• II. Le picard 5. Influence le français

     

     

    On peut déjà se poser la question de savoir si le picard a d'abord influencé les autres dialectes d'oïl à l'époque de son rayonnement. Cependant la question n'est pas simple à résoudre, les textes reflétant la plupart du temps le dialecte de l'écrivain mais aussi parfois, s'y superposant, celui du scribe. Ces anciens textes ayant été également « corrigé » par les philologues du XIXe siècle, notamment le renommé Gaston Paris afin de les rapprocher du dialecte « francien ». Anatole Boucherie se montre contre cette façon de faire, critiquant notamment Gaston Paris. « Une restitution aussi complète, aussi minutieuse, était-elle possible ? Je crois avoir démontré qu'elle ne l'était pas. On comprendrait cette recherche de l'uniformité absolue dans la restauration orthographique d'un texte, s'il était destiné à de jeunes écoliers ou au commun des lecteurs, pour qui le texte le plus uni et le moins encombré de formes exceptionnelles est le plus commode et le plus utile. C'est ce qu'on a fait, et avec raison, pour nos classiques, tant grecs et latins que français. Nul ne s'étonne, par exemple, que les ouvrages de Bossuet et de Voltaire soient imprimés avec une orthographe uniforme, quoique les auteurs ne s'y soient pas toujours astreints pour leur propre compte. Mais, quand il s'agit d'étudier les textes au point de vue purement philologique, et qu'on prétend faire une édition savante et non une édition scolaire, comme c'est le cas pour ces vieux et uniques monuments de notre langue naissante, on doit n'y introduire que les rectifications évidemment indispensables. »1

    On peut même penser que la question de savoir si le picard a plus influencé la langue standard que les autres restera sans réponse. Plusieurs traits sont communs à plusieurs dialectes et la langue populaire se caractérise également par un ensemble de traits. Prenons exemple de deux études de dialectes différents, A. Guérinot, Notes sur le parler de Messon, Aube2 et Paul Passy, Notes sur le parler d'Ezy-sur-Eure3 pour voir quels sont ces traits communs à divers dialectes et au picard :

    • ly > y (liard > yard),

    • fl > f (trèfle > trèfe),

    • l > r (armana),

    • r > l (kolidor),

    • r final tombe (perdre > perd, autre > aut, pour > pou, sur > su, laboureu),

    • métathèse de r (fermer > feurmer, trestous > tertou),

    • m final tombe (cataplasme > cataplas, catéchisme > catéchis),

    • puis > pi,

    • peau > piau,

    • formes interrogatives par ti (tu es ti là ?) et que (tchi que tu dis ?),

    • passé simple (passé défini ou prétérit) disparu et auxiliaire avoir généralisé pour les temps composés (la participe passé restant donc invariable),

    • qui inexistant (c'est li qu'est vnu, c'est mwé que j' l' ai vu),

    • pléoname (un ptit peu, tout partout, regarde voir, dit voir, écoute voir...)...

    Pire, certains auteurs vont jusqu'à nier les dialectes pour mieux faire prévaloir le rôle du « francien ». A.M. (Antoine Meillet ?) déclare encore en 1935 : « La médiocrité du rôle des dialectes dans le domaine français n'est pas mise en assez grande évidence (par von Wartburg). Si les parlers de la région picarde ou de la région normande présentent des particularités communes, on ne saurait dire qu'il y ait eu un dialecte picard ou un dialecte normand dont il ait été pris clairement conscience, de sorte que si quelques textes littéraires présentent des traits picards ou normands, on ne voit pas qu'il y ait eu proprement une littérature picarde ou une littérature normande. C'est un trait qui caractérise fortement le développement du français il en est résulté que des influences picardes ou normandes n'ont guère joué sur le français. »4

    Ce A.M. semble bien être Antoine Meillet qui déclare également : « Le type le plus simple est celui du français : le parler d’une région centrale, qui est celui des chefs du pays et où la civilisation en son centre, devient intégralement la langue commune ; Paris, résidence principale du roi de France, centre naturel de la France du Nord, siège d’une Université puissante qui a eu au moyen âge une forte influence, a donné son parler à la royauté française ; dès le moyen âge, le français commun est la langue de Paris ; les textes écrits en d’autres dialectes n’ont qu’une importance secondaire et, de bonne heure, le français écrit n’est rien que la langue de Paris, telle qu’elle se fixe sous toutes sortes d’influences savantes et littéraires et telle que l’adopte l’administration royale. Les parlers du Midi de la France appartenant à des types tout autres, inintelligibles aux Français du Nord, n’ont exercé aucune action : dans toute la France méridionale, le français est une langue étrangère qui s’impose aux villes, mais qui n’a pas encore déplacé les parlers locaux à la campagne. [...] Et il se constitue des dialectes bien définis, d’autant plus définis que la vie provinciale a plus de réalité. Le centre de la France, où Paris est la seule ville dominante, n’a pas de dialectes ; le Midi, où il y a des provinces caractérisées, a au contraire des dialectes bien caractérisés aussi : provençal, gascon, dont les limites se laissent tracer avec une certaine netteté. Et l’on retrouve de véritables dialectes en Normandie, en Picardie, en Lorraine, en Franche-Comté. »5

    Gaston Paris était également contre l'idée de chercher une délimitation aux dialectes (voire même entre les langues d'oïl et les langues d'oc). Cette idée n'a bien sûr, pas encourager le développement de forme standard pour le picard, le wallon, le normand, etc, et même la langue d'oc...6 Ce point de vue ne correspond par ailleurs pas aux développements spontanés7 dans certaines zones, notamment la palatalisation de k et g notamment à Tourcoing, Roubaix et Mouscron, ce qui n'en fait pas de cette zone un autre picard, ou encore moins du wallon.

    Cependant on a déjà indiqué qu'au XIIIe siècle, les usages orthographiques picards pénètrent en Normandie (4e pers. de la conjugaison -ums, -oms, -uns pour -um sur le modèle picard -omes).

    Dringue « diarrhée » est utilisé en Côte-d'Or, dans le Puy-de-Dôme, et semble venir là par l'argot parisien (il est d'ailleurs utilisé par Roger Vailland, né dans l'Oise et mort dans l'Ain, dans son roman 325 000 francs qui se déroule à Oyonnax, dans l'Ain).

    En patois lorrain, on trouve encore les mots gambette (pour « jambe ») et chaûrée (signifiant une « suée, transpiration intense, soit à la suite d’un effort important, soit les bouffées de chaleur d’une femme au moment de sa ménopause »), cargé (dans le nord des Ardennes, à côté de tchardjé, « charger »), calenger (mettre au défi, taquiner), naquiller (manger sans goût), quênê (baguette [de chêne]), dont leur phonétique est toute picarde. Mais le lorrain présente des similitudes phonologique avec le picard, et ce sont deux langues d'oïl influencées par le francique. Ainsi, sont communs au deux : baquer (« tinter ») et béquer (« se heurter », pic. buquer, équivalent de buscher en oïl du Centre), ou berloquer (balocher en oïl du Centre), catchi (« chatouiller »), wade (« gardien »), wérir (« guérir »)... On peut penser que beaucoup de termes proches sont arrivés en lorrain par le biais de l'argot ou du français populaire, même s'ils ont une origine picarde originellement : bastringue, cariole, carogne, carnèje (« mauvaise viande »), carter, cankieu (« poule qui se met à crier quand elle pond »), goulafe (« goinfre »), gambarder, kèbache, kèbèrèt, kèbri (« cabri, chevreau »), kèheute (« cahute »), kène (« canne, membre viril »), kinkin (« petit doigt »)... Une influence allemande est aussi présente : capout' (« mort, perdu »), caponou (« chapon »), kermeusse (« occasion à l'occasion de laquelle on invite des parents, des amis »)...

    Buquer, goulaffe se retrouve en champenois, mais la encore quel est le chemin pris par ces mots ?

    Dans le Berry8, on note : abouaquer (« s'évanouir », de bouque ?), accagner (« provoquer, exciter », de lat. canis en a.fr. achenir : I. - Empl. pronom. "se livrer au désordre comme un chien, comme une chienne" - II. - Part. passé en empl. adj., A. - "Acharné, furieux", B. - "Adonné (à un vice)"), affutiaux (« toilette de femme »), allicher (« attirer à soi », du lat. allicere, a.fr. alicier), biger (« embrasser », lat. basiare, baiser), brisac (« bise-fer : qui casse tout »), bremment (« vraiment »), cabêche (« tête »), cafourniau (« fourre-tout, débarras »), caner (« abandonner, mourir », du lat. canutus, a.fr. chenuir "devenir blanc, pâlir"), caille ? (« ventre »), compenne (« sonnette » placée au cou des vaches, lat. campana, a.fr. champaine "cloche"), canette (« petite bille », lat. canna, a.fr. chane "cruche, pot (pour le liquides)" ?), capilius (mais aussi chapiau : « chapeau »), gariche ? (« petit escargot à coquille jaune ou rose »), loche ? (« limace »), rique (« mauvais cheval », du lat. rubisk, a.fr. resche, "(Terme de boucherie ; mésentère ?)", "Rude, désagréable, rêche" ?), vaqué ? (« très maigre » par manque de nourriture)...

     

    Quand on évoque la formation de la langue française, on oublie généralement le wallon : en effet, on part du principe que celui-ci n'a pas pu participer à la formation du français de France, puisqu'il n'est pas parlé sur le territoire français (sauf en "Wallonie française" ou "Wallonie de France" correspondant essentiellement à la botte de Givet et une partie de la zone frontalière avec la Belgique). C'est cependant oublier les contacts constants qui ont eu lieu entre le picard et le lorrain d'un côté et le wallon de l'autre, au moment où les territoires où l'on parle picard et lorrain n'appartenait pas encore à la France (ce qui est vrai surtout pour le picard).

    En ancien wallon donc, le mélange du traitement français et du traitement picard pour « ca » (desquendre, casteal, capelle...), « ga » (gallee, Angou, Gaufroit, galline...), pour « ce, ci » (lanche, prinche, tierche...) ou « ie » pour « e » (-iesmez du conditionnel et -iemmez au subjonctif imparfait) ainsi que par la graphie « -iau » pour « -ial » namureois et « -eal » liégeois (oisieau, agnieaz...) est fréquent dans tous les textes littéraires d'ancien wallon (ce ne sont parfois que des picardismes graphiques ou des latinismes). On les retrouve chez J. de Hemricourt, dans Ly myreur des histors de Jean (d'Outremeuse) ou dans les Moralités du manuscrit 617 de Chantilly. L'influence semble s'être diffusée par la vallée de la Sambre.

    Dans la région de Namur, Maurice Wilmotte signale que « le comte Guy était à la fois le souverain de la Flandre et celui de Namur ; il a pu accepter les services de scribes picards. »9 « On remarque une tendance à favoriser i plus accusée que dans la région septentrionale : signor, signeur, ordinet, rechivoir, milleur, seriment, dimiselle... Mais on note aussi une influence française pour -a(a)ble, « une des preuves les plus frappantes de l'influence centrale, et celle-ci, par les chancelleries princières, devait être considérable, dès la seconde moitié du XIIIe siècle, dans le comté de Namur »10 L'auteur ajoute : « Ce que j'ai dit de -able peut s'appliquer à (e)s + consonne initial ; les nombreuses formes qui trahissent la prosthèse sont des produits de l'influence centrale. (Cf. spiate, speate, skevin, et surtout cmp. Val des Escoliers 1280 avec Val de Scoliers 1281.) »11

    Il note cependant enfin l'emploie de eskevin à côté de eschevin dans les toutes les chartes wallonnes, forme empruntée très certainement au picard, « que son emploi officiel explique sans doute. »12 Le wallon liégeois semble avoir emprunté au picard les mots suivants : afranki, blanke, candjî est ainsi plus courant que tchandjî (« changer »), de même que cachî est synonyme de tchessî (« chasser, chercher »), et cache (« reherche »), cachaedje (« chasse, recherche ») et cacheu (fém. cacheuse ou cachresse, « chasseur, euse », « chercheur, euse »). Cappit pour « chapitre » (forme wallonne est maintenant tchapite), acalandé (« achalandé »), carogne (à Charleroi pour « charogne »), acater (est synonyme de « atcheter »). Louche se dit luskèt, et gaeye (djaeye, « noix » du lat. [nux] gallica) se dit jusqu'à Huy. De là, le mot gayete (gaillette ou gailletin, « morceau de charbon pour le fourneau de cuisine ») a été introduit en wallon namurois et de là en wallon rfondu (où il rentre dans l'expression t' as pierdou tes gayetes ?, « tu as perdu tes yeux, tes mirettes »). En Haute-Ardenne, on dit diele (« teigne, dartre, gerçure ») pour djèfe. Glene est employé en concurrence avec poye (« poule »). Irupeye (« maladie infantile ») est courant en wallon-picard et vient du picard irupie (du lat. eruptio). La wallon a aussi emprunté dans le langage de la mine : béle, bougnou, grijhou. Le picard et le wallon se sont empruntés mutuellement certains termes techniques, que nous explorerons plus loin, puisqu'il constitue également des emprunts du français standard. Par exemple, la phonétique de rescapé est wallonne, et a été emprunté par le français lors de la catastrophe de Courrières dans le Pas-de-Calais (1099 morts) du 10 mars 1906. Il semble que le mot ait donc été emprunté par le picard au wallon, pour passer ensuite dans la langue française. Pour le jeu de la balle pelote (kaatsen en néerlandais), qu'on appelle aussi djeu d' casse en wallon, on a emprunté recassî (ou ecassî, acassî, racassî, « renvoyer la balle »). Le mot est passé en wallon dans ce sens et par analogie dans le sens de « rétorquer » ; de là, on dit recasse et recassaedje (« renvoi, réponse, fait de rétorquer »).

