Pays-Bas connaît lui aussi des emprunts au français, qui reste rares en Flandre qui conserve certains archaïsmes : « place réservée » se dit gereserveerd au Pays-Bas et voorbehouden en Flandre ; « conclusion » se dit conclusie au Pays-Bas, mais besluitsel en Flandre ; « constater » est constateeren outre-Moerdijk, mais c'est le germanisme bestatigen qui a court en Flandre ; On dit directeur au Pays-Bas et bestuurder en Flandre ; « administratif » se dit administratief aux Pays-Bas et bestuurlijk en Flandre... Cela marque le renouveau du flamand et le combat contre l'influence française en Flandre après les années 60.

     

    L'histoire de la littérature (et donc en général de la langue) néerlandaise est divisé habituellement en 4 périodes : 1° : d'environ 1250 à 1315 ; 2° : de 1315 à 1450 ; 3° : de 1450 à 1600 ; 4° : après 1600. On pense que la première période est marquée par des emprunts aux picards principalement, et précisément de la région du Hainaut (les comtes du Hainaut ont longtemps régné sur toute la Hollande, et les villes du Hainaut au moyen âge étaient importantes). On remarque les traits suivants :

    - traitement des voyelles : nobel, loods, sober, proper, plaats, filosoof, persoon, rootse, galootse, chevael, metaal, kasteel, wasteel, Lanceloot, monioot, galioot, gavelote, mat, plat, kas, gros, bek, frok, klok, koffer, geroffel, kaart, paerc, paert, taveerne, apeert, fosseit, preit, suffixe -teit, contreie, melleie, livreie, cleer, compeer, suffixe -eere (du lat. -ator), cateil (cateel), procureirre, galeie, decreet, secreet, koord, foortse, poort, part, haast, plaester, jeeste, feest, propoost, provoost, commendoor, Normendie, Vermendois, mengieren, attente, consent, rente, plantioos, penitancie, angien, seizoen, harpoen, fatsoen, visioene, hernas (harnais), britsiere (bachiere), cipau (chapeau), aisuer (azur), tarmijn, chivaetse (chevauchie), trisoor, motael (métal), musure, calomne (colonne), alminiere (v.fr. almosniere), griniaert ou greniaert (grognard), duwarie (douaire), trewant ou triwant, lemiere ou limeire (lumiere), scepter, labure (labeur), uur, habberguil (v.fr. hauberjeul), kruin (couronne), ajuin (anc. eniuun, "oignon"), capruun (chaperon), pusuun (poison), ocsuen (occasion), scuerse (écorce), buerde (bourde), beurs (bouse), proeve (preuve), foelie (feuille), vernooi ou vernei (ennui avec substitution du préfixe), oester (huitre), boei (bui), caplijs, hordijs, pruik (perruque), sluis (écluse), suiker (sucre), paaien (payer), prooi, tornooi, joie, compaen, naen, plein, Romein, paes (pais), pais, palais, fransoes, Waloes, conroot, deduut, Artois, conduit... Le changement de longueur entre le français actuel et le néerlandais s'explique selon Salverda de Grave14 par les dialectes du Nord de la France.

    - traitement des consonnes :

    - lat. ca- : kampioen, kameel, kanselier, capeel ou tsapeel (chapeau), tsaerter et rarement carter, marisauchie (maréchaucie), Tsarel (Charles), Tsampenois (Champenois), Tsaertereus (Chartreus), sier (chiere), koets (couche), rots, brootse, roke, broke, hanke... Ici les formes ka- et tse- / tsie- serait des formes normales du picard, Salverda dit « La question du traitement différent de c dans ces deux positions a déjà été soulevée par les romanistes. M. Tobler admet le double traitement, M. Sichier le nie, M. Beetz également. Et ce qui semble donner raison aux deux derniers, c'est que les patois actuels ne distinguent pas deux développements différents de c d'après la voyelle qui suit. M. Beetz dit : « Undenkbar ist es, dass man auf unserem Gebiete z. B. früher cher und heute ker sprechen konnte ». Pourtant nos mots sont là, qui disent le contraire. D'ailleurs, ne pourrait-on pas admettre que, dans le domaine du picard, aussi bien que plus tard en France, une langue générale se soit répandue et ait effacé des différences qui existaient entre les différents parlers ? (p.104) »

    - -t mobile final conservé (comme en picard et lorrain, moins vrai en wallon) : virtuut, Menfroot, Jofroot, conroot, traitier, clergiet, suffixe -teit...

    - -bl- > -v- : paysivel, payavel, conincstavel (conestable), kasuifel (chasuble), favele (fable)...

    - qu- à l'initiale : kwijt, kwartier ou cartier, quareel et careel (les mots présentant qu- et kw- serait d'origine wallonne).

    - s- devant une consonne : absence du e prosthétique (comme en wallon et les mots français en anglais peut-être due à une influence germanique) en initiale ; dans le corps du mot, il disparaît (comme en français et picard) : blaam, melleie, ile, fantoom, achemant... mais feest, pastei...

    - w dans les mots germaniques, français gu > presque toujours w dans les mots anciens : walois, wambuis, want, warisoen, wasteel, wiket...

    - iv devient -iu : baljuw ;

    - chute de l (peut-être phénomène néerlandais) : abeel ou aubeelijn (fr. aubel), abergoel (haubergeon), cassiede, coutsiede et keltsiede (fr. chalciee, pic. calchie), chivaetsie et chevautsie, acottoen (aucoton, esp. algodon), verbabeert (ébaubi), amutse (aumuce), favisage (faux visage), kandeel (v.fr. chaudel)...

    - l mouillée, n mouillé > l, n (peut-être phénomène néerlandais, même si on constate la même tendance en picard) : tale et taelge (taille), amaleeren et amalgieren (émailler), artelrie et artillerie, montane, lijn, minoot...

     

    Dans le domaine du lexique le plus étonnant sont des aller-retour (de manière anecdotique, signalons que retour est un mot que la langue de Vondel a aussi emprunté au français dans le sens d'un « voyage aller-retour »). Ainsi, tout logiquement le néerlandais Vlaam donne le picard flameng, flamand, flamind. Celui-ci forme flamingant qui retourne sous cette forme en néerlandais dans ce sens de « défenseur de l'émancipation flamande ».

    On connaît partout en France la célèbre braderie, et ses bradeux. Ce mot vient du moyen-nl. braden et brader « rôtir », et « tenancier d'une rôtisserie » . Le mot braderie est maintenant, après être marqué comme flamand jusque dans les années 50, du néerlandais standard.

    L'histoire du cabaret est encore plus impressionnante. Le latin CAMERA donne en picard camberete. Ce mot est emprunté par le néerlandais sous les formes cabaret, caberet, cabret. Il revient alors au picard et wallon sous cette forme cabaret. Le français l'emprunte alors au picard-wallon. Mais alors qu'il est un peu vieilli en France, Belgique et Pays-Bas, il connaît en Allemagne un succès incroyable, surtout sous la forme d'un Kabarett télévisuel, pendant lequel les Kabarettisten se succèdent pour brancarder la société et la politique. Les équivalents néerlandais sont cabaret et cabaretier, au féminin cabaretière.

    Encore ici, il serait vain de compter les aller-retour : le fr. blaser « émousser le sens du goût par excès de mets ou de boisson » donne le nl. blazen « expirer fortement, gonfler ». Il passe au pic. blasé et le français lui emprunte. Et il retourne au néerlandais dans ce sens de « désabusé, désillusionné ».

    Le m. néerl. avait corver « bateau chasseur ». Il est emprunté par le picard corvette « trois-mâts très léger et bien garni de voiles ». Le français lui emprunte et le renvoie au néerlandais sous la forme korvet. De même le m.néerl. maken, « faire » donne le picard maquier. Il passe au français maquiller, maquillage. Ce dernier mot est est emprunté tel quel par le néerlandais.

    Il semble également que le néerlandais klink « poignée de porte » donne en picard clenque. Et sous une forme diminutive, il repasse au néerlandais klinket.

    Pour le mot schok, schokken (« bousculer, secouer ; ébahi »), il n'est pas clair si c'est le picard chuquier, « se heurter (dans le combat), frapper ») qui l'a emprunté au néerlandais ou l'inverse.

    De même pour les mots kade « levé, digue » en néerlandais et quai en picard (que le français lui emprunte). Ce qui est sûr, c'est qu'il provient de la très vielle racine pré-celtique ou gauloise *caio- dont nous avons déjà parlé au tout début.

    Aussi le mot garnaal « crevette », anciennement garnaet. Selon les uns, il vient du moyen-néerlandais grane, gerne « moustache, barbe » (cf. l'allemand Granne, « barbe »). On nomma la crevette, par synecdoque, d'après ses antennes, comme en français on nomma la grosse crevette rose, bouquet, à cause des « barbes » de l'animal. Selon Tavernier-Vereecken (1950) et De Tollenaere (2000), il dérive d'une déformation du nom Geernaert. Pour le WNT, il dérive simplement (le r devient l, comme le west-flamand sleuter « clé » est sleutel en néerlandais) de la forme dialectale gernaat (flamand), geirnoar (west-flamand), gornout, gornaort, gorrinet (Zélande), genoat (Groningen), granaat (frison, Plattdeutsch). Cette forme dialectale viendrait du picard gorrinet, en ancien-français (avant que celui-ci ne l'emprunte au normanno-picard crevette, « petite chèvre ») guernette. Ou alors c'est le picard (et le wallon) qui emprunte la forme flamande gernaat pour faire guernate, guernade, garnate, garnache (aussi appelé seutrèle, sautrèle, « qui saute », on retrouve là la métaphore de l'origine de l'emprunt français, la crevette étant connue pour sauter), au même titre que l'allemand (Garnele qui le transmet au letton garnele, et l'estonien garneel, qui dit aussi krevett, comme le lituanien krevetė) qui dit aussi Krevette, et le russe гарнел (/garnel/, ce dernier préfère maintenant l'emprunt au français креветка /krivjetka/), alors que le polonais garde ce mot garnela dans le sens de « crevette grise ».

     

    1 Annales du Comité flamand de France, T.19, 1891, pp. 319-404.

    2 Le même phénomène est présent en anglais, puisqu'on trouve dans un Vocabulaire française-hébreu, composé vraisemblablement dans la première moitié du XIIIe siècle, en Angleterre les mots forteretse, fortse, et ratsine (pour forteresse, force et racine en français et fortereche, forche, rachine en normand). Remarquons cependant que la proximité du wallon peut avoir influencée cette prononciation, ainsi au -ch- français correspond normallement -tch- en wallon : fletche, flitche « flèche », rotche « roche », lodjî « loger »... Le néerlandais ne connaît toujours pas le son [ʃ], pour les mots plus rescents empruntés au français ou autres, il transcrit -sj- : oesjanka (russe : ouchanka, « chapka »), sjaal (français : « châle »), sjacheren (allemand : schachern « marchander »), Sjanghai (chinois : ville de Chang-hai), sjeik (arabe « cheik »), sjekel (hébreu « shekel »). Plus récemment, l'orthographe d'origine est concervée : shampoo, sharia, sheriff, shirt, chaise longue, chalet, champagne, chanson...

    3 La forme roque est attesté dans des noms de famille flamands : Van de roke, Ver(r)oken, Van der Roken, Vaerrocke, vander Roeke, Verhoken mais aussi sous la forme entière picarde de le Roke, de le Rocque, Derocq, Derock, Delrocq, Delrock...

    4 « On appelait « loges » des locaux que certains commerçants étrangers possédaient dans les villes industrielles et commerçantes. » (M.Battard, Beffrois, Halles, Hôtels de Ville dans le Nord de la France et la Belgique, Brunet, Arras, 1948, p.119)

    5 Rank (égaement en west-flamand) viendrait d'un ranque « rance ».

    6 Roger Kervyn de Marcke ten Dreissche, Les Fables de Pitje Schramouille, Lecture par Reine Meylaerts, Labor, Espace Nord, Bruxelles, 1999, p.127.

    7 Le bruxellois de poche, Assimil évasion, Buxelles, 2000, p.4.

    8 La langue a été étudiée par Arille Carlier, Les carrières d'Ecaussines, in Bulletin du Dictionnaire wallon, nos 1 et 2 – janvier 106, pp.36 et pp.144.

    9 Vinz Otesanek, Une leçon de zieverlogie (in La Gazette de Bruxelles, vendredi 9 octobre 2009), version en ligne : http://gazettebxl.interrenet.be/spip.php?article6

    10 On remarque le même traitement pour navenant, par mauvaise construction de in avenant, « à l'avenant » et pour maar « mais », par évolution de ne ware « ne serait pas ». Par ailleurs, cette racine *wastil a connue des évolutions particulières dans différentes langues romanes : ainsi en français, gâteau ; en picard, wastiau, wastieu ; en corse bastella (proche du pastillum ou pastillus latin)...

    11 Signalons que le terme garanne désignait la Picardie (cf. Marinette dans Les Souffleurs : ou, La pierre philosophale d'Arlequin, comedie nouvelle, comique, & satirique, de Michele Chiliat, 1695, act. Ier, sc. 16) : « Marinette : Quoy ! monsieur, vous ne connoissez pas à son air qu'il est de la franche Garanne ? / Mezetin fait le niais : Je suis pourtant franc Picard assurément, et de la Picardie la plus franche. » Varanne ou Varennes était également une commune du département de l'Aisne. (Études de philologie comparée sur l'argot, Firmin Didot frères, fils et cie, 1856, p.32).

    12 Signalons que le jeu des échasses était très populaire dans les Pays-Bas, et qu'il est encore pratiqué à Namur depuis le XVe siècle au moins. Le 8 décembre 1411, le Comte Guillaume II de Namur interdit la pratique de l'échasse à toute personne de plus de 13 ans sous peine d’une amende et de voir les échasses confisquées : « Oyés, Oyés, qu’on vous fait assavoir de par nostre très redobteit seingneur, monseingneur le comte, son mayeur et ses eskevins de Namur, que ne doit nuls qui voise ne monte sur escache pour escachier ne pour josteir, qui ait plus d’eaige au plus de XIII ans, si halt que sur l’amende à l’enseignement d’eskevin et les escaches perdues. » Cet édit n'a été abrogé qu'en 2011. Remarquons au passage le caratère picard du texte, alors que Namur se trouve en région wallonophone.

