• 1. Le picard - Le nom de la langue - Origine du mot picard

    Le mot picard1 signifie en picard « piocheur », au sens de laboureur. Les Parisiens appelaient « piocheurs » tous les agriculteurs vivant au nord des zones forestières du Senlisis et du Valois (où les paysans étaient bûcherons), et dans le Nord on appelait « Picards » tous ceux qui ne parlaient pas le flamand : Arras, Boulogne, Calais, Tournai étaient des villes « picardes ». Charles du Cange (1678) évoque quant à lui une origine géographique. Venant de Picquigny, anciennement noté Pinkeni, Pinkinei, Pecquigny, se trouve mentionné en 942 sous le nom de Pinquigniacum, et sous les noms de Pinconii castrum en 1066 et de Pinchiniacum en 1110. Ce bourg, baronnie de « franc alleu », avec son château, « car le chasteau Piquigny eut jadis la Seigneurie de tout le pays jusques à la mer d'Angleterre, pour ce de Piquigny fut Picardie nommée. »2

    Dans le Dictionnaire universel françois et latin de Trévoux (de 1771, tome 6, p.751), on lit : « PICARD, PICARDE. s.m. & f. Qui est de Picardie, Province de France. Picardus, a. Les Picards sont bons soldats. On dit un bon Picard, pour dire, une homme droit, tout rond, qui n'entend point finesse. Homo rectus & simplex.

    « Le nom de Picard n'est pas ancien. Il étoit pourtant déja en usage dans l'onzième & le douzième siècle. Quelques-uns croyent que ce mot vient de pique, dans la basse latinité pica, nom d'une arme, qu'autrefois on disoit Picquenaires, comme on dit aujourd'hui Picquiers ; que de-là on a fait Picard, & qu'on a donné ce nom aux gens de cette province, parce qu'ils ont été les premiers qui se sont servis de piques à la guerre. D'autres croyent que ce mot vient de picquer, pris au sens de choquer, offenser, & qu'il fut donné aux habitans de cette contrée, parce qu'ils se fâchent, se choquent, se piquent aisément du moindre mot qu'on leur dit, & qu'ils sont fort sujets à des piques & des querelles. C'est le sentiment de Valois, Not.[itia] Gall.[orum] p. 447. Il croit que ce mot leur fut donné d'abord dans l'Université de Paris, où les Écoliers pour reprocher aux Écoliers de ce pays leur humeur querelleuse, & qui se piquoient de tout, les appellèrent Picards : de l'Université, cet usage passa dans toute la France. Quelques-uns ont crû que ce mot venoit de pica, une pie, oiseau opiniâtre, colère, criaillard, qui poursuit à coups de bec ceux qui l'agacent, & qui ne quitte point prise, image naturelle, à ce qu'ils prétendent, du caractère des Picards. Valois soutient que l'autre étymologie est la véritable, & le prouve, parce que par la même raison les voisins des Picards, qui ont le même défaut, ont été appelés Flamands, de flamme, comme si l'on vouloit dire, qu'ils prennent aisément feu. Il ajoute que la terminaison ard, s'est donnée dans notre langue aux mots qui marquent l'humeur, le caractère, & des défauts ; témoins languard, babillard, bavard, boutard, goguenard, musard, paillard, bâtard, trichard, guichard, gistard, louchard, cornard, faitard, gaillard, couard, &c.

    «  D'autre part, mon village est plein de gros manans,

    «  Picards en apparence, & dans le fonds Normans.

    SANLECQUE. »

    Le Dictionnaire de Godefroy donne pour picart les sens de « aigu, piquant » (Item pour demi cent de claus pikars ; Archives de Tournai) et par analogie « sorte de clou » (Dellivré audit Jehan d'Esvigny trois cens de cloux picart et deux cens de demy picart ; Archives de Mézières).

     

    À Paris, le néologisme picard fit florès à partir du XIIIe siècle, parce qu'il associait en un jeu de mots la pique et une province réputée pour sa hardiesse militaire (sa milice s'était illustrée à Bouvines en 1214, quelques années avant l'apparition du mot). La première occurrence dans l'histoire nous vient d'un nom d'un croisé mort à Jérusalem en 1098, Guillaume Picard : « Willermus Picardus, et Guarinus de Petra Mora, primus jaculo, alter obiit sagitta » (on y perdit encore Guillaume le Picard, et Guérin de Pierremore ; le premier d'un coup de javelot, le second d'une flèche).3

    Il perdura dans ce sens, picard, piocheur, tête de pioche, les siècles suivants à cause du caractère montré par les Picards, dans leur attachement aux libertés communales acquises par les villes drapières défendues par une milice bourgeoise. Les étudiants des diocèses de Beauvais, Noyon, Amiens, Laon, Arras, Thérouanne, Cambrai, Tournai, ainsi qu'une partie des diocèses de Liège et d'Utrecht formaient à Paris, Orléans et Bologne la « Nation Picarde » (natio Picardorum). Celle-ci représentait les domaines linguistiques picard et flamand. Les autres nations à Paris étaient la française, la normande et l'anglaise. Dans le Chartularium Universitatis parisiensis, on trouve des traits picards, même dans les texte latin (Willermum pour Guillermum).