    Concernant la zone wallo-picarde, lisons Adeline Grignard : « Mainte forme picarde s'est introduite dans un sens particulier. Nous avons cité cambe (chambre) ; citons encore cassî (chasser) employé comme terme de jeu de balle, doublet de tchèssî, et cachî au sens de chercher. En regard du namurois tcherdjî (carricare), notre région a, peut-être par dissimilation, kèrtchî (ou kèrdjî au sud-est). Cette prononciation s'étend jusqu'à Wavre, Dion-le-Val, Tourinnes-St-Lambert, Gembloux, Moustier, Floreffe, Lesve, Maredret, Hastière. — Citons encore câve ou côve (cavea), gayole (caveola), candjî, candj'mint, calindjî (calumniare, au sens de gronder, quereller), castagne (à Ittre satagne, issu de chatagne), cakyî (chatouiller, irrég. aussi dans le reste de la Wallonie : catî, gatî en liégeois, guètî en verviétois, guètyé en ardennais).13

    Le groupe sc, qui devient en nord-wallon h, en ardennais et en namurois ch, en rouchi sk, n'a pas ici de traitement particulier. Suivant les régions et les mots mêmes on trouve le sk du rouchi, ou le ch namurois. choûter est la forme propre à Charleroi, mais on y connaît aussi l'ascouter de l'ouest. On dit chov'lète (balai) à Mellet (de scopa), mais èscouflète à Nalinnes et èscouvète à Braine-l'Alleud ; on dit chime et chim'rète (écumoire) à Couillet et à Marbais, èscum'rète à Nivelles, Charleroi, Couillet. chôrdé signifie "édenté", tandis que son doublet scârdé signifie "ébréché" et scâr "brèche". Le triomphe de sc se manifeste dans èscou (giron), èskîye (échelle), skèter (éclater, se fendre), scaper (échapper), scoupyî (bêcher), scôpyî (chatouiller, au sens neutre de produire des démangeaisons), scayon (échelon), en ardennais choû, châle, chèter, chaper, choupler, chayon. À l'intérieur du mot c'est ch qui l'emporte : pèchî (piscare), pèchon (piscionem), conèche (cognoscere), crèche (crescere), èrfachî (refasciare), lachî (*lascare, lèchî à Nivelles), mouchon (muscionem), vacha "vaisseau, cercueil"(vascellum), ocha (oscellum), finichons (finissons). On trouve pourtant sk dans dèskinde (descendere), dèskirer et diskurer (déchirer, german. skeran), et k dans moukèt (émouchet, liég. mohèt).

    ex + c donne le même résultat : skeûre "secouer" (excutere, nam. cheûre, liég. heûre), scôrchî et scôrsî "écorcher" (excorticare, nam. chwarsî, liég. hwèrsî), scôgne "écale" (excarneam, liég. hâgne).14

    Par contre, dans le sens inverse, Thomas Logie pense que la terminaison des verbes picards en -i (maingi, raconti, quitti, cangi, dansi, demeuri, meni...) qu'on retrouve à Boves, Cachy, Villers-Bretonneux, dans le Santerre, au sud de Compiègne, à l'est de la région de Péronne et Combles... serait due à une influence wallonne.15 Comme le dit Joseph Sigart : « tel mot liégeois devient reconnaissable à Valenciennes ou à Amiens par l'interposition du mot montois. »16

    De même, la prononciation four- (dans fournaquer par exemple) peut-être un emprunt au wallon fôr- (ô en rfondou wallon est prononcé [o:] ou [o:n] majoritairement en Wallonie, mais aussi [u:] dans certaines régions de Charleroi et de la Basse Ardenne correspondant au wallon lorrain et au sud du namurois). Triesche se rencontre en pays wallon et picard, mais uniquement en Belgique (trixhe en wallon désigne un « chemin »). Cense semble être venu du wallon en picard.

     

    « Des échanges de même se produisent entre les différents dialectes indigènes, avec leur techniques, leurs produits, leurs modes, les provinces échangent leurs mots. Parmi ces échanges, le mouvement le plus important est celui qui s'opère entre les dialectes et l'idiome national. Il est à double sens dans la mesure où la langue commune emprunte à ses provinces et où, en même temps, elle les pénètre. Ce double mouvement est lié à l'histoire de notre nation et à la formation de son unité. Il est clair que nous arrivons à un point où la centralisation du pouvoir, de l'économie, de la culture, où les moyens de diffusion et de propagande dont ils disposent entraînent l'écrasement et la disparition des dialectes. »17 Nous avons déjà noter ce phénomène. Intéressons-nous donc à ce que déclare Pierre Guiraud au début de cette citation, quand les dialectes, et notamment le picard, à enrichit le français. Signalons d'abord que cette idée que le français standard soit une ''koïné littéraire'', une scripta donc, dont la formation remonte à un échange de traits dialectaux s'étant déroulé à Paris est assez récente.

    « Les XIVe et XVe siècles est une période durant laquelle la langue française se différencie des autres langues d'oïl et devient la langue officielle du royaume de France, au lieu du latin et des autres langues d'oïl, de l'occitan et du francoprovençal. Le développement de la littérature en français moyen prépare le vocabulaire et la grammaire du français classique, et annihile petit à petit les concurrentes. Mais plutôt que de dire qu'une langue est un dialecte qui a réussi, on peut dire qu'un dialecte qui a réussi est une langue. La « réussite » d'un dialecte est toutefois très relative. Au strict point de vue linguistique, il n'existerait que des dialectes romans, diversement bien ou mal traités par le destin des hommes qui les parlent, ou les ont parlés. »18 On peut dire aussi que le français ne descend pas du francien (comme on appelle ce dialecte imaginaire d'oïl du centre la France), mais qu'il s'est formé d'influences diverses au fil des ans, de plus en plus tiraillé entre essayer d'atteindre la perfection du latin19, et de renouer avec sa source, les patois (les emprunts aux dialectes de France en faisant foi). Il faudra attendre les années 30 pour que la théorie du francien soit mise en doute, mais par les romanistes germanophones d'abord comme Karl Vossler, Frankreichs Kultur im Spiegel seiner Sprachentwicklung: Geschichte der französischen Schriftsprache von den Anfängen bis zur klassischen Neuzeit (C. Winter, Heidelberg, 1913) et Walter von Wartburg, Évolution et structure de la langue française (B.G.Teubner, Leipzig et Berlin, 1934).

    C'est le provençal qui donna la plus grande contribution à enrichir le français. Mais c'est le normanno-picard et le picard qui viennent en second. Corblet déclare : « Le patois picard est celui qui a le mieux conservé la physionomie primitive de la langue romane et qui a le plus influé sur la formation de la langue française. »20

    On a vu qu'il y avait une volonté de christianiser le peuple et pour cela il fallait s'exprimer en langage roman. C'est ce qui permet à John Ruskin d'écrire sans le premier volume de Our Father Have Told Us, qui raconte l'origine du christianisme en Europe : « Franks du Paris qui doit exister, en un temps à venir, mais le Français de Paris est, en l’an de grâce 500, une langue aussi inconnue à Paris qu’à Stratford-att-ye-Bowe. Le Français d’Amiens est la forme royale et le parler de cour du langage chrétien, Paris étant encore dans la boue lutécienne pour devenir un jour un champ de toits peut-être, en temps voulu. Ici près de la Somme qui doucement brille, règnent Clovis et sa Clotilde. »21

    En effet, la Picardie est très tôt liée au pouvoir royal :

    • Tournai est cité royale sous le règne de Childéric Ier et de Clovis Ier, et donc ainsi la première capitale du royaume franc. Le roman de Maurice des Ombiaux, Le Maugré évoque cet héritage franc de la loi salique dans les mœurs du Tournaisis où le « mauvais gré » frapperait encore. On en parlera de nouveau plus bas.

    • Soissons (Aisne actuel), à l’époque mérovingienne, devient la première capitale du royaume des Francs après le siège et la victoire (en 486 après J.-C.) de Clovis sur l'armée du général romain Syagrius. C’est l’époque légendaire du fameux épisode du vase de Soissons.

    • Les seigneurs de Coucy, aujourd'hui Coucy-le-Château en Picardie près de Laon, furent une des familles les plus puissantes du royaume de France. Enguerrand de Boves, mort en 1115, se distingua dans la première croisade. Son fils se rebella contre le roi Louis VI (1108-37), qui dut entreprendre deux expéditions militaires contre lui. Enguerrand III combattit dans l'ost de Philippe Auguste (1180-1223) à Bouvines en 1214.

    • En 1214, Philippe Auguste annexe le Valois (chef-lieu, Vez dans l'Oise actuelle) au domaine royal. L’abbaye Saint-Corneille de Compiègne (876-1790), située à 75 km au nord de Paris, dans le pays de Valois, est abbaye impériale et royale, fondée par un empereur, pour succéder ou être au moins la rivale de la chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle. Plusieurs Carolingiens se font couronner ou inhumer dans ses murs. Quand ces derniers prennent le pouvoir, c'est en son sein qu'une assemblée reconnaît comme roi Hugues Capet. Mais, après 987, l'influence de l'abbaye diminue et devient presque uniquement provinciale. Le Comté de Valois forme au Moyen Âge un fief, qui, en 1284, est donné en apanage (ce que les souverains donnaient à leurs puînés pour leur tenir lieu de partage), avec le titre de comté, par Philippe le Hardi à son fils puîné Charles, fondant ainsi la maison de Valois. Philippe de Valois est le premier roi de France (Philippe VI de France) sacré en 1328 appartenant à la branche dite de Valois de la dynastie capétienne. Cette dynastie règne jusqu'en 1589, date de la mort de Henri III de France. Le royaume passe alors à la branche ducale d'Orléans.

     

    « L'histoire de l'antique France semble entassée en Picardie. La royauté, sous Frédégonde et Charles-le-Chauve, résidait à Soissons, à Crépy, Verbery, Attigny ; vaincue par la féodalité, elle se réfugia sur la montagne de Laon. Laon, Péronne, Saint-Médard de Soissons, asiles et prisons tour à tour, reçurent Louis-le-Débonnaire, Louis-d'Outremer, Louis XI. La royale tour de Laon a été détruite en 1832 ; celle de Péronne dure encore. Elle dure, la monstrueuse tour féodale des Coucy.

    Je ne suis roi, ne duc, prince, ne comte aussi,

    Je suis le sire de Coucy.

    « Mais en Picardie la noblesse entra de bonne heure dans la grande pensée de la France. L'héroïque maison de Guise, branche picarde des princes de Lorraine, défendit Metz contre les Allemands, prit Calais aux Anglais, et faillit prendre aussi la France au roi. La monarchie de Louis XIV fut dite et jugée par le picard Saint-Simon.

    « Fortement féodale, fortement communale et démocratique fut cette ardente Picardie. Les premières communes de France sont les grandes villes ecclésiastiques de Noyon, de Saint-Quentin, d'Amiens, de Laon. »22

     

    Les villes du Nord étaient riches, et leurs bourgeois libres. Mais « comme la Picardie linguistique s'étendait jusqu'aux portes de Paris, cela a sans doute favorisé de nombreux emprunts du français au picard »23.