    13 Salverda de Grave, Les mots dialectaux en néerlandais, in Romania XXX, 1901, p.79.

    14 Les mots dialectaux en néerlandais, in Romania XXX, 1901, p.73.


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    L'anglais aussi a eu une influence du groupe normanno-picard, mais il est clair que l'influence est due surtout au normand. En effet, l'arrivée de Guillaume le Conquérant et de ses barons au XIe siècle change de manière significative la situation linguistique en Angleterre. Quelques-uns de ses compagnons étaient pourtant picard (notamment Eustache II de Boulogne, dit aux Gernons c'est-à-dire « aux longues moustaches », mot picard de même origine que « germe »). Le normand s'impose essentiellement dans les couches supérieures de la société. Les dialectes anglo-saxons se voient supplantés par le normand dans les milieux de la cour et de l'aristocratie, de la justice et de l'Église. Les milieux influents, venus de Normandie et installés en Angleterre, conservent leur langue maternelle normande, alors que les couches rurales et urbaines plus modestes continuent à parler l'anglais. Le normand en Angleterre va intégrer des mots et tournures issus de l'anglais et donnera naissance à un dialecte, l'anglo-normand. Cependant la langue anglaise a pu emprunter quelques mots d'origine picarde (ou communs au normand et au picard) quand l'Angleterre (Edouard III) régna sur les villes de Saint-Omer, après le traité de Brétigny (1360).

    Au XIIe siècle, c'est le français qui prendra le relais qui acquerra un grand prestige en Angleterre, en particulier dans les milieux aristocratiques. Il devient la langue de la loi et de la justice. Les familles riches et nobles, pour la plupart d'origine normande, apprennent le français à leurs enfants ou les envoient étudier en France. L’expansion de la langue française en Angleterre est également favorisée par les mariages royaux.

    Un épisode seulement fait penser que le picard a pu avoir une influence sur l'anglais. « From the time that the future Edward III visited Hainault with his mother in 1326 and became engaged to Count William’s daughter Philippa until the end of Edward’s reign in 1377 England’s ties to the Picard dialect area were particularly strong, with a substantial infiltration of English court circles by people from that area; Jean de le Mote, Froissart, and Chaucer’s wife are three examples. It is possible that one of the Hainuyers or Picards who came to London in these times carried with him the pastourelle section, as a whole or in parts. Froissart in particular might have done so. »1

     

    Ainsi toutes les caractéristiques phonétiques du normanno-picard se retrouve en concurrence des caractéristiques phonétiques du français :

     

    latin ce-

    norm.-pic. ch-

    cherise (cerise)

    cherry (mi XIIIe s.)

    français c-

    certain

    certain (ca.1300)

    latin ca-

    norm.-pic. ca-

    carpentier (charpentier)

    carpenter (ca.1300)(menuisier, charpentier)

    français cha-

    chaire

    chair (début XIIIe s.)(chaise, fauteuil)

    latin -icia

    norm.-pic. -che

    saussiche (saucisse)

    sausage (mi XVe s.)

    français -sse

    préjudice

    prejudice (fin XIIIe s.)(préjugé)

    latin ga-

    norm.-pic. ga-

    gauge (jauge)

    gauge (mi XIVe s.)(calibre, jauge)

    français ja-

    jargon

    jargon (mi XIVe s.)

    latin -ca

    norm.-pic. -que

    planque (planche)

    plank (ca.1200)

    français -che

    moustache

    mustache (ca.1580)

    latin -o-

    norm.-pic. -o-

    ivorie (ivoire)

    ivory (fin XIIe s.)

    français -oi-2

    cloître

    cloister (début XIIIe s.)

    latin -en-

    norm.-pic. -ẽ-

    escren > écrin (écran)

    screen (fin XIVe s.)

    français -ã-3

    sentence

    sentence (fin XIIIe s.)(peine, condamnation)

    roman /-lj/

    norm.-pic. /-l/

    traval (travail)

    travel (fin XIVe s.)4

    français /-j/

    billet

    billet [doux] (ca.1670)

    roman /-lj/

    norm.-pic. -t

    marqu(i)et (marché)

    market (mi XIIe s.)

    français -Ø

    député

    deputy (ca.1400)

    roman -ei-

    norm.-pic. -ei-/-i-

    perceivre (percevoir)

    percieve (ca.1300)

    français -oi-

    bourgeois

    bourgeois (ca.1560)

    roman -sc-

    norm.-pic. -sc-

    (e)scarpe (écharpe)

    scarf (ca.1550)

    français -éch-

    eschange > échange

    exchange (fin XIVe s.)

    germ. ga-

    norm.-pic. ga-

    gardin (jardin)

    garden (ca.1300)

    français ja-

    jambe

    jamb (début XIVe s.)(chambranle)

    germ. w-

    norm.-pic. w-

    warant (garant)

    warrant (début XIIIe s.)(mandat)

    français g-

    garantie

    guarantee (début XVe s.)

     

    L'Ordre de la Jarretière, créée par le roi Edward III, en 1348 porte le titre en anglais The most Noble Order of the Garter. Il a donc la forme normanno-picarde du mot certainement d'origine gauloise. Pierre Legrand indique encore dans son Dictionnaire du patois de Lille la forme guertier pour jarretière. Encore actuellement en anglais US garters signifie « jarretelles » (ce qui se dit suspenders en anglais britannique. Suspenders désignent les « bretelles » en anglais US. « Bretelles » se dit braces en anglais britannique).

     

    Viennent du normanno-picard, reconnaissables à leur forme phonétique :

    • -l final : bottle « bouteille », candle « chandelle », travel  « travail », griddle « gril en fonte »...

    • -ch- pour -ss- : anguish « angoisse », brush « brosse », cherry « cerise », chisel « ciseau », sugar « sucre »5, cushion « coussin », fashion « mode » (de façon), mushroom « mousseron » (un champignon), paunch « panse », pinch « pincer », to launch « mettre à l'eau, lancer une attaque militaire » (de lancer), to botch « bâcler, saboter » (de bosser), urchin « hérisson », parish « paroisse », vetch « vesce » (plante à fourrage), sausage « saucisse » (en moyen-anglais sawsyge), escutcheon « écusson », to miche « rôder, louvoyer » (de mucher)...

    • -ca- pour -cha- : cable « câble », camel « chameau », canon « chanoine », capon « chapon », carpenter « charpentier », catch « attraper » (de chasser)6, catchpoll ou catchpole « huissier, officier charger d'arrêter les débiteurs » (de chasser), cattle « bétail » (de cheptel), cauldron « chaudron », caudel « grog, vin chaud, lait de poule » (boisson britannique de même origine que le chaudeau, mais le terme ne s'emploie que dans un contexte moyenâgeux), caulk « isoler, colmater » (de cauquer, du latin calicare, terme de nautique), car « char », to carry (« charrier, porter, transporter »), castle « château », to escape « échapper », can, « cruche » (en ancien-français chaine), carbuncle « escarboucle » (anciennement escharbocle), carrion « charogne », crone (injure) « vieille bique, vieille couette » (de charogne), canker « chancre », cant « jargon, parole insignifiante, inutile » (de canter), cant « arête » (en écossais), caitiff « lâche, misérable » (de chétif, caitif, du lat. captivus), to cater « accueillir, organiser des réceptions » (de acheter) et caterer « traiteur », scallion « poireau, ciboulette » (apparenté à « échalote » qui subi en français une substitution du suffixe -ogne par -ote), causeway « chaussée », scarce « rare » et scarcely, scarcity (de scars, « mesquin, faible, peu abondant », escarcelle est de même origine), scarf « écharpe », case « boîtier » (apparenté à châsse), to scald « échauder », to scamper « gambader, détaler » (de escamper), kitten et kitty (probablement de l'anglo-normand kitoun, variante du français chitoun, « petit chat »), gantry « grue de chantier » (certainement de gantier, cantier)...

    • -que- pour -che- : pocket et poke « poche », kennel « chenil », to perk « se revigorer » (peut-être de se percher), plank « planche », rebuke « réprimande » (de bouque ou buquer), tuck « coup de tambour » (de toquer), skew (« fausser, incliner », de esquiver), fork « fourche, fourchette », task « tâche », clock et cloak « cloche », rock « roche », to truck « troquer » (truck dans le sens de « camion » a une autre origine)...

    • -ga- pour -ja- :7 garden et gardener « jardin », « jardinier » (l'étymon germanique à évolué naturellement en yard « jardin, cour, chantier », comme Gestern en allemand est yesterday, « hier »), garter « jarretière, fixe-chaussette, jarretelle », gauge « jauge, diamètre », game « boiteux » (dans le dialecte du nord des Midlands, peut-être de gambe), gams en argot « guibolle, belle jambe de femme », gammon « jambon », gambrel roof « toit à deux pentes » (dérivé de gambrel, qui désignait les jambes arrière des chevaux, et poutre servant suspendre des carcasses), garbage « poubelle » (de gerbe, terme qui exprimait aussi le mépris)...

    • -w- pour -g- : wicket « guichet », to wait « attendre » et to await « attendre qqch » (de guetter), wafer « gaufre », wage « salaire » et wager « pari, parier » (gage, gager), wyvern «guivre » (sorte de dragon), warrant et warranty « mandat » (de garantie), to waste « gaspiller » (de gâter), wastes « étendues sauvages » (de gâtine, terre inculte), war « guerre » (en moyen-anglais wyrre, werre) et warrior, warden et warder (mot attesté qu'au Royaume-Uni) « gardien », wardrobe « garde-robe », reward « récompense, prix » et award « prix » (de regard, synonyme d'égard), warren « garenne », wince « grimace » (probablement de guenchir « (faire) changer de direction », gauchir et gauche ont la même origine), wallop « raclée, claque » (possiblement de galop)...

    • -s- pour -es- : spool « bobine » (de spole, espole, espeul « broche de fileur »)...

    • -in- ou -en- pour -an- : screen « écran » (probablement de escren, forme découverte dans le Glossaire de Douai, édité par Enée-Aimé Escallier8, datant du dernier quart du XIIIe s. signifiant « panneau servant à se garantir de l'ardeur d'un foyer »), trencher « tranchoir, trancheuse »...

     

    D'autres mots emprunté à date anciennes sont aussi d'origine normanno-picarde comme disturb, « déranger » (et disturbance) de destorber, truncheon « matraque » de tronchon (tronçon, petit tronc), meddle « immiscer dans » de medler (forme de mesler, mêler), band « bande, bandeau, ruban », receipt « recette » puis « ticket de caisse, reçu », tawny « tanné », sewer (excavation)...

    Raspberry (« framboise » en anglais moderne, en vieil anglais hindberge, comme en allemand Himbeere), s'explique peut-être par une influence dialectale d'oïl. On enregistre la forme raspis berry au XVIe siècle, qui viendrait de raspise (nom d'un vin rosé), en latin vinum raspeys. Le nom de ce vin viendrait du vieux français raspez « vin trop léger ou éventé que l'on a bonifié en y faisant macérer des raisins secs ou en y ajoutant du raisin nouveau » (lat. raspecia, raspeium), ou plus vraisemblablement du wallon raspoie « fourré ». Raspez viendrait d'un b. lat. *raspare (qui donne « râper »), que le FEW fait remonter, en raison de sa grande extension dans les langues romanes, au germanique occidental raspôn « rassembler en raclant » (cf. l'a. h. all. Raspôn « id. », le néerl. raspen « râper »). Le mot a cependant pu être emprunté plus tardivement au mot francique correspondant.

     

    Il y aurait donc plusieurs milliers de mots d'origine française introduit en anglais durant les trois siècles de bilinguisme de la cour. En effet, les membres de la Cour et les barons venus de France parlaient une sorte de langue d'oïl, plutôt normande (même si de nombreux compagnons d'armes de Guillaume le Conquérant venaient d'autres régions que de Normandie). Mais si les emprunts au normand ont eu lieu très tôt et sont restés rare (plus de 5 000 environs), et ceux au français ont suivi en nombre (selon Henriette Walter, les deux tiers du vocabulaire). En fait, on peut penser que, comme en néerlandais, s'est opérer une correction des formes normanno-picardes au fur et à mesure que la langue française opérait son expansion. Ainsi le Anglo-Norman Dictionary recense les formes normanno-picardes cair, caeir et kair pour la forme française retenue chair « chaire, chaise », ou caeine, kein, keine pour chain « chaîne », capele, capelle pour chapel « chapelle », calenge, calenje pour challenge, ou encore les formes gaiol(l)(e), gayole, gao(e)l(e), gaoll, ghaole, gael pour jail « geôle », gai, gay pour jay « geai », ou encore way, wai pour gay « gai »...

    Les deux formes étaient donc en concurrence durant un temps. Et parfois les deux formes sont restées mais ont pris un sens différent. On peut donc s'amuser à trouver des doublets, l'un d'origine normanno-picarde, l'autre d'origine française : scallion et shallot (échalote), warant et garantie, catch et chase, chive et civet, candle et chandelier, launch et lancer, botch et boss (protubérance), poke, pocket et pouch, car et chariot, cattle et chattel, canker et chancre, pocket et pouch, tuck et touch, wage et gage, warranty et guarantee, warden et guard, reward et regard, wallop et gallop, skew et eschew...

     

    D'autres mots sont présents que dans les langues d'oïl du Nord-ouest :

    • to trundle « sortir en poussant, avancer lourdement » (trondeler, « rouler », cité par Edmond Lecesne, que l'on retrouve peut-être dans l'expression longue-trône, par télescopage avec longue-prone, « lambin »), to growl « gronder » (grouler, « grogner, gronder, ronchonner »), to fudge « esquiver, truquer » (fuche !, feuche !, exclamation de mépris, forme subjonctif imparfait du verbe être), belfry « beffroi » (altération de la première syllabe par analogie avec bell « cloche »), flounder « flet » (flondre, poisson plat), gash « entaille, entailler » (garser, « entailler »), chive « ciboulette, civette », fitch et fitchew « putois » (du picard fichau)9, cockle « coquille », to shake « secouer » (saquer), sackbut « saqueboute » (sachebote, ancien instrument à vent, sorte de trombone à coulisse), scavenger « charognard, faiseur de poubelles, récupérateur » (à l'origine « éboueur, personne chargée des encombrants », du moyen-anglais scawageour « officier de Londres en charge de relever les taxes des produits vendus par les marchands étranger, du picard ou wallon escauwage « inspection », du néerlandais schouwen, « regarder, inspecter »), warbler « fauvette » et to warble « gazouiller » (de werbler, verbler « chanter en modulant, gazouiller »), tack « clou » (de taque, encore dachète chez Hécart).

     

    Le suffixe adjectival et nominatif -ory (« having to do with, characterized by, tending to, place for ») descend du moyen-anglais -orie, est également un emprunt au normanno-picard -ory, -orie (en ancien-français, c'était -oir, -oire). Souvent ajouté à des mots d'origine latine (consistory, ivory), mais aussi sur d'autres mots tels que : excrete et excretory, sense et sensory, statute et statutory...