    Avec ce sens de tête dure, on peut citer la phrase : « Un Picard a la teste près du bonnet » dans Les Contes et joyeux devis de Bonav. des Perriers, nouv. IV4. Avoir la tête près du bonnet, signifie « être prompt, colère, se fâcher aisément pour peu de chose ». Notons que le mot caboche vient également du picard, et le dérivé cabochard (« opiniâtre, têtu ») est dans le même ordre d'idée.

    En Flandre, on désignait sous le terme wallon (du plus anc. wallec) la « langue d'oïl parlée dans les Pays-Bas », sans faire de différence entre le wallon et le picard. Arthur Dinaux et André Le Glay déclarent encore en 1832 : « ce qu'on appelle le wallon ou le rouchi n'est-il pas à quelques nuances près la même chose que le picard ? »5

    La première occurrence dans le sens de langue picarde date de 1235 quand Mathieu Paris évoque les violences des étudiants de l'Université de Paris : « Qui enim seminarium tumultuosi certaminis moverunt, erant de partibus conterminis Flandriae, quos vulgariter Picardos appellamus » (ceux du séminaire qui perturbait la lutte et qui ont été chassés, étaient des régions frontalières de la Flandre, que nous appelons communément Picard / en langue vulgaire Picard).6

    La première mention concernant la géographie est de Barthélémy l'Anglais, étudient à Paris en 1220-1230 et qui écrivit une sorte d'encyclopédie, traduite également en langue d’oc, espagnol, italien, flamand, De proprietatibus rerum (Livre des propriétés des choses) en 1240 dans laquelle il présente la Picardia comme une province de Gaule belge s'étendant depuis le Rhin jusqu'à la mer, et comprenant la haute Picardie qui jouxte la France au sud et la basse Picardie à la frontière de la Flandre et du Brabant au nord. Ses habitants parlent un « idiomatis grossi magis aliarum Galliae nationum » (une langue plus rude que celle des autres nations de France).

    Les mots pic et picaillon sont certainement préceltiques, mais leur origine est mal établie7, on y voit aussi l'onomatopée pikk, que l'on retrouve déjà en latin (lat. pop. *pīkkare « piquer, frapper » qui existe dans toutes les langues romanes, dont le catalan, l'espagnol, le portugais (picar), à l'exception du roumain ; en latin *piccus, « pic-vert », ou forme masculine de pica, « pie ») et dans les langues germaniques. De fait, pique (arme) et piquer, sont d'origine néerlandaise : pike est attesté depuis 1290.

     

    Les francs Picards8, quant à eux, sont les Picards du sud de la Somme, mais un Amiénois pourra se dire également franc-Picard. On disait aussi franc Gascon, franc Normand, franc Breton dans le sens de « courageux, ou ouverts, ou libre, à son propre compte », comme le franc-sayetteur. Une enseigne de cabaret de Lille portait le nom Le Franc-Picard. Un bois dans le domaine du château de Régnière-Écluse (dans la Somme à la frontière du Pas-de-Calais) s'appelle aussi Bois du Franc Picard. C'était aussi le nom d'un cheval rendu célèbre en 1846 pour ses exploits comme sauteur d'obstacle.

    Ainsi, comme on le voit, très tôt on a fait la différence entre ceux qui parlaient picard et ceux qui parlaient un autre dialecte d'oïl, mais la délimitation de l'endroit où ce picard été parlé était moins claire. Les noms de « pays picards », apparaissent dans le vocabulaire administratif au XVIe siècle, et le nom de « Picardie » au siècle suivant (institution du gouvernement de Picardie en 1483).

    1 Ce chapitre est basé sur l'article de Serge Lusignan et Diane Gervais, « Picard » et « Picardie », espace linguistique et structure sociopolitiques, août 2008 (http://www.u-picardie.fr/LESCLaP/spip.php?article250).

    2 Du Cange et al., Glossarium mediæ et infimæ latinitatis, Favre, Niort, 1883-1887, art. Picardia.

    3 Robert, le Moine, Histoire de la première croisade, in Collection des Mémoires relatifs à l'Histoire de France, chez J.-L.-J. Brière, Paris, 1824, Livre huitième, chap. V, p.449.

    4 Cf. Francisque Michel, Études de philologie comparée sur l'argot, Firmin Didot frères, fils et cie, 1856, p.62.

    5 Arthur Dinaux, Archives historiques et littéraires du nord de la France, et du midi de la Belgique, Tome II, Impr. de A. Prignet, Valenciennes, 1832, p.36.

    6 Matthæi Parisiensis, Monachi Sancti Albani, Chronica Majora, Edited by Henry Richards Luard, London, 1876, Vol.3, p.167.

    7 Henriette Walter & Gérard Walter, Dictionnaire des mots d'origine étrangère, Larousse, 2000 - Les couches lexicales au cours des siècles.

    8 Cette expression désigne aussi le Populus Canenscens (peuplier grisard) ou le Populus Alba (peuplier blanc), également nommé ypréau, blanc de Hollande, bouillard selon les régions françaises et aspen en Amérique.


  • Commentaires

    1
    emonq
    Mardi 11 Septembre 2018 à 14:13

    merci de remplacer vocalubaire par vocabulaire

    2
    JeuMeu
    Mercredi 20 Novembre 2019 à 10:49

    Bonjour,

    Il est recommndés aux curieux de consulter le mot picard dans le TLFi (Trésor de la langue française, informatisé*). La fusion de cet article et de ce qu'on trouve dans le TLFi donne un aperçu tout à fait complet de l'origine (étymologie) et de la significaion (signifié) de picard.

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    JeuMeu

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