    Mais aussi au temps des foires, le picard aura sa place parmi les dialectes influents. « Pour protéger et faciliter leurs activités aux foires de Champagne et du Lendit, les villes du Nord s'étaient regroupées dans une hanse appelée « hanse des XVII villes ». Trois listes médiévales révèlent, malgré son nom, que la hanse regroupait vingt-et-une agglomérations. Il s'agit des principales villes drapières depuis Beauvais, au sud, jusqu'à Bruges, Gand et Ypres, au nord. »24

     

    Cependant les régionalismes sont peu nombreux quand on compare la situation de l'allemand, l'italien, de l'espagnol, ou le russe, ce qui confirme le « caractère centralisateur et normalisateur du français qui répugne à l'adoption de termes dialectaux. »25 « Bien loin que le mélange de français et de picard soit extraordinaire et dénote un langage de paysans grossiers, c'est, au contraire, l'absence de prononciations dialectales dans le français correct qui est surprenant et mérite d'être expliquée. Ce n'est pas une épuration naturelle ni spontanée ; elle est due à l'action volontaire et préméditée des hommes qui, écrivains et grammairiens, ont fait du français traditionnel la langue classique du XVIIe siècle. »26 Ce français traditionnel cependant, mélange de français et de picard, survit au moins encore, d'après Henri Wittmann, dans le français colonial (notamment québécois), comme nous le verrons plus loin.

    Nous explorerons la situation d'autres langues en comparant avec le picard en France. Pour le moment, nous allons explorer ce que le français actuel doit au picard.

    En vue d'ensemble, signalons que le picard serait, parmi les dialectes d'oïl, à la 3e place au nombre de termes que le français lui a emprunté, et ce jusqu'au XXe siècle. Il arrive donc après le normand (mais on sait comme le picard et le normand sont parfois proches), et les dialecte ouest-centre (mais proportionnellement à la surface occupée, cela est peu comparé aux autres). Il se place avant le wallon, et les dialectes de l'est. Signalons encore cependant que ce sont les dialectes du midi de la français qui sont les plus gros pourvoyeurs. Le breton et l'alsacien arrivent en grand derniers.

     

    Passons d'abord en revue, les emprunts phonétique et morphologique :

    • le suffixe -eur, anciennement -our, remonte au suffixe de noms d'action lat., -or, -ōrem, Antoine Cauchie en 1570 et Étienne Tabourot (1549-1590) précisent que la prononciation -our est vieillie. De plus précisons que le -r ne s'est pas toujours prononcé également en français jusqu'au XVIIIe siècle (on écrivait porteur, coupeur, mangeur, sauteur mais on prononçait porteux, coupeux, mangeux, sauteux...)

    • flûte, affubler serait également des prononciations picardes.

    • le mot chanvre semble bien avoir pris le genre masculin au contact du picard (le seul masculin relevé dans les textes en 1270 est d'origine picarde), le féminin est encore attesté par La Fontaine (et Littré) et est demeuré tel dans de nombreux dialectes.

     

    D'après E. Philipon27, la terminaison -ise et -ice serait picarde, alors que la terminaison -aise et -aison sont française. La langue française a emprunté falaise sous sa forme normande faleise, cité par Wace dans le Roman de Brut vers 1155. Le terme est attesté en outre, en champenois et en picard, sous la forme ancienne faloise : voir les communes de Falaise (Ardennes, jadis Falloise) ou la Faloise. On a en picard et en wallon falise : la Falise, Pinchefalise, Houffalize (en Belgique).

    Franchise (anc. francheise), feintise (anc. feinteise), prison (proison), chemise (chemeise)... qui sont les formes normales pour un i bref latin (-ise (d'origine du nord, mais d'origine savante d'après Gaston Paris)/-eise (d'origine normande) comme -ice (d'origine du nord, mais d'origine savante d'après Gaston Paris : sacrifise passe à sacrifice) et -esse (d'origine centrale : richeise passe à richesse, grandise passe à grandesse) < lat. -itia). Richesse et prouesse ont supplantés richise et proïse. Artison et sillon ont par contre eu raison de artaison et de seillon/soillon (cf. parrish en anglais de paroisse).

    Quand on se réfère au Dictionnaire de Godefroy, il semble qu'en langue d'oïl, les formes en -ise l'emportent et de beaucoup sur les formes concurrentes en -eise ou en -oise ; c'est ainsi que pour certise, franchise, gentilise grandise, on chercherait vainement les formes correspondantes en -eise ou en -oise sur lesquelles on serait en droit de compter en présence non seulement du lyon. francheisi et du prov. certeza, grandeza, gentileza, mais encore des formes françaises telles que richeise, proeise. En réalité, la prédominance des formes en -ise n'est qu'une apparence, elle tient à ce que les œuvres littéraires du moyen âge qui nous sont parvenues, ont été pour la plupart sinon composées du moins copiées dans le nord du domaine d'oïl, c'est-à-dire précisément dans la région où le phonème ẹ + ị. aboutit normalement à i. C'est de la même manière qu'il faut expliquer l'abondance des formations en -ice telles que bandice, molice, etc. [...]

    Pour être complet, je dois ajouter qu'à l'époque romane, la langue d'oïl a fait un fréquent usage des suffixes sortis de -ĭtio, -ĭtia ou -ĭcio, -ĭcia, pour tirer de noms ou d'adjectifs français des dérivés tels que couard-ise de couard, sechise de sèche, prov. sequeza, volise "volaile", soutilece "adresse" de soutil.

    Le français commun a éliminé la plus grande partie des formations en -ĭtia, fran. -eise, -ise qui se rencontrent dans nos anciens textes, pour les remplacer par des formations en -ĭcia, franç. -eice, -ice : richeice, proeice, grandeice, aspreice, justeice, aujourd'hui richesse, prouesse, etc., ont été préférées à richeise, proeise, grandeise, aspreise, justeise ; toutefois, quelques formes en -ise doublet dialectal de -eise, ont réussi à obtenir droit de cité dans la langue littéraire ; c'est là ce qui explique l'alternance richesse, prouesse, paresse : franchise, feintise, couardise.28

    -ise a été un suff. productif. En a. et m. fr., il alternait fréq. avec -ie (cf. auj. sottise/sotie);

    -ise a reculé notamment au profit de -erie : commanderie/-ise, galanterie/-ise, ivrognerie/-ise, etc. En fr. mod., le suff. est resté productif, mais uniquement à partir d'adj. en -ard. V. débrouillardise (1937, La Croix), égrillardise (1927, Montherl.), faiblardise (1905, Alain-Fournier), goguenardise (1853, Champfl.), gueulardise (1858, Sand), jobardise (1887, Laforgue) et aussi : musardise (1845, Besch.), pochardise (1875, Lar. Lang. fr.), roublardise (1888, Zola ds Lar. Lang. fr.), vachardise (1936, Céline, Mort à crédit, p. 154), vantardise (av. 1850, Balzac ds Lar. Lang. fr.). Le seul dér. mod. sur une autre base est traîtrise (1810, Lar. Lang. fr.).

     

    De la même manière, le suffixe -is peut avoir une origine picarde. Le suff. -ëiz, réduit progressivement au monosyllabe -ëiz, -iz, -is, a pour orig. le lat. -aticiu. Le suff. a eu une productivité considérable en a. fr. : acolëiz, baisëiz, chaplëiz, defolëiz, froissëiz, meslëiz, poignëiz, tuëiz. L'orig. du suff. -is dans les dér. à valeur collective sur des bases subst. reste obscure : châssis (ca 1160, chasiz), lattis (xiiies., latis ds Lar. Lang. fr.), paillis (xiiies., pailliz, ibid.). Le fr. mod. garde quelques témoins de -is à valeur de part. Prés. : vent coulis et subst. fém. coulisse (1165-76, porte de fer coleïces), pont levis (xiies., pons leveiz).

     

    Faisant moins de doute est le suffixe -chiau qui ne se retrouve que dans des mots d'origine dialectale (fr. -ceau) : monchiaü (monceau), caudronchiau (petit chaudron), ramonchiau (petit balais), cf. rue des Poissonceaux à Lille dont le nom a été francisé... au fém. -chèle (cf. ficèle) : harchèle (petit hart), brinchèle (petit brin)...

     

    On note ainsi une évolution tardive en francien de /oŭ/ (du latin Ū, Ŭ ou Ō) en /eŭ/ > /œŭ/ qui serait du à une influence picarde29 : gueule (pour goule, voir gargouille, margoulette, engoulevent), peu (pour pou), bleu pour blou, seigneur pour seignour. Natalis de Wailly précise : « Les substantifs et les adjectifs latins qui ont leur génitif en oris se présentent dans les chartes de Joinville (en Champagne) avec trois désinences différentes or, our et eur ; c'est ainsi qu'on y trouve alternativement « seignor, seignour, segneur. » Au contraire, dans les chartes d'Aire (en Artois) la désinence eur est la seule employée pour le mot segneur et quinze autres mots de la même catégorie. Il en est de même de l'adverbe ailleurs. Eur alterne avec or dans les mots leur et lor employés comme pronoms personnels ou possessifs ; mais la forme leur est plus ordinaire, tandis que dans les chartes de Joinville il y a partage entre ces deux formes et la formes lour, qui ne paraît pas dans les chartes d'Aire. »30

    Voir également preux qui se dit proud en anglais, et prou dans l'expression peu ou prou, tous descendant du latin vulgaire prode, « utile, profitable » ; queue et coué (« dont on a coupé la queue »)... Quelques mots on gardé leur prononciation : louve et loup (mais on dit queue-leu-leu de queue-le-leu, c'est-à-dire queue le loup), amour31, jaloux, époux, les seuls deux termes qui aient gardés la prononciation -oux (du francien -os, -ous du lat -ōsus)... Mais on dit maintenant heure, demeurer, pleuvoir, pleure, fleur, nœud... mais couvrir, labourer, prouver, souffrir, roue, fougère, trou, clou... Féraud dans son Dictionaire critique de la langue française (1787-1788) précise que « Vaugelas était d'avis que trouver et treuver étaient tous deux bons ; mais que le premier était sans comparaison le meilleur. Ménage pensait de même. Les Poètes, pour la comodité de la rime, se servaient tantôt de l'un, tantôt de l'aûtre.

    Non, l' amour que je sens pour cette jeune veuve

    Ne ferme point mes yeux aux défauts qu'on lui treuve.

    Misantr.

    Depuis long-tems on ne dit plus treuver, ni en prôse, ni en vers, excepté le Peuple en quelques Provinces. »

    Ses provinces semble être le Berry, la Lorraine et bien-sûr la Picardie. Et c'est dans la conjugaison que l'usage a été le plus long à s'uniformiser.

     

    On a aussi corrigé certains mots en -o- sur le modèle du latin : coper a été remplacé par « couper », comme co par « cou » (écrit col), norrir par « nourrir », brossailles par « brousailles », gouyave par « goyave » et gouyavier par « goyavier »...

     

    On remarque une longue hésitation pour le son final -che / -que, mais qui semble, selon les mots, être plutôt une influence gasconne ou italienne : sandarache / sandaraque, ; flache / flaque, rubriche / rubrique, empoche / empoque, pendiloches / pendiloques, fourche / fourque, lambrusche / lambrusque...

    Le mot mélange est resté longtemps écrit meslenge, meslinge (chez H. Estienne et Maupas), puis meslange...

     

    Théodore Rosset signale dans le langage populaire de Paris au XVIIe siècle, des hésitation (dues parfois à une influence picarde) entre les sons suivants : o / u (ou), è / à, yin / yan, l, r, k, f et y deviennent muets à la fin des mots, tandis que les consonnes sonores s'assourdissent et que les liaisons se font de moins en moins ; l et r s'échangent, ainsi que l et n ; y palatalise les consonnes dentales t, d, l et n.32

    Sont particulièrement picards :

    • o a remplacé u (ou)(brossailles / brousailles),

    • e s'est substitué à a33 (asparge / asperge, argot viendrait de ergot, barlue / berlue, çarceuil / cercueil, gearcer / gercer, garet / guéret, garer / guérer, garite / guérite, sarpe / serpe, sarpillière / serpillière...),

    • i remplace é (pavillon, trémie, vigne),

    • i final est nasalisé (prins, apprins, chanfrein),

    • ü et œ (gageure / gagure, mugler / meugler, noeud / nu, meunier / munier, meure / mure, rheume / rhume, teudesque / tudesque, berlue rime avec bleue chez Le P. Carneau, La Stimmimachie, en 1656),

    • ü et u (crupion / croupion, ensouple / insuple, esturgeon / estourgeon),

    • ẅ et w (cuin / coin) sont confondus,

    • üi se réduit à ü (ruit / rut, luite / lute, curée / cuirée),

    • y intervocalique devient j (envojer / envoyer, mojen / moyen),

    • r suivi de e féminin se transpose facilement (brelan / berlan, berloque / breloque, épervier / éprevier, berline / breline, berlingot / brelingot, bertauder / bretauder, calfeutrer / calfreter, chamberlan / chambrelan, esprevin / espervin, feurlater / frelater, guerlin / grelin, pimpernelle / pimprenelle...),

    • ņ et n (montagne / montane, commugne / commune),

    • ļ et l (baril, babil, courtil / outil, gentil, grésil, persil, sourcil, écaille / écale) sont confondus,

    • k a remplacé ş (cloque / cloche, cariage / chariage, catouiller / chatouiller, déroquer / dérocher, écaille, écale / échaille, broche / broque, porche / porque, empoque / empoche, fourc / fourche, roquet / rochet...),

    • j et ş se substituent à z et s (bizarre / bigearre, Autriche / Autrice, cylindre / chilindre, chiffre / sifre),

    • eau se prononce yo (pourciau, cariau, escritiau), etc...