     

    Cela est même sans parler d'une influence dans le domaine de l'orthographe, on dit, par exemple, que la façon d'écrire le mot « ice » (glace) viendrait d'une influence des habitudes françaises, le mot d'écrivant is en vieil-anglais (voir encore le frison iis, le néerlandais ijs, et l'allemand Eis). La prononciation en -d- dans murder (vieil-anglais morðor) est également une influence du mot ancien-français « murdre » (meurtre). Plaster a longtemps été écrit plastre (« plâtre »), plague était plage (« fléau, plaie »), tongue vient de tunge (« langue »), chandelier était chaundeler ou chandelabre (« lustre »), le mot français agraver a été, en français, en aggraver au XIVe siècle et, en anglais agrieve l'a été en aggrieve au XVe siècle, de même aggrandize « agrandir » qui est l'ancienne orthographe française, flotation provient de float. Zinc a pris l'orthographe française. Dependant et un nom et dependent est un adjectif, de même antic (nom) et antique (adjectif). Encore opaque (aussi un adjectif) et critique (celui-ci un nom) sont typiquement français, autre exemple de modèle similaire quay (anciennement key, keye, caye). Confidant, pelican, représentent la prononciation française. Même le mot italien terzetto prend l'orthographe française tercet (strophe de 3 vers), comme le mot fugue dans le même domaine de la musique. La prononciation de ceramic (au lieu de *keramic) vient de celle française. Bier et lemonade sont aussi les orthographes presque françaises (bière et limonade). Celery et radish également (céleri et radis).

    La graphie de l'ancien-anglais est issue des efforts des graphistes normands. Les digrammes ch, sh, gh (qui remplace le yogh runique, dans le mot night par exemple), th (qui remplace les lettres thorn, comme dans thick et edh comme dans that) et w (anciennement vv ou uu et remplace la lettre wynn, comme dans wise) sont dus aux habitudes françaises. C'est également pourquoi on écrit queen et non plus cwen. Pour mieux distinguer également la lettre -u- des autres lettres, on l'écrira -o- dans certains mots (tongue, love, son...).

    Une autre particularité des langues germaniques est l'absence des consonnes sonores (ou voisées) telles que v (grave), z (choose), th (that), et ʒ (angel). Celles-ci se sont développées en anglais par l'influence française. De même apparaissent les diphtongues ai/ay (chaine, quay), ew (jewel), ou/ow (velour, allow de allouer), au/aw (because, tawny de tanné) et oi/oy (noise, voyage).

    Enfin, on sait qu'il était d'usage d'écrire, en moyen-français -y en fin de mot (notamment parce que la forme de la lettre est plus facilement reconnaissable), on écrivait donc iceluy, fleury, ʃçay (je sais), ayder, parquoy, vray... jusqu'en 1709. Dans le Miracle de l'enfant donné au diable (de 1339), on lit Elle te sera vraie amie, mais Juge vray, entendez a nous. Il semble que l'anglais ait conservé cette tradition (to cry > cried, to pay > paid/payed, history > histories).

     

     

    Dans le domaine de la grammaire, la forme du pluriel en -s qui l'emporte largement en anglais (au contraire des langues germaniques) est également une influence de l'ancien-français. De plus, l'ordre des mots dans la phrase reflète l'ordre du français, à savoir Sujet-Verbe-Objet (au lieu de Verbe-Sujet-Objet plus courant en allemand ou en latin). Certains adjectifs présenteront une postposition par rapport au nom : secretary general, attorney général et surgeon general, letters patent et letters close, body politic, knight errant, the devil incarnate, time immemorial, court-martial… De ce fait, les Anglophones ont parfois du mal à savoir où le pluriel doit se mettre : attorneys-general tout comme attorney-generals se rencontrent. On dit que la forme you généralisée pour le tutoiement et le vouvoiement aurait commencée au moment de l'influence française, remplaçant le thou (tu et forme du vouvoiement) et le ye (vous, forme pour s'adresser à plusieurs personnes).

     

    Le préfixe en- est aussi une influence du français sur le préfixe in-, certains étymons forment maintenant des doublons : ensure/insure « assurer », encase/incase « mettre dans une case », engrave/ingrave « graver », emplead/implead « emplaindre » (accuser, porter en justice), empanel/impanel « enregistrer, former un panel », endue/indue/indew & endow/indow « enduire, induire », engrain/ingrain « grêner, grainer », enrichment/inrichment « enrichissement », entitle/intitle « titrer »...

    Parfois le mot principal n'est même pas d'origine française : enmesh/inmesh/immesh « mettre en filet », entwist/intwist « tordre, natter », enwrap/inwrap « envelopper », enwreathe/inwreathe « natter, tresser, emmaillotter », enwrite/inwrite « inscrire »...

    Certains mot en in-/im- sont obsolètes : employ/imploy « employer », enhace/inha(u)nce « enhaucier » (relever, élever), enclose/inclose « enclore, enfermer », engage/ingage « engager », enrage/inrage « enrager », embrace/imbrace « embrasser », enchant/incha(u)nt « enchanter », encounter/incountre « rencontrer », endorse/indorse « endosser », endure/indure « endurer », enforce/inforce « forcer, renforcer », enflame/inflame « enflammer », engender/ingender « engendrer », envelop(e)/invelop(e) « envelopper », engird/ingirt « ceinturer », enmingle/inmingle « mélanger »...

    Parfois c'est le mot avec préfixe en-/em- qui sont devenu obsolètes, l'influence du latin d'origine ayant jouer un rôle : enclude/include « inclure », enfringe/infringe « enfreindre », endoctrine/indoctrinate « endoctriner », empassion/impassion « passionner », enmix/inmix « mixer, emmêler », emprint/imprint « imprimer », embed/imbed « mettre au lit »...

    Le mot d'origine latine en in- est parfois en parallèle avec le mot d'origine française ou anglaise en en- : enjoin/injunction « enjoindre / injonction », embodiment/incarnation « personnification, incarnation », embolden/inspire « encourager, inspirer, mettre en force »

    Parfois, la forme du suffixe est acceptée des deux côtés de l'Océan Atlantique, mais un sera majoritairement utilisé d'un côté ou de l'autre : enquire (Angleterre)/inquire (États-Unis) « enquérir » et on discute encore du sens de chaque orthographe, inquiry « requête, mise en question (en Australie), recherche (au Canada) » et enquiry « questionnement ». Enlighten et inlight se dispute les sens de « illuminer » au sens propre ou figurer.

    La prononciation de schedule en anglais britannique (shed-yul) est une influence française, alors que les Américains prononcent le mot à la grecque (sked-yul). Le mot programme s'écrit également à la française en Grande-Bretagne mais program aux États-Unis. Floroun a été modernisé en fleuron plus français.

     

    Le suffixe diminutive -kin est attesté la première fois au milieu du XIIIe siècle, d'abord dans les noms propres venant de Flandres et Hollande comme Jenkins, Dickens et Dickinson, Wilkins, Wilkinson. D'autres noms ont été formés ensuite : Atkinson (sur Adam), Peterkin, Perkins, Parkins (sur Peter), Hawkins (sur hawk, « faucon »), Watkins, Wilkinson, Tomkinson, Hodgkinson, etc. Le dernier date de 1900 : Munchkin par L. Frank Baum dans le Magicien d'Oz. A la traduction de Heidi en anglais, on a parfois choisi Peterkin pour Peterchen.

    Alors qu'il n'a jamais été productif en français (on note frusquin, lambrequin, ribaudequin...), il l'a été en néerlandais sous la forme -ken (en moyen-néerlandais -kijn, -ken (en moyen-néerlandais on trouve bareelkijn « petit baril », baldekijn, baudekijn « baldaquin », wimmelkijn « vilebrequin », rammeken « ramequin », broseken « brodequin », manneken « mannequin », trosseken « troussequin », kruisken « trusquin »...) qui a évolué en néerlandais standard dans le très productif -tje10 : Anke et Anneke, sur Anna, Elke sur Adelheid, Femke sur Frid « paix », Funske sur Alfons...), et en picard sous cette forme -kin. On pense que c'est là son origine, on trouve donc dans le dialecte : verquin « mauvais verre », painequin « mauvais pain », rouquin (mot originaire du Nord), et les noms Pierrequin, Gilkin, Gilquin, Vifquin11...

    Actuellement en anglais, il se rencontre sur une trentaine de mots : napkin « serviette », catkin « châton », lambkin « agnelé »... La plupart sont formés sur radicaux dialectaux ou archaïques) : bodkin « poinçon », manikin « petit bonhomme », pannikin « petit pain », welkin « voûte céleste »... Chez certains locuteurs, il reste productif : babykin, devilkin, elfkin...

    On rencontre aussi kinsfolk ou kinfolk dans le sens de « famille », le suffixe devient ici préfixe !

     

    On note également quelques noms de lieu en Angleterre qui sont d'origine normanno-picarde. L'élément -bel- ou -beau- se retrouve souvent : Beaulieu, Belvoir, Beaudesert, Belper, le promontoire Beachy Head est une déformation de Beauchef, Bewdley en est une de beaulieu, et Merdegrave fut changé au XIIe siècle en Belgrave, l'élément Merde issu de « marten », martre prêtant à l'ironie. On rencontre aussi -val- ou -vau-, comme dans Rievaulx et Jervaulx Abbey, ou encore l'élément -mont-, dans Montacute, Egremont ou Mountsorrel. On trouve Chapel-en-le-Frith, Capel-le-Ferne, et encore Chester-le-Street avec l'affixe onomastique français lez et lès (par exemple Garges-lès-Gonesse). Cela fut une telle mode qu'il s'y retrouve dans Hartlepool ou Hetton-le-Hole, Chapel-le-Dale, Barnetby-le-Wold, Normanton-le-Heath, Newton-le-Willows, alors qu'il n'a rien à y faire étymologiquement. L'élément capel et chapel se retrouve aussi dans Chapel, Capel et encore Capel St Mary et Capel St Andrew. On trouve également Boulge, issu de bouge, signifiant surface non cultivée. 

    On sait tous que maintenant c'est le français (et d'autres langues) qui emprunte plus à l'anglais que l'inverse. Quand un Anglophone utilise un mot français, c'est pour marquer sa pédanterie en quelque sorte. Quand un Francophone emprunte un anglicisme, c'est que le besoin se fait sentir, la plupart du temps, mais aussi parfois pour faire « hype ». Mais il est amusant de constater que parfois, quand on utilise un anglicisme, celui-ci vient du fond normanno-picard et non du français :

    • boxon « lupanar, pagaille » est emprunté à l'anglais qui lui-même l'avait emprunté soit à une forme de bouc (symbole de débauche) soit à bocard (mot de la mine, machine très bruyante, servant à concasser le minerai). Pour Albert Dauzat, il passe par la Normandie.

    • car, emprunté à l'anglais d'abord dans le sens de « wagon », puis comme aphérèse de « auto-car » dans le sens de « bus », est issu de la forme normanno-picard de char.

    • caterpillar, « gros engin de chantier » doit son nom à la marque Caterpillar, mais elle doit son nom à la « chenille » (du fait de ses roues en chaîne) en anglais, et le nom de la chenille en anglais caterpillar, vient de l'ancien-picard caterpilose (maintenant ca(r)pleuse, ca(r)plute), venant du latin CATTA PILOSUS, litt. « chat poilu ».

    • catch, est une réduction de l'expression anglaise catch-as-catch-can, soit « attrape comme tu peux », or ce catch est issu de la forme normanno-picarde cacher, en français chasser, dans le sens d'« essayer d'attraper, chasser (un animal) » (le mot picard cacher a maintenant uniquement le sens de « aller chercher »).

    • camping est un emprunt de l'anglais datant de 1905 qui prend son origine dans la forme normanno-picard camper, sur camp « champ ». La forme campus, réemprunté à l'anglais américain dans le sens d'« un ensemble de bâtiments universitaires », vient de la forme latine, et non de la forme normanno-picarde. Mais quand on dit camping-car, on croit parler anglais, alors qu'on parle presque picard ou normand.

    • le catering devient de plus en plus à la mode (« service de livraison de repas pour les entreprises »), alors que le terme était particulier au domaine de l'aviation (« repas pris en vol ») et du monde du spectacle (« repas servis à l'équipe pendant un tournage »), en anglais, le mot à la sens de « ravitaillement » et vient de to cater, « organiser une réception, accueillir, offrir le repas », et son dérivé caterer, « traiteur ». Ce mot est l'aphérèse de acater, mot encore très courant dans le Nord de la France, pour acheter.

    • choke en français de Belgique désigne le « starter », et vient de l'anglais to chock, « choquer », ou chock « cale » venant de l'ancien-picard chuquier « se heurter, se frapper », ou du normanno-picard choque « souche ». Une influence du moyen-anglais choken, aphérèse de achoken, acheken « étrangler » (de même origine que cheek « joue », par glissement de sens, puisque à l'origine ce mot désigné la « machoire »).

    • cottage, a une longue histoire et résume à lui seul les contacts entre les peuples romains et germaniques en Europe. Le proto-germanique *kuta-, *kutō- a donné en néerlandais kot (que les étudiants belges connaissent bien, puisqu'il désigne leur petit logement) et le norrois kot, køyta « cabane », qui donna en normand cote, cotage, cotin (et coterie). Les Anglais emprunteront le mot cottage, pour désigner une « maisonnette ». C'est ce sens qui est courant en français. En picard, notamment dans le Nord de la France, on appelle un kotje (diminutif néerlandais de kot) une « cabane », ou un « chalet » servant soit de débarras, soit d'appentis pour les outils de jardin. On pense que les mots dialectaux allemand Kietz (« petite maison de pêcheur » dans le Brandenbourg), Kietze (selon le lieu, « maisonnette pour vendre les fraises », dans le langage de la mine, « boîte servant à conserver l'argile »), Kötze (« corbeille, hotte »), et les mots allemands Kiste (« boîte, caisse »), Kästchen (« cartouche, case »), Bauernkotte (bâtiment de ferme), Chotte (en schwytzerdütsch ou suisse alémanique, « chalet rudimentaire », qui donne en français de Suisse l'expression se mettre à la chotte, « se mettre à l'abri des intempéries »)... sont tous liés par la même origine.

    • le croquet est un jeu de crosse encore pratiqué au Royaume-Uni, au Canada et aux Etats-Unis et la scène d'Alice au pays des merveilles est encore dans la tête de tous les (grands) enfants. Le terme et le jeu sont originaires de l'aire normanno-picarde, croquet, étant le « crochet » permettant de renvoyer la balle. La crosse, le hockey, le golf en sont tous dérivés.

    • le gallon (impérial, britannique ou canadien) est plus courant au Canada qu'en France, mais ce n'est pas un terme qui nous est inconnu. En 1983, on décide au Canada de passer au litre (non sans quelques difficultés). Mais pour les Cadiens de Louisiane, il reste d'actualité, même s'il n'a pas la même contenance (4,54609 litres pour le gallon impérial et 3,785411784 litres pour le gallon américain). Toujours est-il que le terme remonte au français du nord galon (en ancien-français jalon et jalaie, ce dernier donnant jale, « cuveau des vendangeurs »), désignant des « mesures pour les liquides ». Les mots français galon et jalon ont eux d'autres origines.

    • marquer (un joueur pour l'empêcher d'agir), dérive de to mark, descend du normanno-picard marque « limite ».

