• 1. Le picard - Le nom de la langue - Origine du mot chtimi

    chti ou chtimi, ch'timi : dans le Nord, viendrait soit :

        • de chti (celui) et imi (et moi), explication retenue par Gaston Esnault dans Le poilu tel qu'il se parle en 1919 (« Ch', Ce, ti, Toi, mi, Moi, mots du Nord juxtaposés »), Fernand Carton et Henriette Walter, le Trésor de la langue française précise qu’il date d’avant 19, mais devient populaire durant la guerre pour désigner les gens du Nord. Pour désigner la langue, on peut le lire dès 1929 (lettre d’un Orléanais dans Martin et Martine, bulletin du Groupe de Lille de l'Association des anciens combattants du 1er R. I.). On peut lire un dialogue dès 1885 dans Chair molle de Paul Adam (1862-1920, Issu d'une famille d'industriels et de militaires originaires de l'Artois) qui semble indiquer qu’on jouait depuis longtemps avec la sonorité des mots : « - Oh ! ch’est ti qu’elle ravise comme nô. - Non, ch’est pas mi, ch’est ti. - A ch’t’heure, ch’est mi ? Hé t’es sot, ch’est ti, ch’est ben ti. Oh ! elle ravise cor ; comme elle t’a cher. » (deuxième partie, chapitre IV).

        • de l'équivalent du mot français « chétif », chti dans le sens premier de « méprisable, malheureux » dans l'expression interjective ch'ti-mi, « pauvre de moi ! ». Claude Hagège retient, avec le Robert, cette étymologie, rejetée par Fernand Carton disant que le lat. vulg. *captivus, a donné caitif, caitis « malheureux », avec le k dur caractéristique (chti est une prononciation bourguignonne ou champenoise de « chétif »), que l'on retrouve notamment chez Adam de la Halle dans Li Gieus e Robin et de Marion, et que l'anglais à emprunté sous la forme caitiff (comme nom et adjectif), utilisé encore dans la langue poétique et signifiant « lâche, misérable », et anciennement (comme nom) « captif, galérien »,

        • pour Albert Dauzat (Linguistique française, p. 295), d'une expression picarde, proprement ch't'i mi, « c'est-il moi ? ». Mais le Trésor de la Langue française précise que celle-ci n'est pas confirmée dans les textes.

    Ce qui est sûr, est que le terme chtimi s'est propagé durant la Première Guerre mondiale. Chti serait plus récent. Il désigne à la fois la langue (dès 1917) et les gens qui la parlent et semble avoir remplacé le terme platiau puisque Fernand Carton le décrit comme un « mélange d'accent du Nord, de patois plus ou moins déformé, d'argot et de français régional ».1

    Ce nom chtimi est devenu populaire, d'après Fernand Carton, grâce au succès du livre Les croix de bois de Roland Dorgelès (paru en 1919), écrivain picard, né le 15 juin 1885 à Amiens et mort le 18 mars 1973 à Paris. Il présente l'un des personnages Broucke ainsi : « le gars de ch'Nord » et, plus loin, le « ch'timi aux yeux d'enfant ». « C'est un sobriquet assez élastique dans son acception géographique. Au sud de la Loire, chtimi désigne ceux qui vivent au nord de Paris. Pour les habitants de la Somme, de l'Oise et de l'Aisne, le chtimi est un natif du Nord/Pas-de-Calais. Pour des gens de Montreuil-sur-Mer, du Ternois ou du Boulonnais, ce sont seulement les nordistes, Flandre maritime exceptée. »2