    Il note la même tendance dans la morphologie, « plus populaire, plus archaïque et plus picarde que la morphologie de la langue littéraire. »34

     

    -ie- venu de l'anglo-normand d'après L. Havet35, mais on peut penser que celui-ci à été influencé par le picard. En français actuel, on a DECEM > dix, ELIGERE > élire à côté de TERTIUM > tiers, CEREUM > cierge, NEPTIA > nièce, ADJUTARE > aidier > aider, PECIA > pièce mais SPECIA > épice... amitié, moitié, pitié, CANIS > chien... sans qu'on puisse expliqué le yod.

    De même dans les ordinaux. Les grammaires élémentaires enseignent que dans le plus ancien français (en tout cas au moins jusqu’en 1150) les dix premiers adjectifs ordinaux étaient :

    - prim ou premier (< PRIMARIU),

    - altre (< ALTER) et seont (< SECUNDU) (secont qui est savant et apparaît déjà dans le Comput),

    - tiers (< TERTIU),

    - quart (< QUARTU),

    - quint (< QUINTU),

    - siste ou sixte (< SEXTU),

    - sedme ou setme (< SEPTIMU),

    - uidme ou uitme (< OCTIMU),

    - nuefme (< NOVIMU pour NONU),

    - disme (< DECIMU). Cf. la dîme en français, dixième partie des récoltes prélevée par le clergé ou la noblesse.

    En français, on pense que c'est une influence de disme sous une forme dialectale normande (nord-ouest), donc diesme, qui s'est étendu à la série de deux à dix à partir du XIIe siècle, et qui s'est propagé en ancien français. Cependant d'autres formations ont rivalisé : celle en -ANU > ain notamment (que l'on conserve dans les collectifs semaine, huitaine, neuvaine, dizaine, douzaine, quinzaine).

    En effet, -ẹsimu est traité en roman comme ayant un ẹ entravé, cf. les traitements de quadr(ag)-esima. Or, pal. + ẹ entr. > ẹ : cel, cest, etc. Donc *undec-esimu donnerait onzesme.

    Mais en picard (et non en normand selon Jacques Allières), ce ẹ roman entravé a donné une diphtongue ie : ec]c(e) illum > chil (cilh en wallon), ec]c(e) isti > chis(t), et bellu > biel, testa > tieste...

    Dans les textes, on trouve :

    - La diesme au tricheor baillerent. (Chastoiement d'un père à son fils, XIII, 239). Normandie ou Angleterre.

    - Le fiens qui sont tenus d'euls en diesmage d'Ymare. (Jurés de S.-Ouen, f° 97 r°, Arch. S.-Inf.) (dismage étant le lieu assujetti à la dîme). Normandie.

    - Grange dyesmeresse. (1398, Dénombr. du bailliage de Constentin, Arch. P 304, f°74 r°.) (dismeresse désigne le lieu où l'on recueile la dîme). Normandie.

    - A Geldefort fist toz mener Cels de Normendie a diesmer. (Wace, Rou, 3e p. 7457, Andresen.) (dismer veut dire lever la dîme ou décimer). Angleterre.

    - Por dimer clers et borjois et sergens. (dismer veut dire lever la dîme ou dépouiller). Artois.

    - witime. (28 oct. 1258, Flines, Arch. Nord.) Huitième. Artois.

    - uitisme. (Jurés de S. Ouen, f° 29 r°, Arch. S.-Inf.) Huitième. Normandie.

    - uitième. (Ib., f° 33 r°.) Huitième. Normandie.

    D'après Gustave Fallot, on disait « pramier, primier, prumier (Flandre, 1238, Thes. N. Anecd. t.I, col. 1007), premier, première. Toutes ces formes sont très communes dans les provinces de langage picard et bourguignon : li premiers, la premiere, se trouvent déjà dans les Sermons de S. Bernard. En Normandie on disait : primer, primers, primere, premer (Voy. de Charlem. 96, 99), premere, et quelquefois prime, pour les deux genres. » (Recherches sur les formes grammaticales, p.214). Fallot fait donc dériver la suite des ordinaux de premier (qui aurait donné le hiatus) et non de dixième. D'après lui, premierement également est d'abord utilisé dans la Bible par Jean Beleth (de la Somme). De là dériveraient les autres.

    L.Brébion cite les formes ienme, ième, v. fr. ime, isme, iesme, sert comme en français à former les nombres ordinaux : deusienme, deuxième; dousienme, douzième.36

    Carl-Théodor Gossen semble sous-entendre un compromis entre les formes picarde en -i(s)me et normande et central en -esme.37

     

    D'après Adolf Horning38, le -s à la conjugaison des verbes à la première personne est d'origine picarde et pas toujours du fait d'une analogie avec la forme de la 2e personne (pour les verbes à radicaux vocaliques, tel je vois, je dois, je puis, je suis, je voyais, je devais, je pouvais, j'étais...).39 Pour les verbes en -t ou -d et -r ou -m/-n, en ancien-français, on remplaçait cette dernière lettre le par un -z, qui répondait à -c ou -ch en picard (issu de -io latin). Ce -z [ts] se réduit en -s dès le XIIIe siècle, et s'est propagé aux autres verbes à radicaux consonantique : on a donc je crains, je consens, je veux, je promets, viens, meurs, tiens... Pour les verbes du premier groupe, on avait la terminaison -e à la première personne, surtout à la suite de deux consonnes (encontre). Plus tard le -e se substitua dans tous les verbes de la première conjugaison à -s (redouz > redoute). Par généralisation, on considéra -e et -s comme des terminaisons équivalentes, on a donc substitué plus tard -s à -e à l'imparfait de l'indicatif et au conditionnel.

     

    Le suffixe -aige serait d'origine du Nord-Est (lorrain, bourguignon, wallon et en partie picard dit Kristoffer Nyrop)40 : partout -age, -aage, -aige étaient des formes admises jusqu'au XVIe siècle (le Dictionnaire de Jean-François Féraud (édition de 1788) dit en remarque : « Il n'y a pas encore deux cens ans que les mots terminés aujourd'hui en age, avaient leur terminaison en aige. On disait badinaige, couraige, etc. ), et dans la région parisienne, si on écrivait -aige, on prescrivait (Ramus notamment) de dire -age (le i n'étant qu'étymologique pour la latin -ATICUM, de même pour gaignier prononcé gagner sauf en Picardie d'après Bèze), mais c'est la forme en -age qui l'emporte enfin.

    « Les mots en -age (et, moins souvent, en -ache) apparaissent parfois sous les graphies -aige (et -aiche). Dans le suffixe latin -aticum, par exemple, d'où est issu le suffixe français -age, la présence de la palatale c ne devrait pas suffire, en théorie, à donner naissance à un yod et l'a devrait se maintenir tel quel. On considère donc la graphie ai comme dialectale (Nord, Est et Ouest). Si cette graphie atypique est absente, par exemple, de la Chanson de Roland, elle n'en apparaît pas moins dans un certain nombre de textes littéraires, et déjà dans certains textes assonancés comme le Charoi de Nîmes. On la trouve aussi chez certains trouvères, comme Thibaut de Champagne, mais de manière isolée et pas à la rime, où -age reste de rigueur. Elle ne devient réellement fréquente qu'au XVe siècle où, par exemple, elle est quasiment systématique dans Maistre Pierre Pathelin. Cette farce recèle notamment les rimes corsaige : naige (pour « neige »), froumaige : l'aurai-je, qui montrent sans équivoque que ces mots riment en e. Le registre de l'œuvre est, il faut le rappeler, popularisant.

    Les Traités de seconde rhétorique font aussi une large place à la graphie -aige, et ils associent volontiers les mots en -a(i)ge < -aticum avec des formes comme ai-je ou scay-je. On peut douter néanmoins, que [èJë] (ou [eJë]) se soient jamais insinués jusque dans la déclamation la plus soutenue. Quoi qu'il en soit, le XVIe siècle marque le déclin des graphies en -aige. Chez Marot, les graphies -aige et -age sont occasionnellement associées à la rime, ce qui donne a penser que la première a perdu toute valeur phonétique spécifique. Ronsard ou Peletier me semblent avoir définitivement abandonné la graphie -aige. Quant aux dictionnaires de rimes, celui de Tabourot, qui n'est pourtant pas trop regardant lorsqu'il s'agit de recenser des rimes périlleuses, ignore complètement -aige ; celui de La Noue fait montre de la même ignorance et ne prend donc même pas la peine de mettre l'apprenti poète en garde contre l'emploi de ces formes déjà vieillies. »41

     

    La prononciation -oi- /wè/ puis /wa/ est emprunté aux dialectes de l'est et du nord, durant le XVIIe siècle. Mais cette évolution a eu lieu plus tôt en dans le Nord qu'ailleurs (avant le XIe siècle) : les plus anciens exemples de oi se trouvent dans des textes du Nord.42 Quelques mots seulement ont gardés leur prononciation parisienne43 : faible (pic. foéble), maison (pic. moison), français (pic. françoés)44, raisin (pic. roézin, rojin), craie (pic. cran, croie), claie (pic. cloé), raie (pic. roé), ivraie, harnais, vairon (pic. voarache), mortaise, faire (pic. foére), je vais (pic. j' vos), verre, tonnerre (pic. tonoére), ménage (pic. moénache), la prononciation des lettres bé, cé, dé45... les verbes en -aître (connaître, paraître..., pic. conoéte, parwoéte), les désinences de l'imparfait (chantait, pic. cantoés)...

    Par contre croire, croître, foie, toile, doigt, poire, étroit, froid, droit, armoire, avoine, foin, que je sois, je dois, François, les verbes en -oyer (noyer, broyer, envoyer...) sont typique d'une prononciation du Nord-Est, même si on a logiquement balayer sur balai, essayer sur essai, rayer, enrayer et dérayer sur raie, égayer sur gai, zézayer sur zézaie(-ment), mais effrayer sur effroi (effroyer se trouvait au début XIVe s.), et convoyer sur convoi, fourvoyer, dévoyer sur voie, larmoyer sur larme, aboyer sur aboie(-ment), mais de l'a.fr. plaidoiier, plaidiier, se plaideier, on n'a plus maintenant que plaidoyer, et le suffixe -oyer l'emporte dans tutayer qui a été employé jusqu'au XVIIe s. pour tutoyer, mais pas pour monnoyer qui s'est effacé au profit de la variante monnayer vers le milieu du XIXe siècle, planchoyer a laissé la place à planchéier (« garnir de planches », première attestation en 1558), l'ancien et moyen-français soldeier « payer, récompenser » a forger soudoyer « verser une solde ». À côté de diverses autres formes souppleer, suploier, soupplir, etc., la forme suppléer paraît provenir d'une réfection opérée sous l'influence conjointe du latin supplere, de supplier et de mots comme créer. Créance (lettre de créance, « lettre accréditant celui qui les remet ») est un dérivé du radical cre- des formes fortes de croire et en particulier du participe présent créant (et suffixe -ance). Mécréant est le participe présent de mécroire (au XIIe s., mescreire). C'est clairement le suffixe -oyer qui l'emporte maintenant, par exemple vouvoyer (ou vousoyer, voussoyer), flamboyer, blondoyer, et festoyer, tournoyer, guerroyer...

    La forme ancienne aveine régulière du XIIe au XVIe siècle a été remplacé au XVIIe s. par la forme avoine. On pense que la prononciation ont pu être apportées de l'Est avec le fourrage ou la céréale (tout comme le foin).46 Cependant une influence de la consonne labiale (v, f, m, b...) a pu également jouer sur la prononciation comme dans moins (a. fr. meins) et moindre (a. fr. meindre), [il] abaie > aboie, armaire > armoire, messon > moisson, émoi (du verbe ancien français esmaier, « inquiéter, effrayer »), etc.

    Le latin BATARE « ouvrir la bouche » donne aboyer et béer/bayer/bâiller. Du lat. PLICARE « plier », devenu en a. fr. pleier, ploier, ont été refaites, d'après des verbes à alternance vocalique comme nier ou prier, la prononciation plier en concurrence avec ployer, qui est vieilli et recule dans l'usage, alors que déployer et déplier ont deux usages différent, et qu'on n'a jamais connu que employer. Au XVIIe s., on a essayé d'introduire, sans succès, une différenciation de sens entre plier et ployer. 