    • marketing est un terme important du monde moderne, et on sait qu'il est dérivé de market, mais qui sait encore que le mot vient du normanno-picard market, markiet « marché » ? Il désignait à l'origine la « place du marché », puis l'« action de marchander ou d'acheter », et marketing se définie selon le TLFi par l'« ensemble des études et des actions qui concourent à créer des produits satisfaisant les besoins et les désirs des consommateurs et à assurer leur commercialisation dans les meilleures conditions de profit. »

    • le mot mouette est emprunté à l'anglo-normand mew, mave, mauve avec suffixation -et, -ette. Le normanno-picard l'avait lui-même emprunté au germanique Mewe (Möwe en allemand « mouette »). Le terme est resté sous sa forme germanique en normanno-picard mauve. Tandis que l'anglais utilise maintenant le mot d'origine celtique gull pour désigner l'oiseau.

    • faire du skate est courant sur toutes les places. Le mot vient du néerlandais, apporté lors du retour des Pays-Bas des réfugiés anglais partisans de Charles II. Le patin à glace est en effet courant sur les canaux bataves. Or le mot néerlandais schaats « patin à glace » vient du mot picard escache, forme septentrionale de « eschasse », le mot échasse descend lui-même du francique de même sens *skakkja. La pratique des échasses est encore courante, notamment à Namur où des concours ont toujours lieux.

    • le mot français standard « référence, modèle, exemple », dérive de l'anglais. Lui-même vient du normanno-picard standard dès le milieu du XIIe siècle, lui-même du francique *standhard, « stable, fixe » (de stand et hard), l'étendard l'« enseigne de guerre » étant souvent planté en terre sur le champ de bataille. Le glissement de sens en anglais de étendard à standard n'est pas élucidé.

    • avoir le catering durant le trajet en l'avion est devenu un standard parmi les compagnies aériennes, on l'a dit. Les stewards et stewardesses en font partie également. Le mot provient du vieil-anglais stiward, stigweard composé de stig « hangar, enclos » et de weard « gardien », et comme on l'a vu, ward(er) est la forme normanno-picard de « garde ». Le sens de « responsable de l'approvisionnement et des repas sur un vaisseau » est attesté depuis le milieu du XVe siècle. C'était aussi le titre d'un officier haut gradé (sénéchal royal) en Angleterre et Écosse, poste consistant à « prendre en charge les affaires au nom d'un employeur ». Walter Fitzalan (the) Steward (descendant d'un combattant breton de la bataille de Hasting, son nom signifie « Fils d'Alain »), qui s'est marié en 1315 avec Marjorie de Bruce, fille du Roi Robert II Stewart est à l'origine du nom de la famille royale d’Écosse les Stewart (le -t final étant un trait du scots). Jacques V Stewart d’Écosse (l'un des derniers rois de cette maison à avoir le gaélique écossais comme langue maternelle) donne naissance à Marie Ière d'Écosse, qui francisera son nom en Stuart, car elle sera élevée en France dès 1548 ; elle deviendra reine de France à dix-sept ans, après l'accession au trône de son mari François II, du 10 juillet 1559 au 5 décembre 1560.

    • les joueurs de whist ou de bridge (le nom de ce dernier est originellement du russe b(i)ritch ou Russian Whist) emploie le mot trick ou tri pour signifier qu'il y a une levée supplémentaire aux 6 prévues. Le mot vient bien sûr de l'anglais trick « ruse, astuce » (que l'allemand a emprunté dans ce sens) et to trick « tricher », mais l'anglais l'avait emprunté au moyen-âge à la forme normanno-picarde du mot français « triche ». On connaît aussi parfois l'expression d'Halloween trick or treat « une farce ou une friandise ».

    • enfin dans le domaine du commerce, un warrant (et warranter et warrantage) désigne un récépissé délivré aux commerçants, en gage de marchandises dans un entrepôt. Le mot est une forme picarde de « [se porter] garant ».

     

     

    Qui sait également qu'avant de nous revenir au début du XVIIIe siècle, l'ale était déjà connu dans le Nord de la France au XIIIe siècle ? En effet, on a vu que le vocabulaire français de la brasserie s'est enrichie de mots venus de cette région, et dans le Registre aux bans municipaux de la ville de Saint-Omer, concernant les Couretier et Hostelier, l'article n°195 stipule : « Nus brasseres d'ale ne puet metre en s'ale autre chose ke blei, avoine et orge et autre grain et eawe. »12 Pour ce terme, on imagine un emprunt parallèle à l'anglais ale et au néerlandais aal qui reste employé dans le mot aalbes « groseille » (du proto-indo-européen *h2elu- « amer, aigre », dont les mots d'origine latine alun et aluminium sont apparentés), donnant en picard ale et goudale (en français godale), « bière sans houblon » se rapprochant de ce qu'on appelle Malzbier en Allemagne (« bière de malt »). Quand on boit un ginger ale, on renoue sans le savoir avec la vieille tradition brassicole du Nord de la France, même si le mot goudale (et les godallieux / godalliers) est oublié en France. Cependant il est encore très vivant en Belgique sous la forme wallonne guindaille « beuverie d'étudiant, repas bien arrosé », avec ses dérivés guindailler, et guindailleur.

     

    1 http://www.lib.rochester.edu/camelot/teams/wjchms.htm.

    2 L'ancien-français avait -ai- et -ei- d'abord, le -oi- est originaire des dialectes d'oïl de l'est et du nord et se prononcera /-wa-/ en français à partir du XIIIe siècle. Le -oi- picard ne s'est pas réduit dans toutes l'aire picarde en -o- (frod), il a évolué en -oé- notamment dans le sud et l'ouest de l'aire picarde (froéd) et -ow- sporadiquement ailleurs (frowd).

    3 L'orthographe française -an- reste -an- en anglais : chance, change...

    4 On considère que le /lj/ roman abouti à /j/ en français vers le XIIIe siècle. Les mots que l'anglais emprunte au français présentent le son /-jl-/ : tailor fin du XIIIe siècle (tailleur, anc.-fr. tailleor), veil début du XIIIe siècle (voile, anc.fr. veil)... L'évolution du sens de travel remonte à l'ancien-français "travailler" dans le sens de "se donner la peine, faire souffrir" qui reflète la dureté de la journée de travail et des voyages au Moyen-Âge.

    5 Henriette Walter indique : « La prononciation anglaise de la première consonne de ce mot (un peu comme le ch de chou en français) est une indication de la prononciation probable du s en ancien-français » (Honni soit qui mal y pense, Robert Laffont, Paris, 2001, p.102). Le Online Etymology Dictionary indique lui « The pronunciation shift from s- to sh- is probably from the initial long vowel sound syu- (as in sure). » C'est là aussi une explication qui ne convint pas. En effet, survey présente également le /ˈsɜːveɪ/ ainsi que sue (/suː/, /sjuː/) et la prononciation de sugar est /'ʃʊɡə(r)/. Nous y voyons nous un emprunt au normanno-picard, la prononciation du s ayant resté stable du latin au français. On voit mal en effet, la raison pour laquelle le s latin (lat. saccharum) serait passé au son ch (chucre) en ancien-français pour redevenir s plus tard (sucre) en français. Le problème est également que ce mot est d'origine étrangère (on le trouve écrit sous la forme çucre chez Chrétien de Troyes et zucre chez Guillaume de Berneville). Toujours est-il que le mot saint emprunté par l'anglais au début du XIIe siècle se prononce /seɪnt/, suspicion emprunté à la fin du XIIIe siècle est prononcé /sə'spɪʃn/, et suggestion emprunté au milieu du XIVe siècle se prononce /sə'dʒestʃn/. Signalons qu'il n'y a aucun mot anglais commençant par shu- d'origine français ou latine, et que tous les mots commençant par su- se prononce tous /s-/. Sugar et sugary, son dérivé, et sure et surely, surety, ses dérivés, sont les seuls mots commençant par su- et à se prononcer /ʃ-/. Le plus simple est donc de considérer ce mot comme un emprunt au normanno-picard (/'ʃʊɡə(r)/ comme chucre), mais écrit à la française (sugar). Bovelles au XVIe siècle, avait noté que les Picards disent chucre et torse, ce que les Français disent sucre, torche (Théodore Rosset, Les origines de prononciation moderne étudiées au 17e siècle d'après les remarques des grammairiens et les textes en patois de la banlieue parisienne, A. Colin, Paris, 1911, p.324).

    6 Le prétérit et participe passé caught, est un des rares exemples de verbe d'origine française qui soit irrégulier, pour l'expliquer, on pense à une influence de verbe to latch on « accrocher », que la forme to catch à remplacer dans plusieurs de ses sens.

    7 On remarque les doublons : garden/yard, garbage/yarrow comme on a warrant/guarantee... Le mot target "cible" vient de l'a.fr. targe (XIIe siècle). Cependant on prononce bien /ˈtɑːgɪt/, comme dans le verbe (se) targuer de même origine. Littré indique que targ(i)er a évolué en targuer sur l'influence de l'occitan targar. Mais on peut se demander si le mot ne serait pas en fait d'origine picarde. Le CNRTL donne la citation qui peut le faire penser (déb. du xiiies., Pierre de Corbie ds Bartsch, III, 33, 16: ele se targast de toi); « se couvrir d'une targe » (1269-78, Jean de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 15789), mais n'explique par l'évolution de targier en targuer.

    8 Enée-Aimé Escallier, Remarques sur le patois, suivies d'un vocabulaire latin-français du 14e s. (1856), p.212.

    9 Apparenté à fuseau (le putois étant de forme allongée) aurait donné en moyen-néerlandais fitsau (encore en flamand fitsjau, visse, "putois" et l'anglais fitch ou fitchew "putois". (Noël Dupire, Alternances phonétiques en picard, in Romania, 1927, T.53, p.172)

    10 La forme normale du diminutif au pays flamand est en -(e)ken, -sken (sauf en flamand occidental où il est proche de la forme néerlandaise). Ainsi en bruxellois, on a menneke (« bonhomme »), balleke (« boulette »), stukske (« petit morceau »), breuke (« p'tit frère »), zinneke (signifiant « bâtard » et venant de la Petite Senne ou la Sennette, le canal qui depuis 1561 contournait Bruxelles pour éviter des inondations, de là « un chien bâtard » qui parfois terminait son existence dans la Zinneke. Par extension, les zinnekes sont les personnes qui vivent à Bruxelles), krotke (« petite crotte »)...

    11 Le suffixe -kin/-quin se trouve encore principalement dans la province de Liège : Renkin, Rennequin, Hennequin, Claskin, Clasquin, Bulskin, Halkin, Wilkin, Pietkin, Raskin, Tilkin, Tilquin... Vulcain en Bourgogne, autrefois écrit Villequain, Vuilcain, Vuilquin (diminutif du prénom Guillaume / Wuillaume formé avec le suffixe -quin). Il fut aussi emprunté par l'allemand, dans quelques mots : Schapellikîn (syn. de Schampellîn, dim. de Schapel, « couronne », de chapeau), Baldekîn, Harlekin, kindekîn « petit enfant », gebûrekîn « petit paysan », Küken « poussin »...

    12 Arthur Giry, Histoire de la ville de Saint-Omer et de ses institutions jusqu'au XIVe siècle, F. Vieweg, Paris, 1877, p.517. On a presque ici affaire à la Reinheitsgebot allemande, ou "décret sur la pureté de la bière" qui, datant de 1516, constitue l'un des plus vieux décrets alimentaires européens. Le texte précise donc que les seuls ingrédients autorisés étaient l'orge, le houblon et l'eau. Bavaroise originellement, elle fut étendue à toute l'Allemagne et est maintenant partie intégrante de la loi fédérale de taxation de la bière (Biersteuergesetz).


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    Vous ne pensiez pas que le destin du picard (ou à une époque plus ancienne le normanno-picard) pouvez nous emmenez si loin. Et vous pensez qu'il serait étonnant qu'il atteigne d'autres contrés. Et pourtant...

     

    L'allemand :

    « L'influence provençale s'est exercée particulièrement dans les formes poétiques et les genres lyriques ; elle a été moindre sur la langue elle-même. En revanche, l'esprit et le goût de la chevalerie, les us et coutumes, prose et vers de l'épopée courtoise, sont entrés en Allemagne par l'Ouest : la Picardie, les Flandres et la Lorraine ont joué le rôle d'intermédiaire. L'admiration des Allemands pour le chevalier flamand se trouve même exprimée dans la littérature, comme par exemple dans le Gregorius de Hartmann van Aue (V.1397 - V.1406) :

    « Ich sage iu, sît der stunde

    daz ich bedenken kunde

    beidiu übel unde guot,

    sô stuont ze ritterschaft mîn muot.

    Ichn wart nie mit gedanke

    ein Beier [ =Bayer] noch ein Franke.

    swelch ritter ze Henegöu,

    ze Brâbant und ze Haspengöu,

    ze orse ie aller beste gesaz,

    sô kan ichz mit gedanken baz. »

    « Je vous le dis, depuis le temps où j'ai pu juger et de ce qui est bien et de ce qui est mal, c'est vers la vie chevaleresque que se sont tournés mes désirs. Jamais en imagination je n'ai pensé devenir Bavarois ou Franconien. Mais quelle que fût, en Hainaut, en Brabant ou en Hesbaye, l'adresse avec laquelle les chevaliers se tenaient en selle, je croyais en moi-même pouvoir faire mieux encore. »

    « Ce n'est pas par hasard que Heinrich van Veldekel est originaire du Limbourg »1, du comté de Looz, près de Hasselt, actuelle Belgique et région flamande. Le Hainaut, ou Hainau (en néerlandais Hennegau, de la rivière Haine et du germanique gou/gau, « pays/contrée » ou « comté »), est une région transfrontalière, à cheval sur la France et la Belgique de langue picard. Le Brabant (de braec ou broek « marais » et bant « région ») est de langue flamande et picarde (picard-wallon). La Hesbaye (en néerlandais Haspengouw) est à cheval sur les région wallonophone et flamandophone et l'origine du nom serait lu germanique hasp « terre des prairies » (première mention Hasbannium en 1064, en latin).

    E. Tonnelat est plus circonspect est dit : « Il semble pourtant qu'entre la France et l'Allemagne les intermédiaires les plus actifs aient été les milieux courtois de Flandre et peut-être de Lorraine. Les rapports de voisinage étaient constants entre les chevaliers de ces régions et ceux des pays rhénans, et plus d'un terme du vocabulaire chevaleresque porte la marque de son origine flamande. »2 Quand on sait que la Flandre subissait à cette époque largement l'influence de la langue picarde, on comprendra pourquoi l'on retrouve du vocabulaire picard en ancien-allemand, et encore en allemand contemporain.