    Signalons que l'historien et romaniste allemand, Grottfried-Heinrich Mayer-Sülzenhofer, propose une autre origine beaucoup plus ancienne : le mot viendrait du latin superstitēs, « survivants » (pluriel de superstes, d'où vient l'italien superstite, survivant), du fait de l'étonnement des Romains à leur arrivé dans les régions de voir un peuple in hac regione impossibile victu (« vivre dans une région si stérile» du fait de la présence de marécage3, et en même temps copiae Romanae hostes impossibiles visu difficillime vicerunt (« leurs expériences douloureuses dans le combat avec un ennemi presque invisible du fait de l'obscurité, la pluie et le brouillard »). Robert Foissier dans son Histoire de la Picardie décrit de la façon suivante : « limons au paysage sans clôtures, sous-sol où domine la craie, altitudes uniformes de plateaux bas que rompent d'amples vallées aux eaux presqu'immobiles, emprise des exigences de la terre. » Le romaniste allemand aurait trouvé, déjà dans les sources ecclésiastiques latines, le terme superstites, raccourci populairement en stites, pour désigner ce peuple du Nord. Et l'origine du mot superstites se serait perdue pour désigner les Gentils (du fait de leur croyance superstitieuses, superstitiosus). Ou pour surnommer un commandant romain, pour le ridiculiser de sa défaite face aux stites. D'autres auteurs du Moyen-Age ont voulu le faire remonter au grec Styx (fleuve des enfers), et plus précisément à l'adjectif latin dérivé stygius (ceux de l'enfer).4 Ce stite serait devenu chti. Mais si on peut expliquer chtimi par le sobriquet repris durant la Première Guerre mondiale avec le mi caractéristique, on explique pas la disparition du -t latin, alors qu'un des traits typiques du picard est justement la conservation du -t latin, comme on le verra plus loin.

    1 H.Walter, Le français d'ici, de là, de là-bas, JC Lattès, Paris, 1998, p.266.

    2 Fernand Carton & Denise Poulet, Dictionnaire du français régional du Nord-Pas-de-Calais, Editions Bonneton, Paris, 1991, p.113-115.

    3 Ce dernier mot est un emprunt français au picard maresc, « marais » (du francique *marisk), mot dont on retrouve sous cette forme écrite dans un texte latin du XIe siècle, les formes mariscus, marescus sont attestées en bas latin dès le VIIIe siècle, marescagie en moyen-néerlandais (avec suffixe picard). « La Campine, le Brabant et les deux Flandres semblent des terres désertes, envahies par d'immenses marécages ou par d'inextricables forêts » (Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, vol. I, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.527), ce qui explique que « les plus anciennes stratifications onomastiques sont très mal représentées en pays flamand. Les cours d'eau s'y appellent toujours -beek, et très rarement -aha ou -aa, nom beaucoup plus ancien. Les moulins s'appellent toujours molen (du latin molina) et jamais quirn, et la combinaison de ces deux indications toponymiques est toujours Molenbeek et jamais Quirnach. Ce sont là des exemples qu'on pourrait facilement multiplier. Je me borne à noter, à la suite de Waitz, ce cartactère de jeunesse relative de la toponymie franque en Flandre. Elle peut être du IVe et du Ve siècle ; tout porte à croire qu'elle n'est pas du Ier, moins encore d'une époque antérieure à notre ère." (Kurt, p.473). « L'Escaut seul, parvient à vivifier les vastes solitudes de la Flandre, et tout le nord du pays, depuis Anvers jusqu'à Maeseyck, offre l'aspect d'un vaste désert dans lequel les Romains ne se sont guère aventurés. » (Kurt, p.527). « La mer pénétrait partout par de vastes estuaires. Le sol était formé d'une multitude d'îlots. Les abords de Saint-Omer étaient des îles flottantes ; il n'y a pas longtemps que la dernière s'est fixée. Les noms de broeck et de meer, si fréquents dans la toponymie de ces régions, donnent une idée de leur caractère marécageux. Ce que les eaux laissaient à la terre était pris par la forêt. » (Kurth, vol. I, p.528). Signalons que l'origine du nom de Lille vient que la ville fut construite sur une île entourée de marécages.

    4 http://www.verbalissimo.com/main/offers/languages/romance/french/d_french_chtis.htm.


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