    Par contre, on a bien deux sens différent pour soie et saie, « petite brosse en soies de porc, utilisée par les orfèvres », qui reprend la prononciation normande d'origine.

    Malgré l'orthographe, voir comment on prononce moelle, poêle, couenne, comme ouaille (que Charles Maupas prononce oueille en 1625).

    Roide et raide et roidir et raidir sont encore en concurrence même si la prononciation [ε] semble l'emporter (le TLFi indique « [rεd], vieilli [rwad]. Raide est une forme ancienne issue de bonne heure de l'anc. fr. roide et que l'on retrouve à l'époque moderne, où elle l'emporte sur roide considéré comme vieux ou littéraire »). En picard, c'est roéde.

    On a aussi le féminin reine à côté du masculin roi (Froissart écrivait le féminin royne en son temps), cette forme féminine reine est une écriture savante d'après Théodore Rousset (latin REGINA), et ce n'est qu'à la fin du XVIe siècle, qu'on prononça [rεn]. Enfin dans la vénerie, on a le mot époi (cor qui termine l'empaumure d'un bois de cerf) et de même origine (dès le 1er quart du XIVe s.), l'a. fr. espeyard « cerf dans sa troisième année ».

    Cela explique l'hésitation entre la prononciation du suffixe gallo-roman -ĒSE formant les gentillets. Leur distribution dépend de la forme phonique de la terminaison (-on et -land détermine le suffixe -ais dans 93% des cas, par exemple dans Lyon > Lyonnais, Groenland > Groenlandais, et la terminaison [εl] -el, -els, -elle, -elles détermine le suffixe -ois (77%) par exemple dans Fontenelle > Fontenellois...).

    Mais on remarque aussi une répartition régionale : -ais est le suffixe préférentiel de l'Ouest de la France (Nantes > Nantais), -ois plutôt de l'Est, du Nord de la France et de la Wallonie (Lille > Lillois, Ath > Athois, Bar > Barrois ou Barisien, Metz > Messois forme fautive pour Messin, Vouziers > Vouzinois...)47.

    Étonnamment, on a Artois, mais Artésien et non Artoisien (en picard Artoés, et Artisien), comme on a Savoie, Savoisien.

    Comparons encore la conjugaison à l'imparfait des verbes foére ou foaire « faire » et envéier ou invoéyer « envoyer » :

     

    français

    picard d'Amiens

    je faisais

    tu faisais

    il faisait

    nous faisions

    vous faisiez

    ils faisaient

    éj foaisoais

    tu foaisoais

    i foaisoait

    os foaisoème

    os foaisoète

    i foaisoai'te

     

    français

    picard d'Amiens

    j'envoie

    j'invoée

    j'envoyais

    j'invoéyoais

    j'enverrai

    j'invoérai

    j'enverrais

    j'invoéroais

    que j'envoie

    éq j'invoéche

     

    Autre influence, l'hésitation pour les verbes en -endre et -ondre où le d épenthétique (caractéristique des dialectes d'oïl centraux) sera présent ou non dans la conjugaison du vieux verbe semondre (et ses anciennes formes) et tondre ou prendre (10 verbes suivent ce modèle dont : apprendre, comprendre, déprendre, désapprendre, entreprendre, éprendre, méprendre, prendre, reprendre, surprendre) et attendre (56 verbes suivent ce modèle dont : survendre, descendre, fendre, revendre, détendre, suspendre...), par exemple au présent de l'indicatif pour les personnes du pluriel :

    semondre

    tondre

    nous semonons / semondons

    vous semonez / semondez

    ils semonent / semondent

    nous tondons

    vous tondez

    ils tondent

     

    Voir : « Semonez-moi et sains et saintes » (Fabliau de la Court du Paradis, vers 53)

    « Et nos vos en semonons » (La croisade de Constantinople, XLVI)

    « Que li saint par la cité sounent, / Les gens esmoevent et semonent / D'aler oïr le Diu mestier. » (Amadas Et Ydoine, vers 3717-19)

    « Vos douces amors me hastent / et semonent et travaillent. » (Aucassin et Nicolette, XXXVII, vers 12-13)

     

    prendre

    attendre

    nous prenons

    vous prenez

    ils prennent

    nous attendons

    vous attendez

    ils attendent

     

     

    apprendre

    suspendre

    nous apprenons

    vous apprenez

    ils apprenent

    nous suspendons

    vous suspendez

    ils suspendent

     

    Pierre Le Goffic, dans Les formes conjuguées du verbe français: oral et écrit (p.99-100) dit : « Le [d] de [põd] provient de l'infinitif : seuls l'infinitif et le futur, avec un [d] épenthétique entre [n] et [r], sont réguliers du point de vue étymologique. Par la suite le thème [põd], senti comme le radical du verbe, s'est étendu à toute la conjugaison : le présent ancien (il) pont, (vous) ponez a été refait en il pond, vous pondez (cf. fondre, tondre, répondre). La participe passé ponnu a été refait en pondu, et la passé simple ancien (il) post a été remplacé par il pondit. » Pour prendre (p.101) : « L'infinitif prendre est régulier, de même que le futur prendrai, mais ce verbe a perdu le -d- de son radical au présent (et temps associés), pour des raisons mal élucidées (Fouché, 1967, p.107), où l'analogie avec nous tenons, nous venons a sans doute joué un rôle : le paradigme ancien (il) prent, prendons, prendent est devenu prent, prenons, prenent. L'élimination du [d] au pluriel n'a pas empêché la réintroduction d'un -d- graphique au singulier en m.fr. ! »

    Yves-Charles Morin arrive à la conclusion que « les alternances du type prendoit ~ prenoit du verbe PRENDRE semblent remonter à une différentiation dialectale ancienne, antérieure à la période de l'ancien français. La suite [nd] dans les paradigmes qui connaissent le type prendoit est héréditaire et reflète directement celle de l'étymon PRĒNDĔRĔ. Cette évolution est bien attestée sur le territoire comprenant maintenant le Hainaut et le Département du Nord.

    « Les autres paradigmes remontent à des formes où la suite originelle [nd] avait été réduite à [nn] puis à [n] à l'intervocalique. Dans la plupart des régions d'oïl, [nd] s'est probablement réduit à [n] avant la syncope, de telle sorte que l'infinitif PRĒNDĔRĔ, devenu ['prenere], a évolué comme PŌNĔRĔ, c'est-à-dire que ces deux verbes deviennent prendre et pondre dans les régions qui connaissent l'épenthèse dans les suites [nr] et p(r)enre et ponre ailleurs. Dans la plupart des régions où il apparaît, si le [d] du paradigme de PRENDRE a la distribution des [d] épenthétiques, très certainement parce que c'est un [d] épenthétique, et non parce qu'il a été refait par analogie sur le modèle de PONDRE ou de tout autre verbe.

    « On ne peut totalement exclure cependant, que dans certaines des régions qui connaissent le paradigme prendre - prenoit, la réduction complète de [nd] ne se soit produite qu'après la syncope. Dans ces régions, [nd] après la syncope et ne se réduite que plus tard devant la voyelle. Ou encore, [nd] pouvait être a stade [nm] au moment de la syncope, permettant à la géminée de redevenir [nd] au contact du [r] : ['prennere] > ['prennre] > ['prendre]. C'est certainement ce qui s'est produit dans une région comprise dans les Départements de la Somme et du Pas-de-Calais, puisque l'épenthèse dans les suites [nr] y est exceptionnelle. »48

     

    Un série de suffixes est a passer au crible.49

    • suff. diminutif -īccus / -īcca (penchant à -ittus/-itta, qui donne -et/-ette en français) : sur prénom -chon (Bodechon), son/çon (Jeanson, Bodson, Jackson, Berneçon), -con (Helecon), parfois en variante de -ekin (Bodechon/Boidekin, Rennechon/Renekien, Hanon/Hanot/Hanekin), bourriquet (fagot de branches), flamique/flamiche, manique... (-equin viendrait de -īccus + -īnus) : verquin (petit verre), boulquin (petite boule), noirquin (noireau), molequin (étoffe précieuse de lin) > moliquinier, molequinerie, mandekinier (vannier),

    • suff. -ōccus / -ōcca : -oque, -oquer : épinoque (épinoche), effiloquer (effilocher), balleuque (enceinte extérieure, banlieue)...

    • suff. péjoratif -ūccus / -ūcca : raveluque (rave sauvage), et raveluquer (déraisonner), éplyuquer (éplucher), boilluque (tripaille)...

    suff. péjoratif -accus / -eccus : s'imbernaker (s'empêtrer), poussaker (pousser), fournaker (fouiller), broussaker (mal ranger, brouiller), un brisake (un brise-tout), veulakeux (vaurien, bandit), fummaquer (fumer beaucoup), bousaquère (femme malpropre), treineke (traîne, espèce de filet)...

    Ces suffixes aboutissent également au son /k/ en wallon, normand, lorrain et provençal, l'origine de mots français avec ces finales n'est pas assurément du picard. Les formes en -iche, -oche, -uche descendrait de la forme latine concurrente -iceus, -oceus, -uceus (cf. en italien -occo et -occio : calabrais ciucciu/ciuccia / toscan ciuco/ciuca / italien sciocco "bourriquet, petit âne" ; et roumain -oc et -uc/-uca/-ucă/-uț/-uța/-iță, ex. mițoc / mîță, "chat / chatte"). Par contre, le suffixe -ache/-iche/-oche/-uche descendant d'un -aceus/-iceus/-oceus/-uceus latin est bien certainement d'origine normanno-picarde :

    -ache : bernache, bourrache, rondache...

    -iche : flamiche, bourriche, pâlichon, pouliche, catiche (bordure d'herbes autour des jardins maraîchers, env. d'Abbeville), castiche (mur bordant une rivière) (attestation sûre). L'étymologie de caniche n'est pas sûre50, de même barbiche ou biche. Cf. aussi peut-être les noms de villes : Aniche, Attiches, Coutiches (59) et Fréniches (60). Après correction en -is, -ie ou -i : pilotis (issu d'un ancien pilotiche), bouhourdich > bouhourdi « premier dimanche du Carème », toupiche (toupie), galichon (galette)...

    -oche : caboche, balocher, filoche (et effilocher), galoche, brioche, pioche...

    -uche : capuche, capuchon, caruche (prison, cf. incarcérer)...

     

    Évoquons également le suffixe -il/-ille avec E. Philipon51. « A la série méteil, oreille, treille, corbeille, corneille, seille, le français commun oppose une série de formes avec i, telles que persil, til, chenille, lentille, étrille, faucille, alors qu'il eût pu éviter cette antinomie en s'adressant au poitevin perseil, teil, foceille, étreille, ou au bourguignon tseneille, tseveille, lenteille. Ce sont bien évidemment des formes venues de dialectes différents que l'on doit reconnaître dans enseigne et signe < sĭgnat, sommeiller et pendiller, faisselle < fĭscella et arbrisseau < arboriscellu-, leçon pour un primitif leiçon et plisser < plectiare, fayer < frĭcare et ploier < plĭcare, noyer < nĕcare et pier < prĕcare.

    « Il est même arrivé que le français a donné droit de cité à des dérivés qui appartiennent à une formation dialectale différente de celle des simples correspondants, c'est ce que l'on constate pour tilleul et tignasse qui sont venus se juxtaposer à teille et à teigne, après avoir dépossédé les formes normales teilleul et teignasse.

    « Dans des cas d'ailleurs assez rares, l'Académie a fait accueil à deux formes dialectales différentes. De là les doublets teille et tille, teiller et tiller, greillon et grillon, ceintre et cintre, ceintrer et cintrer, cingler pour un plus ancien çaingler et sangler < cĭngulare, saingle et sangle < singulu-, cf. charrier et charroyer, subst. verb. charri (veilli) et charroi, ployer et plier, employer en regard de supplier, reployer et replier.

    « Tandis qu'employer a barré la route à emplier et que supployer s'est laissé supplante par supplier, ployer et déployer se défendent encore contre plier et déplier ; seulement, dans sa recherche de précision et de clarté, la langue incline à répartir entre les deux formes concurrentes des significations qui à l'origine leur étaient communes ; comparez, par exemple, les expressions "ployer sous le faix" et "plier un habit", "déployer ses ailes" et "déplier sa marchandise". A côté de léchier pour un primitif leichier <*lĭgicare, on voit apparaître, dès le XIIe siècle, la variante dialectale lichier qui a fini par prendre en français le sens spécial de "manger et boire sensuellement". Le bourguignon ne connaît que loichier et le lyonnais que lichî. Des spécialisations de sens analogues ont affecté les doublets d'origine dialectale cingler et sangler, ceintrer et cintrer, charroyer et charrier.