    Le Limbourg et le Bas-Rhin sont les berceaux du néerlandais et de la littérature néerlandaise du XIIe siècle. C'est là qu’apparaissent les premiers documents littéraires de cet idiome, notamment car au Nord, le francique, qui est à la base du néerlandais, ne dépassait vraisemblablement pas encore le Rhin vers 800. Au XIIIe siècle, la Flandre (Jacob van Maerlant) et la France prennent le relais, notamment le Roman de Renart aura une grande renommée. Le Limbourg est la province qui se trouvait, sous le prince évêque de Liège Notger, à proximité du « foyer peut-être le plus ardent de la vie scientifique et littéraire de l'Empire »3.

    La littérature moyen-allemande est alors également éprise de culture française. Du XIe jusqu'au XIVe siècle, la littérature en langue d'oïl avait été la première de l'Europe. Elle se transmet en Allemagne (et jusqu'en Islande) : les Rittergesänge de Hartmann von Aue, Walter von der Vogelweide obtiennent une belle reconnaissance. Parzifal (de Cals Wisse et Philipp Colin), Parzifal und Titurel (de Wolfram von Eschenbach) ou L'Eneit (de Hendrik ou Heinrich van Veldeke) sont truffés de mots et expressions françaises. Ce dernier texte est largement basé, plutôt que sur la version latine de Virgile, sur la version française, le Roman d’Énéas, d'un auteur inconnu, mais écrit en français teinté de traits normanno-picards. Car on ne sait si Hendrik parlait ou comprenait le latin, mais on sait qu'il connaissait le français, puisque ses connaissances littéraires sont en grande partie basées sur la tradition épique et lyrique du Nord de la France.

    Durant l'époque du Minnesang (littérature courtoise en moyen haut-allemand, au XIIIe s.), l'allemand emprunté plus de 700 mots au français, au provençal ou au picard. La métrique allemande également subit une simplification en se conformant aux habitudes de la métrique venues d'outre-Rhin.

    Les textes du moyen-âge voyageaient d'une pays à l'autre. Ainsi, à titre d'exemple, la légende de Floris est reprise par le texte allemand Trierer Floyris (1170) dont on ne possède que des fragments. Puis apparaît Floire et Blanceflor dans une version dite populaire (peut-être par le Tourangeau Robert d'Orbigny) et une version aristocratique (De Florance et de Blanche Flor). Floire et Blanceflor présente plusieurs caractères picards, mais francisés : por Diu merchi, acater, roïne, li pour le mas. et le fém., ocoison, lechon, fius, ne bués ne vache... Ce manuscrit, le plus complet, est d'un scribe picard qui se nomme lui-même : « Cis, Jehanes Mados ot non, / Qu'on tenoit a bon compaignon. / D'Arras estois : bien fu connus / Ses oncles, Adans-li-Bocus. »

    Les deux seront traduit et on possède les versions de l'Alsacien Konrad Fleck (Flor and Blanscheflur, 1220), ainsi que du Flamand Diederic von Assenede (Flôris ende Blanceflor) et en bas-allemand (Von Flosse un Blankflosse), ainsi qu'en anglais (Floriz and Blauncheflur), danois (Eventyret om Flores og Blantzeflores) et suédois (Flores och Blanzeflor), puis islandaise (Flóres saga ok Blankinflúr). La version bas-allemande a du être reprise d'une version picarde ou provençale comme l'atteste la forme Blankflosse, et parmi les mots français, on trouve schar (char), kemenade (chambre, de keminé), scole (école), nappelin (petite nappe), neppe (nappe), runt (rond)... L'Italien Boccace la reprend en 1327 avec Filocolo (qui sera traduit en français, allemand et espagnol) et l'Allemand Hans Sachs en fait Florio, des Königs Sohn en 1545.

    Dans une étude4 sur les mots d'origines françaises chez l'auteur Gottfried von Strassburg (vers 1180-vers 1215), pourtant originaire, comme son nom l'indique, d'Alsace, on voit que les mots à la consonance picarde sont présents : kastêl, kastelân, discanter, furkîe/furke, banekîe et bankenîe (a.fr. banoier, banoyer, lat. banicare, « se divertir, s'amuser »). On peut aussi s'interroger sur la prononciation à l'époque de -sch- dans blansche mains, marschandîse et marschant, schanze, schanter et schanzûn, schapel, schepelekîn, schevelier, schumpfentiure (« déconfiture ») et entschumpfieret... On remarque également une constance du -t final : adjût, amant, avant, comant, ciclat (lat. cyclatum, « soie brodé d'or »), moraliteit, mort... en précisant cependant qu'en lorrain, il n'était pas encore disparu de la prononciation, comme en Bourgogne ou dans le Centre de la France.

     

    La région néerlandaise est alors en grande partie bourguignonne, et la langue de la cour bruxelloise et de l'état est alors le français. Mais au XIIe siècle, c'est encore le picard qui domine dans cette région (on peut ainsi lire des chartes de la ville de Gand en picard). Il lui était certainement aussi facile de passer du picard au français, comme de passer du moyen-néerlandais au moyen-allemand. Cette influence française s'est exercé de 1150 à 1250 environ. L'idéal chevaleresque est donc propagé par les Troubadours, puis les Trouvères. Mais par le picard et le flamand. Ainsi le doublon Wappen (« armoiries ») / Waffe (« arme ») indique leur origine, Wappen étant un emprunt tardif au flamand wâpen, le deuxième est l'évolution normal du mot ayant subi la deuxième mutation consonantique qui veut qu'un -p- intervocalique ou final se change en -f-. On trouve en allemand d'un côté Pfalz (du latin palatium), avec mutation consonantique, Palast, Paladin (« noble ») et Palais (du français « palais »), et encore Palace (du français par l'anglais).

    Le mot Tölpel (« empoté »), issu de törper, dörper signifiant « villageois », est en allemand Dörfer. Précisons que le mot « vilain » a la même origine (lat. villanus) et a également était emprunté en allemand sous la forme du synonyme vil(l)ân. Le mot allemand, flamand d'origine, Ritter (« chevalier »), précise le domaine de prédilection de ces emprunts. Il répond au mot allemand Reiter « cavalier ». C'est ici la voyelle longue du mot rîtaere, qui évolue différemment, en flamand ridder (avec un i court) et rijden (« conduire ») en néerlandais, reiten (« faire du cheval ») en allemand (avec une diphtongue). On signale encore le suffixe de diminutif -kîn (kindekîn, « petit enfant », gebûrekîn, « petit paysan ») alors que le diminutif haut-allemand est -lein (Kindlein, Bäuerlein). Schapellikîn (syn. de Schampellîn, dim. de Schapel, « couronne », de chapeau), Baldekîn, Harlekin, sont d'autres exemples. L'équivalent allemand est dans le Nord -chen (moyen-allemand) ou -ken (bas-allemand) et dans le Sud -lein (haut-allemand).5 En allemand moderne standard, on utilise le plus souvent -chen (Brötchen, Hallöchen, Küsschen, Füchschen...), sauf quand la prononciation ne le permettrait pas (Büchlein « livret », Küchlein « biscuit », Bächlein « ruisselet »). Le suffixe -kîn a été corrigé en allemand moderne par la forme -chen (évolution due à la deuxième mutation consonantique), sauf dans quelques mots d'origine sensiblement plattdeutsch, tel que Männeken. On a vu qu'il était encore présent en anglais.

     

    N. van der Sijs (Klein uitleenwoordenboek, 2006) précise que, pour les mots néerlandais fluit « flûte » et juweel « joyau, bijou », on connaît la route précise : du normanno-picard, au Pays-Bas et Hainaut, jusqu'à l'Allemagne où l'on retrouve Flöte et Juwel.

    De même pour le mot Scharlach « écarlate », qui est emprunté du néerlandais scharlaken (c'est le mot laken « drap », qui influence la finale de la forme française originale escarlat), la couleur rouge venant principalement de Gand. En allemand, il est cependant toujours difficile de savoir si le mot est emprunté au pays flamand ou au bas-allemand, les dialectes étant très proches et en constant contact.

    Le moyen-néerlandais a souvent été un trait d'union « Da das deutsche Sprachgebiet keine gemeinsame Grenze mit dem Pikardischen hatte, leuchtet es ein, dass die pikardischen Wörter des Mittelhochdeutschen durch das Mittelniederländische vermittelt wurden das sein französisches Lehngut in der Hauptsache aus dieser Mundart schöpfte »6. Cela est facilité, on l'a dit, par la similitude entre les dialectes néerlandais et niederdeutsch d'origine bas-allemand. A l'époque du moyen-âge, les villes hanséatiques communiquent à l'aide du Mittelniederdeutsch « moyen bas-allemand » (période de la langue de 1100 à 1500).

     

    Ainsi le mot picard comtor « comptoir de commerce » s'est transmis au néerlandais kantoor (ce qui désigne maintenant toute sorte de « bureau »), et passe en allemand Kontor « bureau » (surtout Handelskontor « comptoir » ou Kontorhaus « maison de commerce », dont il en existe plusieurs de célèbre à Hambourg), puis dans les langues scandinaves kontor et même en espéranto kontoro. De même, c'est certainement par le néerlandais que le mot normanno-picard Kabel « câble » est arrivé en allemand. De même, le mot picard cant « arrête, chant, côté », néerlandais kant et allemand Kante « arrête », kanten « culbuter », kantig « anguleux ». Encore le mot picard flanc, fém. flanque et flanquer (que le français emprunte à la même époque), donne en néerlandais flank, flankeren, et en allemand Flanke, flankieren, Flankierung « flanquement ». Planke (« planche, madrier ») du picard planque par le néerlandais, et Blankscheit (« planchette ») qui a, lui, disparu, Kapaun transite certainement aussi par le néerlandais capoen (« chapon »). On explique la forme moyen-haut-allemande (îser)kolze (« pantalon de maille » du moyen-âge), de îser (« d'acier ») et du moyen-néerlandais coutse, cous (de la forme picarde de « chausse »), mais germanisé, car les noms néerlandais en -ou- sont -ol en allemand (Gold / goud « or », Holz / hout « bois »...). Krakeel (« bruit »), est un mot néerlandais et allemand d'origine obscure, mais qui provient peut-être du français (ou picard) querelle (lat. querel(l)a), avec le préfixe courant en picard et wallon cra-/cara-. Kalengieren est un emprunt du néerlandais calengeren, « accuser », de calenge « challenge », mais il a disparu de la langue allemande actuelle. Kanzel « chaire d'église ; cockpit » (ahd. kanzella, mhd. kanzel) vient bien du latin tardif cancella « clôture, barrière (à l'église devant l'autel) » du pluriel latin cancellī « clôture ». Mais on imagine plutôt que Kanzlei (mhd. kanzelīe, kenzelīe (avec suffixe -īe sur mhd. kanzel), mhd. tardif kanzellerīe) « chancellerie », aurait été influencé par le moyen-néerlandais cancelrie, cancelerie (le néerlandais actuel a corrigé sur la forme latine au XIXe siècle en kanselarij), lui-même sur le picard canchelie, canchelerie, plutôt que sur la latin cancellaria. De même pour le néerlandais kanselier « chancelier » et l'allemand Kanzler (et le féminin Kanzlerin), sur le picard canchelier.

    En allemand, on a Kavalier, pour « chevalier », il emprunte le mot à l'ancien-provençal, cavalier si proche de la forme picarde kevalier. Le français réempruntera la forme cavalier, qu'au XVIe-XVIIe siècles. De même pour le mot Kastell (« fortification, château fort »), Kastellan (et les formes schatelân, tschachtelân, tschachtlân, aujourd'hui disparu de la langue moderne auquel on préfère Schloss et Schlossherr), venant du néerlandais kasteel, kastelein, qu'il a lui-même emprunté au picard castel, castelain (en français, l'équivalent était chastel, chastelain). Le mot ancien-haut-allemand gabilôt (« javelot ») est également emprunté au français sous sa forme normanno-picarde gavelot (en allemand, on préfère maintenant Wurfspiess, litt. « lance de jet »), forme que l'on trouve encore dans Glossaire roman-latin du XVe siècle (ms. de la Bibliothèque de Lille) sous les formes gaverlot et garlot à côté de javelot. De même, le mot d'origine norroise *hernest « provisions pour l'armée », composé de herr « armée » et de nest « provisions » est passé en français sous la forme herneis, harnois, harnas et a été emprunté par l'allemand sous la forme Harnisch.

    Certains mots sont aussi proche du latin, mais avec une forme romane. Durant le vieux haut-allemand (entre 750 et 1050) déjà se fait sentir un affaiblissement des voyelles qui ne sont pas sous l'accent tonique (initial dans les langues germaniques), durant le moyen haut-allemand (entre 1050 et 1350), cet affaiblissement est systématique (même si certains documents du XIVe siècle, écrit dans certains dialectes, conservent les voyelles du vieux haut-allemand).7 C'est un peu plus tard (dès 1170, surtout durant le XIIIe siècle, et jusqu'aux XIVe-XVe siècles) que la langue allemande emprunte les mots d'origine latine, française, italienne. Les mots allemands empruntés au latin connaîtront donc le même affaiblissement vocalique : lat. Palantia, devient ahd. phalanza puis mhd. Phalze et enfin Pfalz (« palais ») ; lat. monēta devient ahd. munizza, puis mhd. Münze (« monnaie »).

    Ainsi le latin canna est passé à la forme Kanne « bidon ». On peut donc supposer que cette forme vient du latin ou du picard (en afr. chane « cruche ») plutôt que de l'italien, ou l'emprunt est plus récent et provient du latin. De même Kappe (et Tarnkappe, « chapeau d'invisibilité » dans les contes), vient de cap (lat. cappa) que le français emprunte aussi au picard. Kasteien « châtier sa chair, se mortifier » vient du picard ou du latin. Kemenate (pièces chauffée, puis appartement des femmes d'un château) et le nom de lieu Kemnade, ainsi que Kemlade (maison noble du moyen-âge près d'un marais) est de la forme picarde de keminade (par le néerlandais) plutôt que du latin camīnāta. De même Glocke « cloche », du picard cloque ou du latin clocca. Dechant ou Dekan « doyen », vient du picard decan ou du latin decanus. Kapelle vient sûrement de capelle « chapelle » plutôt que du latin cap(p)ella ou de l'italien cappella.

    Plusieurs mots aurait pu aussi être empruntés à l'italien : Faschine du picard fachine « fascine, fagot » ou de l'italien fascina. Kampieren « camper », vient de « camp » que le français a aussi emprunté au picard ou à l'italien (par contre l'allemand avait déjà emprunté au latin campus, aussi par le néerlandais, mais avant la deuxième mutation consonantique, dite haute-allemande qui change le -p- en -pf-, ce qui donne donc Kampf ; campen et Camping sont des emprunts à l'anglais). Pour Kastanie « châtaigne » le doute est permis, le mot est originaire du picard ou de l'italien.

    Beaucoup de mots sont aussi présents en français, et il est difficile à dire si l'allemand l'emprunte à cette langue ou au picard. Kaputt « cassé, patraque », vient de l'expression « faire capot », dont on ne sait pas si elle est d'origine picarde ou provençal. Rebus a aussi été emprunté par le français au picard. Kahn (« canot »), de canot (sans le suffixe) à moins que le picard et l'allemand l'emprunte tout deux au néerlandais Kaan « bateau ». Karde et karden « carde » et « carder » est français, mais lui-même l'a emprunté au picard. Kalander « calandre », pourrait aussi faire penser au latin, mais la forme est plus proche du picard, dont la première mention date du XVe siècle (calendruer, kalendreur et calendrer) « cylindre pour lustrer les étoffes » dans l'Escript de lewiuer d'entre Jehan Carpentier et Jaquemart Pincemaille, écrit à Tournai.

    Vient du picard imper ou du lorrain emper, le verbe impfen « faire une piqûre, vacciner » (et son dérivé allemand Impfung « piqûre » (du latin *imp(ə)āre, variante de *imputāre).

    On n'a presque aucun doute que le mot Erker, originellement « barbacane » (ouvrage de fortification avancé qui protégeait un passage, une porte ou poterne), et maintenant plus communément « oriel, bow-window », vient du picard arquière (« embrasure, fenêtre, voûte » du latin arcuarius, français archière, archère, meurtrière oblongue pratiquée dans les murs par laquelle les archers tiraient de l'arc ou de l'arbalète). Son chemin est identique, le néerlandais l'a emprunté au picard et l'allemand au néerlandais. Son avenir aurait pu être encore plus grand, si le néologisme Gesichtserker (« archère de visage ») inventé par Philipp von Zesen avait été conservé dans la langue pour remplacer l'emprunt Nase (qu'on prenait à tort pour un emprunt français). Cet écrivain allemand, qui voulu combattre, dans le cadre de la Fruchtbringende Gesellschaft (« Société des fructifiants ») organisée en 1617 (donc 18 ans avant l'Académie française, sur le modèle de la l'Accademia della Crusca de Florence de 1583), la trop forte influence du français sur l'allemand ne se doutait alors pas qu'il reprenait un mot d'origine picarde.

    Le mot Posaune (« trombone ») vient du néerlandais bazuin, emprunté lui-même au français bo(i)sine, buisine8, du latin *bucina. Le picard et le wallon connaissent le mot buse, « tuyau » (que le français lui a emprunté) et busier, businer dans le sens de « réfléchir », de même origine ; mais la question se pose si ce mot vient directement du latin ou a été emprunté au néerlandais buse, buyse, « tuyau », mais d'après J. de Vries dans son Nederlands Etymologisch Woordenboek (1971), le néerlandais serait emprunté au français. Le Trésor de la Langue Française imagine alors l'hypothèse d'un *bucina survivant en zone marginale et dans les domaines spéciaux (médical notamment). Joseph Desiré Sigart dans son Glossaire étymologique montois donne le verbe busier, businer, buseler, bisié avec les sens de « hésiter, balancer, réfléchir » en le comparant au flamand beuzelen, « vétiller, baguenauder, lanterner. »

    D'autres mots disparaîtrons en même temps que les valeurs chevaleresques : amies, amie « bien aimée », prisant « présent, cadeau », joie « joie, plaisir », Schalmei « chalumeau, chalemie » (qui était un instrument de musique, le mot normanno-picard camulet a été emprunté par le français pour désigner le roseau dont les tiges servaient à faire des tuyaux de pipe, et de là la pipe des Indiens d'Amérique). Jost « duel, joute », turnzûne « morceau de lance cassé », Baron... sont empruntés, sans qu'on puisse leur imputer une origine picarde, lorraine ou française. Muster (« exemple, modèle » de moustrer, « montrer ») est conservé mais avec un glissement de sens qui ne permet plus de reconnaître l'origine romane.

     

    Cependant on peut trouver plusieurs caractéristique du picard en allemand. Ainsi comme en néerlandais, le son picard -ch- et français -ss- est rendu par -z- /ts/.9 Le picard garchon, et le français garçon donne l'allemand garzûn (qui disparaît de la langue moderne). Zâ, zâch, zâh (« ça » disparu de la langue moderne), côvenanz (« convenance » disparu), lunze (« l'once », disparu), zinke (« cinq » au dé, mot disparu), brâzël (de « brachelle », protection du bras de l'armure), ridewanz (de « rotuenge », sorte de danse où l'on tourne). Ainsi le picard ranche, et le français rance donne le néerlandais rantsig (mtn. ranzig) et l'allemand ranzig. Le picard panchier / français pancier (de pance, « ventre ») donne Panzer (moyen-haut-allemand panzier, panzer « cuirasse, armure ». Le pic. danche / fr danse donne Tanz par le moyen-néerlandais dans, danz (mtn. dans). Prinz (« prince ») est du picard prinche. Fazit « bilan, résultat », viendrait du latin facere ou du picard fachet « aspect, face » (c'est précisément dans le sens de « gracieux » qui est présent en ancien-français). Le picard lanche (« lance ») donne Lanze. Capuche que le français à emprunté au picard donne Kapuze en allemand. Peliche « pelisse », donne Pelz (poil d'animaux), Plats vient de plache, place. Latz (« bavette »), vient du picard lache (afr. lacs, laz) « nœud, lanière » et Litze (« cordon »), du picard liche, lichette (lat. licia). Trunze (corrigé en drumze par infl. avec Drum et drumen) de « tronce, tronçon ». Tërrâz (« terrasse », corrigé en Terrasse). Franze (maintenant franse, de « frange »). Matratze du picard materach, « matelas »...

     

    Quand on voit la forme du mot d'ancien-allemand loschieren, on peut penser qu'il vient directement d'une prononciation picarde de loghe, loige, loge. Là aussi l'allemand a corrigé plus tard le mot en logieren « loger ». De même les mots disparus leischieren, leisiren (« laisser aller la renne »), Karrosche (« carosse »), Borretsch (« bourrage » et « bourrache », forme française empruntée au picard), chervulle (« cerfeuil »), paschen (de « passer, faire de la contrebande », mais Paß, passen et passieren sont du français, et passen veut dire « acheter » en bargoensch, l'argot des bandits)...

    Comme en néerlandais, le suffixe agentif -ie, est en allemand -îe. Certains disparaissent comme vësperîe (« soirée »), rôberîe (« cambriolage » mot de même origine que le français « dérober », Räuberei est d'un emploi rare et familier) ou vilanīe (« vilenie »). Mais l'allemand moderne connaît et produit toujours des mots avec ce suffixe devenu -ei, (et -erei sur le suff. germ. -aere) : Meuterei (« mutinerie » de meute), Partei (« partie »), Melodei (d'emploi poétique encore « mélodie », mais Melodie est aussi employé couramment), prophezeien (« prophétiser »), Tyrannei (« tyrannie »), Bastei (« bastion »), zouberīe > Zauberei (« magie » sur Zauber « envoûtement ») et jegerīe, jagerīe > Jägerei (« chasse » sur Jäger « chasseur »), Bäkerei (« boulangerie » sur Baker), Fischerei (« pêche » sur Fischer), Kinderei (« enfantillage »), Schreierei (« cris »)... Il prend un sens collectif dans Länderei (« bien rural »). Il forme aussi des noms sur les verbes en -eln : Bettelei (mendicité sur betteln, « mendier »), Heuchelei (« hypocrisie », sur heucheln, « feindre »).

    Le suffixe -tet, qui a donné -teit en néerlandais, sera emprunté par l'allemand sous la forme -tät, productif uniquement sur des racines étrangères (latines ou françaises principalement) : Moralität, Trinität, Loyalität, Universität, Majestät, Rarität, et encore Radioaktivität et même Pikardität (chez l'auteur Carl-Theodor Gossen)...

    Depuis Joseph Kassewitz (Die französischen Wörter im Mittelhochdeutschen, Diss. Strassburg, 1890, p.61), il est admis qu'il provient d'une forme picarde. Mais Emil Öhmann critique ce point de vue et le fait remonter à un compromis entre la forme latine -tas, -tatis (que l'allemand connaissait déjà -tât : majestât, trinitât...), et la forme française -té quand à partir du XVe siècle (écrit alors -tet : universitet, facultet, prodigalitet...), les mots français arrivent en masse en allemand. Au XVIe siècle, l'orthographe -tät fait son apparition pour quelques mots (trinität, gratiosität...), orthographe qui gagne de plus en plus de terrain au XVIIe siècle, avec le retour à une orthographe plus étymologique (de même, on écrit donc plus tregt ou heuser, mais trägt et Häuser).10

    Les formes similaires se retrouvent dans tous les cas dans les langues germaniques occidentales : luxembourgeois (universitéit), afrikaans (universiteit) et yiddish (וניווערסיטעט [universitet]).

    Ce suffixe qui est en latin -tas (universitas) donne :

    • en italien -tà (università), universitad en romanche, en espagnol -dad (universidad, de là le basque unibertsitate), en catalan -tat (universitat), en portugais -dade (universidade), universitate en roumain, et en anglais -ty (unisersity).

    C'est donc par le truchement de l'allemand que la forme picardisante se propagera très loin :

    • dans les langues scandinaves : universitet en danois, suédois et norvégien,

    • dans les langues slaves : университет en russe et bulgare, університет en ukrainien, унiверсiтэт en biélorusse, универзитет en serbe et macédonien, univerzitet en bosniaque, uniwersytet en polonais, le slovène prend le mot « faculté » dans le même sens pour faire fakulteta (le tchèque et le slovaque présentent les formes univerzita ou universita). 

    • en albanais : universitet,

    • en lituanien (universitetas) et en letton (universitāte)...

    Par le russe, il atteint les langues turques :

    • universitet en azéri et ouzbek, uniwersitÿet en turkmène, uniwérsitét en ouïghour (le turc préfère la forme française üniversite),

    • et le géorgien : უნივერსიტეტი [universiteti].

    • et c'est encore cette forme qui inspire Zamenhof pour l'espéranto : universitato.

     

    L'initial ka- et la final -ke est reconnaissable dans : Kappe « bonnet, toque, chape, coiffe » (mais aussi l'ancienne forme Schappe, de l'anc. fr. « chape »), Pocke (« pustule », Edmond Lecesne donne poquettes comme équivalent de la petite vérole en patois artésien en 1874) et Pickel (« bouton, pustule »), du néerlandais, lui-même du picard poque « poche », Bracke de braque (le chien de chasse), dont la première mention est trouvée dans le Glossaire romanlatin de Lille, Karre (allemand du Nord et du Centre), Karren (allemand du Sud et Autriche)(« charrette, chariot », puis « bagnole, bécane »), Karch (sud-ouest, « brouette à deux roues ») du néerlandais carre, kerre, lui-même du picard kar « char ». Mais beaucoup n'ont pas survécus : cosa, kôse (« chose »), capriun « chevron », calamel (« chalemel, cuirasse de la jambe »), Furke et Furkîe (« fourche »), Kanel, kenel (lat. canalis, « caniveau »), Enkel (de ankel (litt. petite hanche, « cheville »)...

    La ga- initial ne se rencontrait que dans gambe et campa (« jambe ») mais il a également était vite inutilisé, à moins qu'il se retrouve dans le verbe gammeln « traînasser », mais une origine germanique est aussi avancée. Sa forme sans le -b- s'explique par les formes suivantes, avec l'absence de consonne épenthétique entre les géminées -mm- : Kummer (de [en]combrer « chagrin, peine »), Kammer (de kambre « chambre, alvéole ») et Kämmerer (kamerer, et le fém. kamererîn, kamerîn « valet de chambre », qui se dit maintenant Kammerdiener). Ce flottement entre -mm- et -mb- et -nn- et -nd- est également courant en allemand : par exemple, le moyen-haut-allemand mâne donnera l'allemand Mond (lune) et minnest donne mindest (au moins), lamb > Lamm, zimber > Zimmer... Le néerlandais connaît aussi cette assimilation : au Kenntnis allemand (« connaissance », de kennen) répond le kennis néerlandais. Et pour l'allemande Kinder (néerlandais kinderen), on a en luxembourgeois Kanner.

    La nasale -en- (pour -an- en français) se trouvait dans Blâmenschier (de « blanc mangier », une façon de préparer un plat).

    De même, on connaît l'instabilité du e- prosthétique devant s + cons. en picard et en wallon. Ainsi, on peut penser que le mot (e)stival « bottine » a du venir d'un de ces dialectes pour aboutir à l'allemand Stiefel « botte ». De même pour (e)stout, (e)stouz « hardi, téméraire » (lui-même d'une racine germanique *stolt), qui donne l'allemand Stolz « fier ».

    Le w- initial qui est conservé en picard, wallon et lorrain retourne en allemand sous les mots : wanz (« gant »), et waste (afr. gastine, gâtine « désert, terre en friche, lieu inculte et sauvage », du latin vastus) qui ne sont pas conservés dans la langue actuelle, et dans wambeis, (et wambois, wambîs, wammîs, wambez, wambesch), qui se conserve sous la forme Wams (encore avec l'absence de la consonne épenthétique -b-, « wambais, gambais, gambais, gambison », vêtement d'homme ou de femme, ajusté, ordinairement sans manches et couvrant les hanches, fait d'étoffe rembourrée et piquée, lui-même emprunté au francique wamba « ventre » qui donne en allemand Wamme, « fanon » et Wampe « bedon, bide »). Waid repris du picard wedde (« guède »), lui-même du francique *waizda- et de la forme latinisé waisdo.

    Le -t final disparu tôt des dialectes centraux, est présent dans les mots allemands, ils viennent donc du picard ou du lorrain : Lamprete (« lamproie », lat. lampreda), Markt du picard markiet (lat. *marcātus, mercātus), Pastete (« pâté »), Cunterfeit (mtn. Konterfei, « portrait »), Privat (« privé »), Rekrut (« recrue ») et rekrutieren, Clairet ou Klarettwein (« vin clairet »)...

    L'évolution -oi- du latin Ē est remarquable dans les mots suivants : gloye (mais on trouve aussi gleie, glai, glaie « glaive »), schoye (« joie »), turnoi (et turnei, turney, mtn. Turnier, « tournoi »), Glôrje (« gloire »), boie (boye, poye, poy, beie, beye, afr. boye, bay « lien »), curteis mais aussi kurtois, kurtoys, kurtîs (« courtois »), roys (« roi »)... Mais on trouve aussi les formes lorraines vaele, vêle « voile », dreits « droit », lêâl (« loyal »). La plupart de ces mots ont disparu de la langue moderne, il n'y a que Franzose (« François, Français », qui se disait anciennement comme en néerlandais Franzmann), qui se soit conservé jusqu'à nos jours. En moyen-haut-allemand Franzoys, Franzeis, puis Franzos (alors que « harnois » donne harnisch). Le o conservé n'est pas expliqué. Cette forme est passée en polonais Francuz, tchèque Francauz, lituanien Francúsas, hongrois Frantzuz. On lit pour la première fois Franzos chez Jacques Twinger de Koenigshoffen (1346-1420), chroniqueur strasbourgeois, ce qui semble faire penser que la forme en -oi- d'origine provient du Nord-Est de la France, lorrain ou picard.