    « A l'assemblage bizarre de formes hétéroclites qui caractérise le français littéraire, il convient d'opposer la régularité parfaite avec laquelle les diverses formes romanes sorties du phonème ẹ + ị se sont réparties entre les divers parlers populaires de la France.

    POITOU : meil "mil", bareil "baril", arteil "orteil", perseil "persil" ; bouteille, cheneille, cheveille, étreille, foceille, nanteille "lentille", treille ; teigne ; plyèye < plĭcat ; seillon "sillon", veiller, chareyer, appareiller.

    BOURGOGNE : barè, artè ; avèye, tsenèye, tsevèye, etrèye, focèye, kèye, nantèye, orèye, trèye ; teigne ; plèye < plĭcat ; sèyon, téyot "tilleul", tsarèyer, vèyer "veiller", prèyer, lèyer.

    ARTOIS et PICARDIE : bari, persi ; kévile, étile, fochile, kile, lentile, trile ; tine, falise "falaise" ; tilyeu, milyet, tignon, pichon "poisson", milleur, nient, karier, prier ; anc. artès. franchise, trille, pisson, lichon < lectione, milleur, nient, signor, priier.

    NORMANDIE : mil, bari, persi ; keville, étrille, focille, kille, lantille ; orile "oreille", vrile "vrille" ; milet, tilleul, viller "veiller", karier, prier, lier ; anc. norm. flambie "flamboie", otrie, lie, amendise ; oriiller "écouter", gopiller "ruser", prier, lier, otrier, liçon < lectione (Saint-Alexis).

    LYONNAIS : artè "orteil" ; avilli, barilli, botilli, chanilli, nentilli, silli "seille", equevilles < scopĭlias, trilli ; tigni ; sillon, tillot "tilleul", milyu "meilleur", sorillî < sol + ĭcu-lare, marvilyu, licion "leçon", lichî "lécher", villî "veiller", priyî, liyî "lier", pliyî "plier" ; anc. lyon. (jusqu'au XVIIe s.) aveilli, bareilli, boteilli, seilla (sic) < sēcăla, n. lyon. silla ; preyer, meillor, despleyer.

    DAUPHINE : perecei pour un primitif pereceil "persil", petei < pistĭliu, anc. dauph. pesteil "pilon", cholei < calĭculu- "lampe" ; avilli, chavilli, nantilli, volpilles "peaux de renard" ; tigni ; tillot, essorillier "exposer au soleil", lichier "lécher".

    FOREZ : paréy "pareil" ; aveilli, bouteilli, chaneilli, lenteilli, seilli, moreilli "noiraude" ; anc. forez. perecel "persil", vermeyl, aneilli, treilli.

    « Les constatations que l'on vient de faire dans quelques parlers français ou rhodaniens, nous pourrions les faire également dans les parles provençaux ou dans ceux de la péninsule italique. Pour ces derniers, il me suffira de citer le vénitien : megio "mil", tegio "til", cavegia "cheville", stregia "étrille", maravegia "merveille", tegna "teigne" ; somegiar < *similiare.

    Sont donc potentiellement originaire du Nord ou de Normandie52 :

    • tilleul (lat. pop. *tiliolus « tilleul », dimin. de *tilius « id. », masc. issu du lat. class. tilia fém. « id. ». (anc. fr. teill et teil)

    • tille, teille (lat. d'époque impériale tilia « tilleul », d'où « écorce de tilleul », p. ext. « écorce ».) Le français commun emploie concurremment teille et tille, teiller et tiller.

    • croisille (de croix, suff. -ille, lat. crucilia) (anc. fr. croiseille)

    • morille (lat. *maurīcŭla, dér. de maurus «brun foncé», v. maure, en raison de la couleur sombre de ce champignon). En alld Morchel, en néer. morilje, anc.fr. moreillon, morillon.

    • oisillon (dér. de oisel, forme anc. de oiseau; suff. -illon (-ille + -on), lat. *aucellione). Anc. fr. oiseillon.

    • arbrisseau (lat. arboriscellu) anc. fr. arbreisel, arbroissel

    • vermisselle (lat. vermiscellu) anc. fr. vermesel, vermoiseau, vermissial.

    • lentille (lat. pop. lentīcula, class. lentĭcula « lentille (plante et graine); taches de rousseur » (dimin. de lens, lentis « lentille »)) bourg. nantèye, lorr. lentéye, poitev. lanteille, à côté du normand, du picard et de l'artésien lantille, lantiye, lantile.

    • vrille (du lat. viticula « cep de vigne; tige d'une plante grimpante » (dér. de vitis « vigne ») d'où les anc. formes judéo-fr. vedile « id. » fin xies, vedille, xiiies.; a. fr. veïlle mil. xives. ; 1542 vehille (cf. l'ital. viticchio « id. » xives.) et le sens de « outil de fer à vis » 1295 veile, avec -r- mal expliqué, peut-être par épenthèse, ou sous l'infl. de mots de la famille de virer).

    • chenille (lat. can-icula proprement « petite chienne » (en raison de la forme de la tête de la chenille)). bourg. tseneye, champen. et lorr. chenèye, poitev. cheneille, en regad du français commun chenille. Le latin populaire *corn-icula a donné en français corneille, cornaille, cornoille et cornille, en v. provençal cornelha et cornilha, en espagnol corneja, en toscan corniglia.

    • baril (issu d'un gallo-rom. barriculus, prob. dimin. de *barrica (barrique*; v. Cor., s.v. barril et barrica))

    • grille et griller (lat. class. craticula « petit grill », dimin. de cratis « claie, grille »)

    • tignasse (à côté de teigne et teigneux)(1. a) 1680 tignasse « mauvaise perruque » (Rich.); 1690 teignasse (J. B. Thiers, Hist. des Perruques, p. 29); b) 1808 teignasse « coiffe enduite d'onguent dont on recouvre la tête des teigneux » (Boiste); 2. 1680 tignasse « chevelure mal peignée » (Rich.); 1690 teignasse (Fur.). Dér. de teigne; suff. -asse (-ace))

    • digne (empr. au lat. class. dignus « digne de, qui mérite (quelque chose); méritant, digne »)(à côté de daigner, dédaigner, mais s'indigner.

    • signe (empr. au lat. signum (cf. le doublet seing qu'il a remplacé)) à côté de enseigne.

    • -ĭcare : fier (*fidare), lier (ligare), nier (negare), plier (plicare), prier (precare), scier (secare) mais frayer (fricare), doyen (decanus), octroyer (auctorare/auctorizare)...

    • vouivre (var. de guivre, lat. class. vipera « vipère » altéré en *wipera sous l'infl. de nombreux mots germ. en w- (v. aussi guipe), cf. l'a. h. all. wipera, lui-même empr. au lat. vipera) à côté de hérald. voivre (1306), vivre, dans les dial. du Centre et de l'Est.

    • brebis, souris, chenevis : le dernier d'origine bas-normande (kenevis, kenevwi, kenwi en picard)

    • prison (lat. pre(n)sionem, acc. de *pre(n)sio , contraction de prehensio «action d'appréhender au corps» (prendre), devenu preison, puis prison, sous l'infl. de pris, part. passé de prendre).

    • priser (b. lat. pretiare «estimer, priser») anc. fr. preiser.

    • gambison (rad. de l'a. fr. gambais « pourpoint rembourré ») suff. -aison* remplacé (dans certains dial. et sur le modèle de mots sav.) par la forme collatérale -ison*.

    • connil (lat. cuniculus « lapin », mot d'orig. ibérique selon Pline, mais esp. conejo, port. coelho. En Italie, le bologn. conej, conel s'oppose au tosc. coniglio). Le wallon a : conin.

    • goupil : 1121-34 gupil (Ph. de Thaon, Bestiaire, 1776 ds T.-L.). Du b. lat. vulp-iculus, lat. class. vulpecula « petit renard », dimin. de vulpes « renard ». On aurait en picard, normand, wallon, champenois... wulpille, wulpeille...

    • charrier : issu de charrer « jaser, plaisanter » attesté ds les parlers de Normandie (karier en picard).

    • tricher : lat. *triccare, du b. lat. tricare, lat.class. tricari « chercher des détours, chicaner » par redoublement expr. de la cons. finale du rad. picard triquer (cf. ang. Trick)

    • châtier : lat. castigare « corriger » attesté en lat. eccl. au sens de « se mortifier ». picard castier, catier.

    • figer : norm. à l'orig.; du lat. pop. *feticare proprement « prendre l'aspect du foie »; de *feticum « foie » issu du lat. de l'époque imp. ficatum devenu *fecatum (v. foie) puis feticum, avec métathèse des consonnes c et t et substitution de suff.; la forme figier serait due au pic. fie issu de *ficatum.

    • cheville semble provenir du bas normand (haut-normand et picard : keville), moins probablement du wallon cheville, à moins qu'il s'agit d'un emprunt technique du langage de la mine (dans le sens de pièce de bois : Ca 1160 « tige de bois dont on se sert pour assembler des pièces » (Eneas, 249 ds T.-L.) ; ca 1200 « tenon pour accrocher » (1recontinuation de Perceval, éd. W. Roach, I, 10439) ; ce qui n'explique pas le sens anatomique : Ca 1165-70 anat. (Troie, 16776 ds T.-L.)).

    • faucille 1121-34 falcilles (Ph. de Thaon, Bestiaire, 766 ds T.-L.). Du b. lat. falcicula « faucille, serpe ». Philippe de Thaon était un moine et poète anglo-normand du début du XIIe siècle.

    • le latin classique fĭscella "petite corbeille où l'on fait égoutter les fromages" a donné en langue d'oïl feisselle, faisselle, foisselle et fisselle. Cette dernière forme est manifestement originaire du nord ; on la trouve dans Raoul de Cambrai, 1187, ainsi que dans un titre picard et dans l'Evangile aux femmes d'un poète du Cambrésis, cités l'un et l'autre par Goderoy, IV, 13 ; la forme flamande fissielle a été relevée par le même lexicographe dans un titre des archives de Lille. Il s'en est fallu de peu que fisselle n'obtînt droit de cité dans la langue littéraire ; c'est cette forme, en effet, qu'employait Remy Belleau, l'un des poètes de la pléiade. La forme parisienne faisselle a toutefois fini par l'emporter.

     

     

    C'est particulièrement au moment de la constitution de la langue que les picardismes (et normandismes) entrent dans la langue commune. Au XVIe siècle, ce sont les gasconnismes ou le jergonne en lymosinois (on avait l'habitude à l'époque de considéré comme gasconade tous les mots venant du midi de la France) qui l'emportent, suivie des mots des dialectes du centre, qui est la source du français standard. Même si le poète Jean-Antoine de Baïf (1532-1589) précise que, durant son séjour au Collège Royal : « Là quatre ans je passay, façonnant mon ramage / De grec et de latin et de divers langage / Picards, Parisien, Touranjau, Poitevin, / Normand / et Champenois mella son Angevin » (Euvres en rime, Edit. Ch. Marty-Laveaux, I, CI, Au Roy).

    Et même Ronsard (1524-1585), trouvant l'idiome national encore incertain, comme le grec au temps d'Homère, permet en 1559 l'emploi de tous les dialectes : « Tu sauras dextrement choisir & approprier à ton œuvre les mots plus significatifs des dialectes de nostre France, quand mesmement tu n’en auras point de si bons ny de si propres en ta nation, & ne se fault soucier si les vocables sont Gascons, Poitevins, Normans, Manceaux, Lionnois ou d’autres païs, pourveu qu’ilz soyent bons & que proprement ilz signifient ce que tu veux dire, sans affecter par trop le parler de la court, lequel est quelquesfois tresmauvais pour estre le langage de damoiselles & jeunes gentilzhommes qui font plus de profession de bien combattre que de bien parler. […] Tu ne rejecteras point les vieux verbes Picards, comme voudroye pour voudroy, aimeroye, diroye, feroye : car plus nous aurons de motz en nostre langue, plus elle sera parfaicte, & donnera moins de peine à celuy qui voudra pour passetemps s’y employer. » (Abrégé de l’art poétique français). A la fin du siècle, l'hésitation dure toujours, car de Laudun d'Aigaliers considère toujours comme un abus j'allois au lieu de j'alloi, sauf dans les cas où la rime y contraint.53

    Vauquelin de la Fresnaye (1536-1606) recommande à son tour l'étude des dialectes : « L'idiome norman, l'angevin, le manceau, / Le françois, le picard, le joli tourangeau, / Aprens, comme les mots de tous arts mécaniques, / Pour en orner après tes phrases poétiques. » (Art poétique, 1574, L, vers 363-364).

    Mais il ne s'agit plus ici d'emprunt proprement dit (fait pour une langue d'incorporer une unité linguistique, en particulier un mot, d'une autre langue), il s'agit ici de servir l'art poétique, ce sont des provincialismes (mot, emploi d'un mot, expression propre à une province, qui n'est pas en usage à Paris). Il s'agit de faire du beau.

     

    Concernant les emprunts sémantiques, des ensembles se dégagent selon le domaine originaire des régions septentrionales : la filature, la mine, la mer et la faune, mais aussi la fête.

     

    Concernant le vocabulaire de la mine, Ferdinand Henaux pérore : « Une vérité enfin que nous nous ferons un honneur de mettre au jour, c'est que la langue des Quarante n'a pas dédaigné de faire à notre patois des emprunts ; et comme preuve superflue qu'il possède tous les caractères qui constituent réellement une langue, c'est le nombre considérable de mots techniques en usage dans les arts et métiers, qui mettent ceux-ci à la portée de l'ouvrier le moins intelligent. Dernièrement, on a vu un inspecteur-général des mines, en France, déclarer hautement qu'il n'y avait que les houilleurs du pays de Liége qui eussent leur dictionnaire, et le seul qui contînt des mots propres aux travaux d'extraction ; ce qu'on chercherait en vain chez les mineurs des autres nations. »54

     

     

    A une certaines époque, le français eu recourt à des emprunts au latin pour compléter son vocabulaire. Mais les sonorités du latin et du picard étant plus proche, on peut penser que le picard a servit de pont entre le latin et le français. Ce phénomène est connu notamment en russe. Boris O. Unbegaun prétend en effet que le slavon s'est maintenu à côté du russe.55 Mais c'est le russe qui influença le slavon au XVIIIe siècle, et non l'inverse. Qu'on pense au mot incanter en français, dont l'origine est latine sans contexte (incantare), mais qui a été francisé tout en gardant ces sonorités qu'on peut dire picardes, l'équivalent français étant enchanter, et picard incanter.

    L'origine du mot requin est également un bon exemple des écheveaux à démêler. Le Trésor de le Langue française dit : Orig. controversée. Peut-être de quin, forme norm. de chien (cf. chien de mer « requin », 1re moit. XIIIe s., v. chien, étymol. B 1, encore att. en Normandie, v. FEW t. 2, 1, p. 194a); FEW t. 2, 1, p. 197a, note 16 doutait de cette étymol. en raison du préf. qui présente aussi la forme ra- (Marseille ds Mistral; Wallonie d'apr. Sain. Sources t. 3, p. 418); Bl.-W.5 propose d'interpréter le préf. comme un intensif. En tout cas le mot est souvent associé à chien de mer d'où la forme rechien (1614, Yves d'Evreux, p. 132 ds Fried. 1960, p. 544) et dès 1578 requien (Léry, pp. 32-33, ibid.), puis requiem 1695 (Le Maire, p. 116, ibid.) par l'effet d'un rapprochement avec requiem* d'où l'étymol. de Huet ds Ménage 1750: « quand il a saisi un homme... il ne reste plus qu'à faire chanter le Requiem, pour le repos de l'âme de cet homme-là ». Pour d'autres étymol. peu convaincantes, v. Barbier ds R. Lang. rom. t. 56 1913, pp. 230-231, L. Spitzer ds Z. rom. Philol. t. 42 1922, pp. 342-343, Sain. t. 2, p. 349, Guir. Lex. fr. Étymol. obsc. 1982.

    On peut aussi évoque les mots case et casé/se caser (argot) : la première attestation est de 1269-78 dans Jean de Meung (dans le Roman de la Rose), désignant déjà une « petite maison » (avec le dérivé casel, caselle, casette).

    Dans le sens de case de jeu, il aurait été emprunté au XVIIe siècle à l'espagnol casa, « compartiment d'un jeu d'échecs ». Dans le sens argotique, il est attesté dès le XVIIIe siècle. On le fait dériver de case. Mais on peut aussi penser au mot casier. Un emprunt tardif au latin poserait problème. Pourquoi le sens serait resté constant pour ce terme du vocabulaire on ne peu plus courant, mais la forme serait resté case alors que la forme chase disparaît. En effet, tous ces termes se retrouve sous une forme centrale chase, chese/chiese (anc. fr. « hôtel, demeure » qu'on retrouve dans les toponymes Chièce-Deu, Chèzeneuve, Chaix, Cheix, Chaise-Dieu, la célèbre abbaye de la Basse-Auvergne et de nombreux autres Chaise(s) et autres Saint(e)-Chaise, on a dans le Nord le nom La Quièze), chasier, chaser... La préposition chez est dérivé du latin casa. On pense par ailleurs que le terme casanier (premier sens de « prêteur d'argent italien établi en France », 1315 sous la forme casenier) a pu s'emprunter facilement à l'italien. De même, le terme casemate, dérivé de casemater (de l'italien casamatta). Mais alors pourquoi Rabelais disait chasmate (« fossé » qui est le sens grec). Le terme vieilli casin serait dérivé également de l'italien casino (« petite maison »).

    L'étymologie du chas d'aiguille est également incertaine (anc.fr. chas, chaps « corps de bâtiment, partie de la maison, pièce », ou directement du lat.class. capsus « caisse, sorte de cage », anc.prov. cas « caisson, ballot », lat. *cavaceum < cavum « trou, cavité » ; masc. de châsse pour Littré). Or ce mot se dit case en picard.

    Dans le domaine d'oïl, on dit chasière, chaseret ou chaseron pour la forme du fromage. On trouve aussi le mot caserette chez Littré. Se mot se fait dérivé du latin caseus. Mais on peut penser à une longévité du mot chase (avec ce sens de « panier »), avec le concours d'une influence de la cha(s)toire, chature, catoire en picard, la « ruche d'abeille » (rappelant la forme d'un panier, mais évoquant la maison, cf. l'expression citée par Henry Carnoy (en 1879) il est cum un essaim das s' catoère, « il est comme une abeille dans sa ruche, pour indiquer qu'on est très bien dans le lieu où l'on est en ce moment »).

    Sigard cite dans son Glossaire étymologique montois (1870) le mot cassine avec le sens de « cabane », et casse pour « étui » (de même Corblet).

    Jouancoux en 1880 (Etude pour servir à un glossaire étymologique du patois picard) cite le terme camuche, désignant un « réduit » ou la « cabane du chien », avec le dérivé carmuchotte (auquel Jules Corblet donne le sens de « petite étable »). De même canichot (« retraite, petite niche, petit trou ») et son dérivé carnichotte. Connaissant le rhotacisme courant du picard, on peut penser que ce ca(r)- dérive également du case ancestral. Il cite également casan (« paysan, campagnard ») qu'il fait remonter au latin casa (parce qu'il habite une chaumière). Mais encore le mot casier avec le sens de « maison vieille, mal bâtie, incommode » (cité par Corblet également). Enfin cassemaque « coffre, meuble usé » (que Corblet cite aussi).

    Caruche est aussi encore vivant en picard pour désigner la « prison », le mot est de la même famille que le français incarcérer, dont la première attestation est le picard encarcéré, du latin médiéval incarcerare (de in et carcer, « prison » qui donne en français chartre). Bref avec cet constance de la forme picarde, pourquoi faire remonter case et caser à l'italien ?

     

    Partant des études de Peter Wunderli56 et Karl Gebhardt57, qui cite le nombre total de 404 emprunts au normanno-picard, explorons ces mots venus du Nord.

    En résumé, on compte 61 termes entrés au XVIe siècle dans la langue commune, 68 au XVIIIe et 115 au XIXe siècle. C'est aussi de là qu'ils viennent en plus grand nombre du XIe-XIIe siècle au XVIIe siècle.

    1. termes maritimes (24%) : agrès, beaupré (mât), bitte (poutre), bouée, bouquin (embouchure), câble, capéer, carlingue, crique, échouer, égrillard, s'enliser, flotte, gabet (girouette), garer, girouette, houle, jusant (reflux), mare, marécage, nager, puchot, renflouer, revolin, suroit, tillac, toupie, venet, vergue.

    2. Termes techniques et industriels (37%) (agriculture, construction, instruments) : accabler, affiquet, bauque/baugue, bidon, bouquet, bourriche, brancard, brioche, cambrer, camp, carnage, caseret, cassette, cauchemar, colombe, commis, dalle/dalot, dariole, élaguer, émoi (pressoir), équignon, essieu, flèche, galoche, grésiller, gibelet, hangar, harpon, houppe, loure, maise/mèze, marquer, met (pressoir), mouver, pilotis, pucher, remugle/remeugle, rondache, taudis, vérin.

    3. animaux (+poissons) (13%) : bercail, bertonneau, brocard, colimaçon, crevette, filion, homard, marquesin, litorne, mouette, pouliche, requin, roquet, salicorne.

    4. Plantes, botanique (6,5%) : bouquet, bourdaine, bucail/blocail, capendu, escourgeon, liquet, pommage.

    5. Industrie textile (6,5%) : baude, canevas, ébrouer, écagne, caret, requinquer, traversin.

    6. Termes littéraires (2%) : fabliau, vaudeville

    7. Termes populaires (11%) : caboche, cabochon, cajoler, caliner, carogne, catimini, dupe, galimaufré, se gausser, mercerie (il a plu sur sa mercerie), miquelot, ricaner.

    8. Termes d'administration (1%) : chef-lieu58.

     

     

    Citons encore quelques mots venus du wallon et/ou du flamand : cabine, cingler (frapper), dégingander, étiquette, grouller/grouiller, hautin (poisson), bouquin, houille, étape, frelater, paquer, trique, hausse-col, pique, villebrequin, varlope, guiller.

     

     

     

    1 A.Boucherie, La Vie de saint Alexis. poëme du XIe siècle, édition de M.Gaston Paris (Revue des langues romanes T5, 1874, p.36.

    2 Revue de philologie française. T.23, 1909.

    3 Revue de philologie française. T8, 1894.

    4 Bulletin de la Société de linguistique de Paris, T.35, 1935, p.84.

    5 Antoine Meillet, Différenciation et unification dans les langues, in Scientia, vol. 9, 1911, Édition de 1921.

    6 Cf. sur le sujet, Adolf Horning, Über Dialektgrenzen im Romanischen, in Romania, T.XVII, 1893, p.160 c.

    7 « Souvent les évolutions phonétiques ne se font pas sur place. Elles ont un point de départ, un épicentre, comme on dirait en sismologie et elles se répandent à l'entour, passent d'une ville à l'autre, suivent le cours des fleuves en montant ou en descendant, suivant le sens de circulation dominant. La palatalisation n'est pas ancienne en gallo, il l'a reçue du poitevin qui l'avait acquise précédemment, venant probablement de Lyon. Lyon est dans le Forez, dans la zone romane dite franco-provençale (très mauvais nom pour dire que la langue n'y est ni française ni provençale) qui est au contact du rhéto-roman où la palatalisation est aussi très remarquable. Si on consulte les textes anciens, en poitevin et en saintongeais on constate que la palatalisation n'est pas totale dans ces pays. Elle a atteint le saintongeais vers le 18ème siècle. Elle a traversé le gallo pour atteindre le breton et devenir caractéristique du vannetais, alors qu'au 19ème siècle elle était encore très limitée. L'évolution est toujours en cours, en gallo comme en breton. » (Alan Raude, Linguistique gallèse, in Escrirr Le Galo (ELG) - Ecrire le Gallo [http://www.bertaeyn-galeizz.com/escrirr7.htm])

    8 http://www.berry-passion.com/expressions%20berrichon_patoisant.htm

    9 Maurice Wilmotte, Études de dialectologie wallonne. III. La région namuroise, in Romania XIX, p.73.

    10 Maurice Wilmotte, Études de dialectologie wallonne. III. La région namuroise, in Romania XIX, p.81.

    11 Maurice Wilmotte, Études de dialectologie wallonne. III. La région namuroise, in Romania XIX, p.82.

    12 Maurice Wilmotte, Études de dialectologie wallonne. I. Liège, in Romania XVII, p.561.

    13 Adelin Grignard, Phonétique et morphologie des dialectes de l'Ouest-wallon (1908), p.59.

    14 Adelin Grignard, Phonétique et morphologie des dialectes de l'Ouest-wallon (1908), p.67.

    15 Thomas Logie, Phonology of the Patois of Cachy (Somme), Publications of the Modern Language Associations of America, Vol. VII, n°4, 1892, p.10.

    16 Joseph Sigart, Glossaire etymologique montois, Librairie Polyglotte de Ferd. Claassen, Bruxelles & Maisonneuve et Cie, Paris, 1870, p.7.

    17 Pierre Guiraud, Patois et dialectes français, Que sais-je ? N°1285, PUF, Paris, 1978, p.27.

    18 Charles Camproux, Les langues romanes, Que sais-je ? N°1562, PUF, Paris, 1979, p.75-76.

    19 L'orthogaphe étymologisante et l'accord du participe passé (sur le modèle de l'italien) est un témoignage de cet volonté de faire du français une langue précise et parfaite. Les grammairiens se sont donc uniquement basés sur l'usage oral de la court, et surtout et de plus en plus sur la langue écrite des écrivains.