    Le -ch final dans les mots allemands suivants, peut s'expliquer aussi par le trait picard qui veut que ce qui correspond à un -s en français ait donné -ch : latoch, latech, leteche, blateche, latûn actuellement Lattich « laitue » (lat. lactuca), Ratich (latin radix ou armoracia), maintenant Rettich « radis noir » et Meerrettich « raifort », Radieschen « radis ». Mais ce -ch peut également être une évolution du -c- latin comme dans Fenchel (fenuculum), Pferch (parcus), Pforch (porticus)...

     

    La culture courtoise s'impose également dans le domaine des festivités, et l'allemand (de même que le français et le néerlandais) emprunte au picard déjà quelques mots de la gastronomie. Ainsi rosin, roisin donne le néerlandais rozijn, et l'allemand Rosine.

    Le mot gaulois d'origine *rica (« sillon ») donne le picard rèy (« raie, roie » en vieux-français, « danse en rang », le mot gaulois donnera « rayon ») et de là le néerlandais rei, reidans et l'allemand Rei(h)e, Reigen, Reihen (« danse de rang, en ronde, branle », maintenant surtout utilisé dans le sens de « suite, kyrielle, série », ayant pris un -h- par contamination du mot d'origine germanique Reihe (« rang ») ou un -g- par contamination avec un autre mot d'origine germanique qui donnera en néerlandais rijgen, « enfiler » et en allemand Riege ou Turnriege « équipe de sport »). Mais l'origine différente n'est pas oublier et on traduit ainsi par exemple der diplomatische Reigen der Regierungskonferenz par « le bal diplomatique de la conférence gouvernementale ».

    Plus étonnante est l'histoire du la rémoulade. Le latin armoracea passe directement à l'italien ramolaccio. Le picard (et le wallon) l'emprunte sous les formes ramorache, ramonache, ramonasse, rémola, rémolas (ramonasse désigne toujours le « radis noir » en Belgique). Ainsi, le français forme remolade, remoulade. Et c'est certainement le français qui donne au néerlandais remouladesaus, et l'allemand Remoulade.

    Encore un dernier exemple. Le mot latin sagina, « engraissement, bonne chère » donne en picard saïne (saïme en ancien français). Ce mot donne en flamand zaan, « matière grasse du lait, crème du lait » (on se souvient qu'il s'est opéré une réduction des diphtongues en picard, -aï- a donc du donner -a-). Vers le XIVe siècle, l'allemand (surtout au nord et au centre du pays) emprunte le mot au néerlandais, Sahne, « crème » (en Autriche, on dit Obers, ce qui est « sur (ober) le lait »), tandis que le néerlandais standard préfère utilisé actuellement pour ce sens le mot d'origine germanique room. L'allemand (le Sud du pays surtout et la Suisse, ou le mot Sahne est inconnu et non reconnu par le gouvernement, les produits d'exportations allemands doivent donc avoir une nouvelle étiquette dans la Confédération) utilise également ce mot Rahm pour le sens de « crème ». Ainsi, le lait demi-écrémé peut se dire Teilentrahmte H-Milch (« en partie dégraissé ») ou plus souvent Fettarm Vollmilch (« lait entier faible en gras »). Sahne et Schlagsahne, désigne la « crème chantilly » (qu'on peut également appeler Crème Chantilly). Sahnsoße se dit comme Rahmsoße (Soße est depuis la réforme orthographique, la nouvelle forme écrite de Sauce), et on dit Champignonrahmsoße (et Champignonrahm-Schnitzel) et jamais Champignonsahnsoße. Quant à Creme (ou Kreme), en allemand, c'est un synonyme de Sahn. Mais Krem (ou plus souvent Salbe) désigne plutôt la « pommade ». Le Schmand, est la « crème aigre », que les Suisses alémaniques et les Autrichiens appelle Sauerrahm ou Crème Fraîche. On voit que l'allemand n'a pas hésité a emprunté à toute les sources pour enrichir son vocabulaire culinaire déjà bien assez riche. 

    L'étymologie du mot Ramsch (« bouquin », puis « bric-à-brac, camelote ») est obscure mais on le fait remonté au moyen-français ramas et ramassis, en picard ramachi.

     

    Comme en néerlandais, où certains dialectes ont pu conserver des emprunts du picard que la langue standard n'a pas gardés, on trouve en colonais, Pütz « fontaine, étang ou flaque », de même origine que Pfütze (« flaque d'eau sale », de puche, « puits ») et Panz, Pänz (de panche, « ventre ») et qui désigne l'« enfant ». En Autriche, castrûn (« bélier castré ») s'est conservé dans la forme Kastraun avec le sens de « mouton ». Durant la période napoléonienne, certains mots, français cette fois, entrerons encore en Allemand, mais on peut penser que certains autres déjà employés dans la langue populaire seront réactivés par la présence de troupes françaises. En Plattdeutsch, on a ainsi l'exemple de Butallje venant du français « bouteille », à côté du mot plus ancien Buddel ou Buttel, venant lui du picard « boutèle ». Cette forme picarde est passé depuis en allemand standard dans l'expression Buddelschiff (plus rarement sous sa forme complète Plattdeutsch Buddelschipp) pour désigner les constructions de bateau en bouteille. Bedrullje (« bredouille ») et Persetter ou Persepter (« percepteur ») semble bien français, mais peut-on certifier la date d'arriver des mots Kamp (« champ »), Ark (« arc »), simeleern (« simuler qqch »), Klöör (« couleur »), rejell (« réel »), le suffixe -daasch (dans Kleedaasch, « robe »)...

     

    Aux XVIe-XVIIe siècle, l'allemand et le néerlandais empruntent au latin et au grec encore, mais surtout au français. Les livres imprimés que l'on traduit des textes de Jean Calvin y sont pour quelque chose. Ainsi tanchieren, avancieren, Bataillon, Chikane sont bien français. C'est à cette époque également que beaucoup de mots empruntés précédemment sous une forme picarde seront corrigés par leur équivalent français, comme logieren ou Terrasse par exemple.

     

    Des mots picards se retrouveront cependant dans les langues scandinaves par l'intermédiaire de l'allemand, le suffixe -tet et kontor (comptoir, bureau) qu'on a déjà évoqué, citons : fløjte (flûte, flöjt en suédois), juveler (bijoutier, juvelerare en suédois), kapel (chapelle, kapell en norvégien et suédois), kant (chant, arête, bord), flanke (flanc, flank en suédois), planke (planche, planka en suédois), kapun (chapon, capon en norvégien), støvle (botte, støvel en norvégien, stövel en suédois), stolt (fier), rosin (raisin, inconnu du suédois).

    En russe et bulgare кант "lisère", le russe кантовать "retourner" et кантоваться "se retourner", viennent de l'allemand Kante « arête, bord » et kanten « coucher sur le bord », du néerlandais kant, du picard kant. Déjà en slavon on trouve kǫtŭ « coin » (qui subsiste en tchèque avec kout « coin, angle ») et en lituanien kampas « coin ». On soupçonne le gallois cant « bord de fer ou coin » et le breton kant « côté » d'avoir la même origine.

    Le russe ювелир « bijoutier », du néerlandais juwelier, formé à partir de juweel « bijou, joyaux ». De même en bulgare et serbo-croate et slovène, en letton (juvelir) et lituanien (juvelӯras) qui l'ont emprunté soit au russe soit à l'allemand. Le polonais (jubiler) et le hongrois (jubilér) l'ont emprunté au vieil-allemand Jubilier.

    Le russe кабельтов « câble », каюта « cahute » et кучер « cocher » sont empruntés au néerlandais kabeltouw, kajuit et koetsier. Le polonais et le tchèque connaissent kajuta de l'allemand Kajüte.

    Le bulgare флейта et polonais flet sont de l'allemand Flöte « flûte ».

    Le suédois, espagnol et italien kaputt, tchèque kaput et grec καπούτ de l'allemand kaputt « cassé ».

    En tchèque arkýř est de l'allemand Erker.

    Plus exotique, en bahasa Indonesia qui a emprunté au néerlandais : kantoor > kantor ; schaats > sekat (patin) ; kabel ; kalkoen > kalkun (dinde) ; kamer > kamar (chambre)...

    De même le singalais : kantoor > kantoru-va.

    Et enfin le sranan tongo (surinaam) : kantoor > kantoro, kamer > kamra.

     

    Le luxembourgeois : 

    Le luxembourgeois (Lëtzebuergesch) a connu également tout au long de son histoire une influence, d'abord des dialectes romans (surtout lorrain et wallon, mais ausi picard) puis français. On retrouve ainsi dans cette langue, devenue officielle seulement en 1976, puis langue nationale en 1984, quelques mots dont l'origine remonte en commun au lorrain roman, au wallon et au picard :

    • barlaff (balafre) < berlafe (source Hécart)
    • block https://www.lod.lu/?BLOCK2 (boucle) < blouque (source Pierre Legrand)
    • bouquillon (bûcheron) < bouquillon (source Pierre Legrand)
    • bulli https://www.lod.lu/?BULLI1 (bouillie, boue) < cren-bouli (source Pierre Legrand)
    • bunnett (bonnet de nuit) < bonnette (source Louis Vermesse)
    • couvet, kuwi, kuwéi (chaufferette) < couet, coué (source Pierre Legrand)
    • gett (guêtre) < guêtre
    • kossong (coquetier, coconier) < coconier, cosson (source Louis Vermesse, Hécart)
    • kouert https://www.lod.lu/?KOUERT1 (stère) < corde (source Louis Vermesse)
    • kulang (caniveau, gouttière) < coulant
    • passett https://www.lod.lu/?PASSETT1 (passoire, filtre) < passette (source Hécart)
    • porrett https://www.lod.lu/?PORRETT1 (poireau) < porét (source Hécart)
      (source : Recherches sur l'influence lexicale du lorrain et du wallon sur le luxembourgeois : « D'Halett läit am tirang ! » par Joseph Reisdoerfer, in Études romanes (1992)

     

     

    1 Franziska Raynaud, Histoire de la langue allemande, Que sais-je ? N°1952, PUF, Paris, 2e édition, 1993, p.57.

    2 E.Tonnelat, Histoire de la langue allemande, CAC (Collection Armand Colin), Paris, 6e édition, 1962, p.93-94.

    3 Henri Pirenne, Histoire de Belgique, t. I, 5e éd., Bruxelles, 1929, p.163.

    4 R.F. Kaindl, Die französischen Wörter bei Gottfried von Strasburg (in Romania, T.XVII, 1893).

    5 Les deux issus de -k-/-ch- ou -l- et -ein, le dernier renforçant simplement les premiers. -k/-ch et -ein seuls ne se conservent que très sporadiquement : Habicht « autour, épervier », Kranich « grue » d'une part ; Füllen « poulain », Küken « poussin », d'autre part. -l reste la forme diminutive standard dans le Sud de l'Allemagne, d'où de nombreux mots ont été empruntés :

    • -le (Spätzle « moineau, nouille, spaezle » et Sperling « moineau », Vogel « oiseau ») en Bade-Wurtemberg et Alsace (cf. Christkindelsmärik « marché de Noël », mannele « pain au lait en forme de petit bonhomme de la Saint-Nicolas », Winachtsbredele « petits-fours de Noël ») et Lorraine (brimbelle, airelle) ;

    • -li (Knöpli « spaetzle », Müsli « muesli », leckerlis de Bâle « petits gâteaux de pain d'épice ») en Suisse ;

    • -(d)l (Dirnd(e)l(kleid) « costume féminin (Dirne « jeune fille, prostituée ») traditionnel bavarois », Wadlstrumpf ou Wadlwärmer « chaussette couvrant le mollet (Wade), Münchener Kindl, « jeune fille déguisée en moine, emblème de la ville de Munich, ouvrant le défilé de la Fête de la Bière », Knödel (« quenelle »), Brezel « bretzel » (sur la racine de Brot « pain »), Schaukel (balancelle, sur Schock « choc »), Häferl « tasse », Kipfel « croissant ») en Bavière et Autriche. C'est le même diminutif qu'on retrouve en yiddish (beygl « bagel », schnozzle « gros nez, pif », a bissel « un peu » (équivalent de ein Bisschen)...

    6 Friedrich Maurer, Heinz Rupp, Deutsche Wortgeschichte, Volume 1, Walter de Gruyter, 1974, p.338. Traduction : "Du fait que la zone linguistique allemande ne possède pas de frontière commune avec la picarde, il est clair que les mots picards du moyen-haut-allemand ont été échangés par l'intermédiaire du moyen-néerlandais, qui devait ses emprunts français principalement à ce dialecte."

    7 Ainsi weralt, werolt donne werelt, werlt, puis Welt « monde », garawo, garawêr donne gare, garwer, puis gar « cuit », les différentes formes déclinées du datif pluriel tagum, tagom, tagun, tagon donne tagen « du jour », le nominatif pluriel taga devient Tage « jour », gebôno devient geben « donner », le pluriel zungûn donne zungen « dents », le participe passé de « prendre » ginoman devient genomen « pris »... Comparons le credo chrétien :

    - Althochdeutsch : Gilaubiu in got fater almachtigon scepphion himmilis enti erda

    - Mittelhochdeutsch : Ich geloube an got vater almechtigen schephaer himels unde der erde

    - Neuhochdeutsch : Ich glaube an Gott Vater den allmächtigen Schöpfer des Himmels und der Erde

    8 Cf. La Place des Buisses à Lille, dont l'origine serait les conduits souterrains de 6140 pieds, établis pour alimenter d'eaux potables les paroisses de Saint-Etienne et de Saint-Maurice, à la suite de l'acquisition faite en 1285, pour établir huit fontaines et un puits. (Pierre Descamps, Promenade à travers kes Flandres et l'Artois, CPE, 2011, p.67).

    9 Le son -ch- français donne -sch- ou -tsche- : Bratsche, de « broche », Schâpel de « chapel », Schier de « (faire bonne) chère » ; le son -s- français donne -s- ou -tsch- : Firnis de « vernis », Gletscher de « glacier », Kardetsche ou Kardätsche de « cardasse »...

    10 Emil Öhmann, in Neuphilologische Mitteilungen, Ed. Uusfilologinen Yhdistys, T.XXIV, 1923, p.157.


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    L'espagnol :

    On l'a vu le picard a parfois influencé l'espagnol :

    • déjà évoqué faraud, de faraute.

    • flamenco, qu'on a déjà évoqué également et dont l'origine est incertaine.

    • gouape empr. à l'arg. esp. guapo « rufian, coupe-jarret », attesté dep. le xve s. (statuts de la Guardugna [association de malfaiteurs esp.] d'apr. Dauzat Ling. fr. p. 283; le mot, devenu adj. en esp., a pris le sens « vaillant, élégant, beau »), lui-même prob. empr. au fr. région. du Nord : a. pic. vape, wape, gape « fade, insipide (en parlant d'aliments) », « affaibli (en parlant d'une personne) », « dérangé (en parlant de l'estomac) » (v. DEAF, s.v. gape et FEW t. 14, p. 168a; wap comme terme d'injure en 1379 ds Du Cange), issu du lat. class. vappa, qui signifiait à la fois « vin éventé » et « vaurien »; un croisement avec un mot germ. pour expliquer le g initial (Cor., s.v. guapo; FEW t. 14, pp. 168b-169) n'est pas nécessaire (cf. K. Baldinger ds Mél. Gossen, pp. 89-104).

    • L'anascote, dont la première attestation est espagnole (1527) et dont on pense que l'origine est la ville d'Hondschoote, dans la Flandre maritime.

       

    Le calabrais et le sicilien :

    Le baronnage italo-normand correspond à la noblesse originaire du duché de Normandie qui s'est implantée d'abord en Italie méridionale à partir de la première moitié du XIe siècle, puis en Sicile, conquise par les Normands de 1061 à 1091, à partir de la seconde moitié du XIe siècle. La majorité des Normands qui s'installèrent en Italie étaient originaires de l'ouest du duché normand, notamment du Cotentin. Ces familles ne sont pas toutes d'origine normande, car certaines sont d'origine bretonne, un certain nombre d'aventuriers bretons ayant accompagné les bandes normandes en Italie dès les années 1030 au moins, tandis que certaines sont d'origines franques voire flamandes ou byzantines (la famille Grifeo di Partanna). Ces aventuriers flamands sont à l'origine des patronymes italiens Fiammingo, Fiamingo, de Fleöing ou Flamengus, localisés dans le sud du pays, en Calabre et en Sicile. On cite aussi les familles aux noms Ardito ou Artusius (de l'Artois), on connaît également un Thomas de Domna Penta (de Domart-en-Pontieu dans la Somme), ou de Viparda (des Weppes, dans le Nord).

     

    Dans le dialecte sicilien, seraient d'origine normanno-picarde : accattari (acheter), accia / acciu (céleri, de ache, cf. ramonache, remoulade, radis noir), ammintuari / muntuàri (nommer, de mentevoir), ammucciàri (cacher, de mucher), armuarru / armaru / armuario (armoire), appujari (appuyer), àutru (autre), bucceri / vucceri (boucher), buatta (boîte), cappidduzza (capuchon, manteau), carriari (charrier), custureri (tailleur, couturier, de coustrier), nzajari (essayer), firranti (gris, de ferrant), foddi / fuodde (fou de fol), giarnu (jaune)1, giugnettu / lugliu (juillet, de juignet), guastella / guastedda (gateau, de wastel), isari (hisser), làriu / làdiu (laid), largasìa / làscu (largesse), lèstu (rapide, de lest), magasinu / magazzìnu (magasin), manciasciùmi (démangeaison), muccatùri (mouchoir), munzèddu (mont, de moncel), mustàzzi (moustache), 'nsémmula (ensemble), 'ntamàtu (stupide, de entamé), parrìnu (parrain), picciottu (jeune homme, de puchot), purrìtu (pourrit), pùseri (pouce, de poucier), quasetti / causetti (chaussettes), racìna (raisin), raggia (rage), rua (rue), tastari (avoir bon goûter, de taster, cf. l'anglais to taste), travagghiari (travailler), trippari / truppiccari (trébucher, de triper), trùscia (trousse), tummari / attummuliari (tomber)...

     

    Dans le dialecte calabrais, on rencontre : gattugghjare / grattaghjari / catugghiari / cutulijàri (chatouiller), accia (céleri), arrocculàri / rocculari (reculer), perciàri (percer), buccirìa / vuccerìa (boucherie), accattàri / 'cattàri (acheter), sciarabàllu (char à bancs), sparadràppu / spilandràppa / spilandrappu (sparadrap)2, puma (pomme), ràggia (rage), sùrici (souris), racìna / rocìna (raisin), buàtta (boîte), mustàzzi (moustache), ndùja (andouille, la charcuterie), servietti / surbietti (serviettes), muccaturu (mouchoir), ammasùnari (ramener à la maison, à l'écurie, mettre au lit, de à la maison), travagghiàri (travailler)...

     

    Le maltais : Le sicilien est le dialecte italien qui a énormément influencé le maltais, le seul dialecte arabe a être reconnu comme langue officielle d'un pays. Il a la particularité d'être écrit avec l'alphabet latin. Précisons encore que les Musulmans qui débarquent sur l'île de Malte pour l'envahir et la conquérir, en 870, viennent alors de Sicile, région également arabo-berbère à partir du IXe siècle et jusqu'au XIe siècle, lorsqu'elle devient donc normande. Malte est également conquise, depuis Palerme par le comte Roger de Hauteville, Roger II de Sicile, en 1090 qui unifiera toutes les conquêtes normandes en Italie sous une seule couronne. Après avoir changé de main plusieurs fois (souabe, angevine, aragonaise, castillane), elle retombe sous la coupe du royaume de Sicile au XIVe et XVe siècle. Razzias, déportations et pillages parsèment l'histoire de ses échanges de pouvoir. L'italien sera cependant souvent la langue d'écriture jusqu'à récemment. Le conflit franco-anglais s'exporte sur l'île qui devient britannique en 1800, jusqu'à son indépendance en 1964.

    Voici donc les mots d'origine normanno-picarde qui ont été transmis au maltais par le sicilien : armarju (armoire), appoġġ (appuyer), biċċier (boucher), bott (boîte), kaboċċi (caboche, chou), maktur (mouchoir), mustaċċi (moustache), parrinu (parrain), xarabank (char-à-banc, disparu au profit de l'anglais bus)... Miskin (en picard méquène) est également un maltais issu de l'arabe sicilien mischinu (de l'arabe miskīn, également présent en sarde mischinu).

    L'anglais plus récemment a aussi influencé le maltais, on y retrouve le stock normanno-picard suivant : plank (planche, mais aussi pjanċa), avorju (ivoire, remarquons ici la prononciation anglaise de ivory), skrin (écran), gallun (gallon), stjuward (steward)...

     

    1 On constate qu'un certain nombre de mots ont soit une origine française, soit été francisés : ciarmari (charmer), ciantru (chantre ), broccia (broche ), iardinu / ggiardinu (jardin)...

    2 Le terme est plus ancien qu'il n'y paraît, on le rencontre pour la première fois en 1314 sous la forme speradrapu, chez Henri de Mondeville, médecin normand auteur de Chirurgie, consacré à l’anatomie et aux traitements.   


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    Le scots : le scots est très proche de l'anglais, mais distinct sur certains points. Notamment certains mots empruntés aux Anglo-Normands y sont encore employés : ashet (assiette), aumry (armoire), leal (mignon, de loyal), backet (auge), corbie (corbeau), cordiner (cordonnier), dambrod (damier, échiquier), to devall (dévaler, descendre), in Lyl(l)is (en toile de la ville de Lille), hogmanay (cadeau de nouvelle année, de hoguinettes, présents, étrennes), chow (dans row-chow, de chole, jeu de boule), garron (bâton de bois, de garron, branchage), to trebuck (râter son tire, son coup dans un jeu, de la forme dialectale de trébucher), sybow (ciboule), to touk (frapper, toquer), rocket (surplis d'évêque, rochet en français de même origine germanique que froc), perk (perche), winch (reculer, en anc.fr. guenchier, se détourner), wastel (gâteau), trink (tranchée), skellet (squelette), feesant (faisant), paster (paturon, de même origine que empêtrer), tri(c)k (tricherie), lignie (ligne, silhouette), to clock (boiter), callan(t) (chaland), dra(i)gon (cerf-volant).

    Remarquons cependant que le scots jedge (jauge) reprend la forme centrale alors que l'anglais dit gauge !

    Parlons maintenant du golf, du mot non du sport, bien sûr. Le mot serait issu d'une racine germanique *keula- « cavité, voûte ; objet rond ». Il donna les mot chole ou choule, parfois soule (XIIe siècle, dans le Roman de Renart, on parle des vilein qui sont à la çoule...) en normanno-picard et colven (XVe siècle) en moyen-néerlandais (en allemand Kolben désigne le « ballon » de distillerie, épi de maïs ou piston, chacun imprégné d'une forme ronde). Colfbane désignait la souloire. Il est interdit en Écosse (gouf) à la même époque. Il devient cependant populaire au XVIe siècle en Angleterre. Le jeu et le mot est réintroduit sous une forme différente au XIXe siècle sur le continent. Le jeu traditionnel reste cependant pratiqué, après quelques années de trêve, sous la forme de soule à la crosse et de kolf. Émile Zola évoque encore le jeu de crosse et la cholette traversant tout le coron et les environs dans Germinal (4e partie, fin du chap. VI, 1885).

     

    Le gallois : Les Anglo-Normands s'installent dans toutes les régions de l'île de Bretagne, donc également en Pays de Galles. Les Cambro-Normands dominent la vie civile du XIIe au XVIe siècle. De cette époque, quelques mots ont pénétrés la langue galloise, d'origine celtique : cordwal / cordwan (cuir [de Cordoue], mot tombé de l'usage), cyllell (couteau), carrai (courroie), cebystr (licou, entêtement, de quevestre, qui en picard a le sens de « licou » mais aussi de « coquin »), casul (chasuble), cannwyll (chandelle), ceffyl (cheval), bacwn (bacon), ffigys (figue), fflair (mauvaise odeur, de flair), ffrwyn (frein, du licou de cheval), gradell (gril, grille), barwon (baron), albrasiwr (arbalétrier, mot disparu), plas (manoir, de palais), pwys (poids), swch (soc), trist (triste)...

    On peut penser cependant qu'une partie ait été empruntée au latin directement, puis revivifiée par les Cambro-Normands, d'où leurs aspects picardo-normands.

    Le gallois a, dans tous les cas, revivifié le breton lors de l'invasion des Britto-Romains au Ve siècle. Cependant, c'est bien le breton qui semble être la langue celte a avoir emprunté le plus de mots picardo-normands.

     

    L'irlandais :

    L'invasion normande de l'Irlande est une expédition militaire normande en Irlande initier depuis le Pays de Galles, qui débuta le 1er mai 1169, sur la demande du roi de Leinster, Dermott MacMurrough alors en exil. En plus des Normands, de nombreuses troupes de mercenaires arrivant de régions même de pays divers participent à la conquête normande de l'Angleterre : des Bretons, des Flamands, des Picards, des Angevins, des Manceaux, des Poitevins, et des Bourguignons, jusqu'à des Germains et des Normands d'Italie, attirés par l'appât du gain, à la recherche de butin et, pourquoi pas, même de terres pour rester définitivement en pays conquis.

    Parmi celles-ci citons : la famille Bailleul (devenu Balliol en Angleterre et en Écosse), une famille appartenant au baronnage anglo-normand originaire de Bailleul près d'Abbeville dans le comté de Ponthieu. La famille, qui conserve de forts liens avec sa seigneurie de Bailleul en Picardie, devient très importante à la fin du XIIIe siècle quand Jean monte sur le trône écossais. La branche principale de la famille s'éteint une génération plus tard en 1363, avec Édouard Balliol lui aussi couronné roi d'Écosse.

    La famille de Clare est une célèbre et puissante famille anglo-normande issue de Godefroi (ou Geoffroy), comte d'Eu, un des fils illégitimes du duc de Normandie Richard Sans-Peur. Arrivée avec la conquête normande de l'Angleterre en 1066, elle joua un rôle primordial en Angleterre, Galles et Irlande jusqu'à sa disparition en 1314.

    La famille de Mandeville, qui tient son toponyme du village de Manneville (Seine-Maritime)1, est une famille d'importance mineure du duché de Normandie qui devient une importante famille du baronnage anglo-normand après la conquête normande de l'Angleterre. Plusieurs de ses membres furent gardiens de la Tour de Londres et comtes d'Essex. La lignée principale s'éteint en 1191, et le patrimoine passe à Geoffrey FitzPeter, par sa femme Béatrice.

    La famille Mortimer est une importante famille du baronnage anglo-normand, issue de la noblesse du duché de Normandie. Elle tient son patronyme du village éponyme de Mortemer (Seine-Maritime) qui, plus tard, s'anglicise en Mortimer en Grande-Bretagne.

    La famille de Warenne, toponyme venant du hameau de Varenne à quelques kilomètres au sud d'Arques-la-Bataille, au bord de la rivière Varenne (Seine-Maritime). Guillaume de Warenne ou de Varenne (William of Warenne ou of Warren en anglais) († 24 juin 1088), fut l'un des compagnons de Guillaume le Conquérant dans sa conquête de l'Angleterre en 1066. Important baron anglo-normand, il fut l'un des hommes les plus riches de l'Angleterre nouvellement conquise. Il fut fait 1er comte de Surrey par Guillaume II le Roux peu avant sa mort. Il fut aussi le fondateur d'une dynastie qui domina le comté de Surrey jusqu'en 1347.

    La famille de Gand plus présente en Écosse et la famille Peverel (Guillaume ou William Peverell) qui serait d'origine flamande.

    La famille de Quinci et de Chokes sont originaires de Quinchy et de Chocques, près de Béthune, un petit groupe de familles flamandes qui avaient reçu d'importantes dotations en terre dans le Northamptonshire après la Conquête.

    Ces familles hiberno-normandes devinrent Plus Irlandais que les Irlandais eux-mêmes (en irlandais : Níos Gaelaí ná na Gaeil iad féin) et s'assimilèrent aux habitants de l'île, sans pour autant apporter un certain nombre de mots durant la période du moyen-irlandais (an Mheán-Ghaeilge). Parmi ceux-ci : seomra (chambre), airseóir (archer), páiste (enfant, de page), coláiste (collège), bagún (bacon), barún (baron), buidéal (bouteille), garsún (garçon), siúinéir (charpentier, de joigneur), baránta (garantie), bárda (guarde), amhantúr (aventure), plúr (farine, de fleur), puinn (point, négation, níl puinn Gaeilge agam, n'est point irlandais à moi, je ne parle pas irlandais)...

    Certains sont actuellement délaissés par les puristes, car considérés comme Béarlachas (anglicisme), alors qu'ils étaient attestés dans la langue avant la forte pression de l'anglais sur l'irlandais à partir du XVIe siècle, et sont donc d'origine norroise ou normande, parmi ces deniers citons : liosta (liste), aidhm (objectif, de aesmer), béarsa (vers).

    La plupart de ces mots ont un accent tonique final, comme le français, et on pense que cela peut expliquer l'accent final de mot irlandais à voyelle finale longue dans certains dialectes où la présence anglo-normande était forte : par exemple, on dit cailín (fille), achainí (demande) dans le Sud-Est (province de Munster), avec accent tonique sur la pénultième, quand l'irlandais standard l'accent tonique frappe la première syllabe.

     

    1 Les familles de Seine-Maritine, sont ici toute à la frontière picarde, donc dans l'aire linguistique picarde.


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