    20 Jules Corblet, Glossaire étymologique et comparatif du patois picard, ancien et moderne, Dumoulin, Paris, 1851, p.22.

    21 John Ruskin, La Bible d'Amiens (1885 ; 1904, trad. de Marcel Proust), chap. I, p.115.

    22Jules Michelet, Histoire de France, Hachette, Paris, 1833, p.117-119.

    23 Henriette Walter, Le français d'ici, de là, de là-bas, JC Lattès, Paris, 1998, p.268.

    24 Serge Lusignan, Diane Gervais, « Picard » et « Picardie », espace linguistique et structure sociopolitiques, août 2008, p.12 (http://www.u-picardie.fr/LESCLaP/spip.php?article250).

    25 Pierre Guiraud, Patois et dialectes français, Que sais-je ? N°1285, PUF, Paris, 1978, p.110.

    26 Théodore Rosset, Les origines de prononciation moderne étudiées au 17e siècle d'après les remarques des grammairiens et les textes en patois de la banlieue parisienne, A. Colin, Paris, 1911, p.365-66.

    27 Les destinées du phonème e + i dans les langues romanes, in Romania XLV, p.422 ss. 1918-19.

    28 E. Philipon, Les destinées du phonème e + i dans les langues romanes, in Romania XLV, p.467-468, 1918-19.

    29 Cette influence s'explique peut-être par le traitement du O latin qu'explique Louis Brébions pour le français et le picard : « O latin accentué et libre, est passé à uo vers le VIe siècle, forme qu'on trouve encore dans les plus anciens textes ; au début du XIe siècle, uo est devenue ue pour aboutir au XIIIe siècle à eu en français. [...] O primitif dans la même position, mais en position accentué, a abouti à ou, de sorte que dans notre langue eu tonique alterne souvent avec ou atone ; cf. oeuvre et ouvrage ; noeud et nouer ; preuve et prouver ; neuf et nouvelle ; bœuf et bouvillon ; gueule et goulée ; etc. C'est ce qui explique aussi les formes des verbes mouvoir, pouvoir, vouloir, mourir, aux personnes sing. du présent de l'indicatif : je meus, je peux, je veux, je meurs, par exemple. Dans d'autres verbes, ou a remplacé eu à ces personnes sous l'influence de la forme atone de l'infinitif, mais l'ancienne conjugaison est toujours en usage ici et courir, couver, couvrir, labourer, offrir, oser et osoir, ouvrir, prouver et éprouver, soufrir, trouver se conjuguent sur le modèle de mourir en français. On dit je queürs, je cours et os courons, nous courons ; je queuve, je couve ou je couvre, et os couvons, nous couvons ; os couvrons, nous couvrons ; je labeüre, je laboure et os labourons, nous labourons ; j'eufe, j'offre ou j'ouvre et os ofrons, nous offrons ; os ouvrons, nous ouvrons ; j'eüse, j'ose et os osons, nous osons ; je preuve, je prouve et os prouvons, nous prouvons ; j'épreuve, j'essaie et éprouvons, essayons ; je seufe, je souffre et os soufrons, nous souffrons ; je treuve, je trouve et os trouvons, nous trouvons. Queüde, coudre et meüre, moudre se conjuguent de même : je queüds, je cous ; os coudons, nous cousons ; je meüs, je mouds ; os molons, nous moulons. et eu remplacent d'ailleurs ici ou accentué du mot français dans un certain nombre de mots comme queüde, coude ; leü, loup ; treü, trou ; cleü, clou ; deurs, dehors ; quéneüle, quenouille ; apreuche, approche ; repreuche (arpreuche), reproche ; cailleü, caillou ; neuche, noce (Boulonnais) ; véreule, virole ; lés véreules, la petite vérole ; sequeusse ou ésqueusse, secousse ; ameur, amour, mot employé seulement dans l'expression éte en-ameur. La forme accentuée a naturellement prévalu dans les verbes formés sur ces substantifs comme treuer, trouer ; cleuer, clouer ; neuer, nouer ; cailleuter, paver avec des cailloux ; apreucher, approcher ; arpreucher, reprocher. Par contre, cf. secouer ou éscouer, secouer. Il faut encore citer reule, roue, sans doute de rouler et heuter, houer. Couler se sonjugue comme en français. Remarquons d'ailleurs en passent que o atone a quelquefois aussi abouti à eu et que eu atone s'est réduit à u dans quelques mots. O atone subsiste dans horeüs, heureux ; décoré, écœuré ; poplier, peuplier, en anglais poplar ; florir, fleurir. O accentué a même persisté dans jonne, jeune, autrefois josne. (L.Brébion, p.153-154).

    30 Natalis de Wailly, Observations grammaticales sur des chartes françaises d'Aire en Artois, in Bibliothèque de l'Ecole des chartes, tome XXXII, p.19.

    31 Ameur pour « amour » se dit encore en picard, mais avec un sens particulier (éte en ameur : « être en chaleur, en rut » ou « être en fête »).

    32 Théodore Rosset, Les Origines de la prononciation moderne, étudiées au XVIIe siècle d'après les remarques des grammairiens et les textes en patois de la banlieue parisienne, Paris, A. Colin, 1911, p.364.

    33 Notons aussi que certains mots on connus l'influence inverse : paresse de peresce, lat. pigritia, dans lequelle la voyelle aurait évoluée en a par l'influence du -r-.

    34 Théodore Rosset, Les Origines de la prononciation moderne, étudiées au XVIIe siècle d'après les remarques des grammairiens et les textes en patois de la banlieue parisienne, Paris, A. Colin, 1911, p.381.

    35 L. Havet, La prononciation de ie en français, in Romania, VI, 1877, p.325.

    36 L.Brébion, Etude philologique sur le nord de la France (Pas-de-Calais, Nord, Somme), H. Champion, Paris, 1907, p.60.

    37 Carl-Théodor Gossen, Die Pikardie als Sprachlandschaft (auf Grund der Urkunden), Graphische Anstalt Schüler A.G., Biel, 1942.

    38 Origine picarde du s de 1er personne du singulier en français, in Romanische Studien t.V, p.707-715.

    39 Pour ce dernier point de vue, cf.Yves-Charles Morin et Michèle Bonin, pour qui l'origine est une analogie avec quelques formes du passé et du présent (Les -S analogiques des 1sg au XVIe siècle : les témoignages de Meigret et Lanoue, Revue québécoise de linguistique, vol. 21, n° 2, 1992, p. 33-63).

    40 Grammaire historique de la langue française, 1899, I. Phonétique, p.175.

    41 Olivier Bettens, Chantez-vous français ?, Remarques curieuses sur le français chanté du Moyen Age à la période baroque - 4. Diphtongues, digrammes et compagnie (http://virga.org/cvf/ai______.php).

    42 Meyer-Lübke, Grammaire des langues romanes I, § 72, cité par Salverda de Grave, Les mots dialectaux en néerlandais, in Romania XXX, 1901, p.88.

    43 Charles Thurot, De la prononciation française, depuis le commencement du XVIe siècle, d'après les témoignages des grammairiens, vol. 1, Imprimerie nationale, Paris, 1881, Liv. II, chap. III, sect. V, p.374 et suivantes. La prononciation [ε] est critiquée au début du XVIIe siècle par les grammairiens, et Henri Estienne (1528-1598) y voit une influence italienne, très forte à cette époque, Théodore de Bèze (1519-1605) une prononciation du peuple de Paris, d'autres une prononciation efféminée. Antoine Oudin (mort en 1653) la prescrit, mais Vaugelas (1585-1650) l'entérine en la considérant plus douce et plus délicate, de même Voltaire (1694-1778), qui plaide pour l'écriture -ai- et qui écrit : « Gaulois et Français, parce que l'idée d'une nation grossière inspire naturellement un son plus dur, et que l'idée d'une nation plus polie communique à la voix un son plus doux. » (Zaïre, avertissement dans édition de 1736). Laurent Chifflet (1598-1658) accepte les deux prononciation.

    44Au Québec, la terminaison des gentillets en -ois représente plus de la moitié des gentilés, ainsi qu’en Suisse (Lausannois, Bernois, Genevois, certain cantons comme Fribourg Fribourgeois, Vaud Vaudois, Berne Bernois ou encore Bâle Bâlois) et en Belgique. Mais la langue, influencée par les parlers oïl de l'ouest de la France, est parfois différente du français : se tenir drette pour se tenir droit, frette pour froid, awaye pour envoie (ce donc pas un anglicisme provenant de away)... Le son -oi- /wa/ est parfois resté prononcé /we/ : toi, moi, foène (pour fouine, « fourche pour charger les gerbes », fouane en picard), ... En 2010, Tremblay est le nom de famille le plus courant au Québec. Il signifie « endroit où poussent des peupliers trembles ». L'équivalent est Tremblois dans les dialectes de l'est et du nord de la France.

    45 Les noms des muettes qui avaient l'e long en Latin se prononçaient, au commencement du XVIe siècle, par oi, comme l'atteste Barcley (b, c, d, g, p, t « in frenche ought thus to be sounded, boy, coy, doy, goy, poy, toy. »). Tory critique cette pononciation : « Ie voy mille personnes errer, quand ils disent A, boy, coy, doy, où il faut dire A, be, che, de. » Sylvius la reproche aux Parisiens (« Haec diphthongus pro e supposita Parrhisiensibus adeo placuit, ut ipsarum quoque mutarum voces in e desinentes per oi Parrhisienses corrupte pronuntient, boi, çoi, doi, goi, poi, toi, pro be, ce, de, ge, pe, te. »). Tabourot dit que « ceux de poictou prononce un P, poi. » Saint-Liens figure la prononciation de ces lettres par bé, cé, dé, gé, pé, té. (Charles Thurot, De la prononciation française, depuis le commencement du XVIe siècle, d'après les témoignages des grammairiens, vol. 1, Imprimerie nationale, Paris, 1881, Liv. II, chap. III, sect. V, p.398)

    46 Cf. dans le parler de Messon (Aube), où le e devient [oe] : verge (à exciter les chevaux) > vwerge, fève > feuve... (A. GUERINOT, Notes sur le parler de Messon, Aube (Revue de philologie française. T.23, 1909, p.245). Cf. Également le wallon (centre, ouest et une partie du sud wallon), où existe encore une tendance à insérer un w après les consonnes labiales : fwin (faim), samwinne (semaine), dimwin (demain), jamwês (jamais), i fwêt (il fait).

    47 De même le latin ēta, pl. de ētum donne -oy ou -ois : L'Epinoy, le Carnoy, Aulnoy, le Cauroy, le Cardonnois, la houssoye, Fourdrinoy, Hétroye, Ormoy, la Bouloie, Rosoy, Fresnoy, Tilloloy... (L.Brébion, p.59).

    48 Grammatica: festschrift in honour of Michael Herslund, Peter Lang, Berne, 2006, p.338-39.

    49 Adolf Horning, Die Suffixe -íccus, -óccus, -úccus im Französischen (in Zeitschrift für romanische Philologie XIX (1895), p. 170.

    50 De cane, car ce chien aime l’eau, avec le suffixe -iche. Selon le Littré de 1872-1877, c'est « peut-être aussi un diminutif de canis, « chien ». L'absence d'historique ne permet guère de se décider, voyant que canichon a signifié un jeune canard, ce qui montre que le suffixe -iche n'exclut pas la dérivation de cane. »

    51 E. Philipon, Les destinées du phonème e + i dans les langues romanes, in Romania XLV, p.425 ss. 1918-19.

    52 E. Philipon, Les destinées du phonème e + i dans les langues romanes, in Romania XLV, p.450, 1918-19.

    53 cité par Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française, II : Le seizième siècle, p.330.

    54 Ferdinand Henaux, Études historiques et littéraires sur le Wallon, Imp. Félix Oudart, Liège, 1843, p.82-83.

    55 Boris O. Unbegaun, Le russe litérraire est-il d'origine russe ?, in Revue des études slaves, 1965, Numéro 44-1-4, pp.19-28.

    56 Du mot au texte, p.40 et suivantes.

    57 L'apport des dialectes d'oïl (surtout entre 1300 et 1600) au lexique de la langue commune (d'après le FEW).

    58 1321 a. pic. kies lieu « principal manoir d'un seigneur » ; le point de départ de ce type de formation semble être le lat. médiév. caput mansus [génitif] « chef-manse, centre d'exploitation domaniale » d'où l'a. fr. (norm.) chiefmes. L'hyp. d'une formation sur un modèle néerl. ou francique fait difficulté étant donnée l'implantation anc. de caput mansus en Catalogne.


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