• 2. Aire de diffusion du picard

     

    Le picard est parlé dans les anciennes provinces de Picardie, d'Artois, du Boulonnais et de Flandre française en s'étendant jusque dans le Hainaut belge.

     

     

    L'aire d'extension du picard a peu varié depuis huit ou dix siècles. Il a cependant perdu sur le français au Sud (très tôt, certainement dès le Xe siècle) et au Sud-Est (vers la Champagne), il a perdu sur le wallon dans le Brabant wallon1. Le wallon gagne ainsi au début du siècle dernier Ecaussines (Ht). Mais le picard a parfois influencé les noms de communes wallonnes, ainsi Archennes (en néerlandais Eerken, en wallon Ertchene) fut appelé Arquennes au XVIe siècle encore. Marchin se dit Mårcin en wallon, et Jauchelette Djåçlete (si c'était le français de Paris qui avait influencé alors le wallon, on aurait tout simplement franciser par *Marcin et *Jaucelette). A Bruxelles, c'est le picard qui fut utilisé avant de subir une influence du wallon : ainsi en 1203 le pape Grégoire IX confirme la fondation d'une abbaye sous le nom de Chambre de Notre-Dame, celle-ci devient l'Abbaye de la Cambre (en néerlandais : Abdij Ter Kameren). Le Bois de la Cambre en prendra le nom. Citons également les monastères qu'a élevé la comtesse Ermesinde, fille de Henri l'Aveugle au Luxembourg portent des noms français : Bonnevoie (près de la ville de Luxembourg, devenu ensuite Bonneweg) et Clairefontaine (près d'Arlon). Cependant les chartes de Bruxelles utilisent le latin puis le flamand, Anvers et Louvain utilise le flamand. Malines pourtant a une charte, la plus ancienne, en 1267, en français, comme dans certains actes jusqu'au XVe siècle. A Enghien, le flamand et le français y sont employés. Même à Trêves et au Luxembourg, on utilisait le français mais alors sous une scripta lorraine (?) (Cartulaire de l'abbaye de Clairefontaine en 1256 ; Publications de l'Institut Royal Grand-Ducal de Luxembourg, t.XIV, p.85, n°100 ; Cartulaire de la ville de Luxembourg). De même la région de la Campine (en néerl. Kempen) du lat. campania à garder son consonantisme picard (la région Champagne à le même étymon latin).

    En 1355, la charte par Louis de Nevers, en flamand est remplie de mots français. Puis, les libertés communales nouvellement acquises par les classes populaires ne sachant que rarement le latin, et surtout la lutte prolongée de ces communes contre le roi de France, instaure une utilisation de plus en plus prépondérante du flamand, et ceci de façon consciente. Les luttes des provinces flamandes, de la fin du XIVe au début du XVe siècle, contre les ducs de Bourgogne, donnent un caractère particulier aux revendications de la langue flamande. Le français est alors considéré comme la langue de l'ennemie. La prise de possession par Philippe le Bon fait cesser ces questions, sauf au Luxembourg où il fallut lutter (en 1443, le duc prend d'assaut le ville de Luxembourg), par l'unification des Provinces des Pays-Bas, sous l'hospice de la langue française, avec un Conseil de Flandre à Lille. Mais on se servait alors fréquemment du flamand avec la population flamande. Et on transféra même plus tard le Conseil de Flandre à Malines puis à Bruxelles, donc en terre flamande. A partir du XVe siècle, la frontière linguistique ne bougera plus : Ypres édite ses actes en flamand, et hormis quatre ou cinq localités à la frontière, le flamand ne recule pas plus que le français ne gagne du terrain.

    Dans les comtés de Boulogne (sauf la ville de Boulogne), de Guînes et dans les environs de Calais, Dunkerque (dès le XIIe siècle), Saint-Omer (dès le XIIIe siècle), Mardick et Comines (dès le XVe siècle), Cassel (dès le XVIe siècle), jusqu'à la Lys marquant la frontière de l'idiome germanique d'avec l'idiome latin depuis l'invasion des Francs, la population était flamande mais les régents et la bourgeoisie furent très tôt bilingues, voire uniquement francophones. Cela ne fit que hâter la propagation de la langue française parmi toute la population de ces terres historiquement flamandes.

    A Ypres et en Flandre occidentale et dans le Furnes-Ambacht, les actes sont en latin jusqu'en 1250 environ, puis tous le long du XIIIe siècle, la scripta picarde est utilisée (le registre des keures, véritable palladium des libertés communales, portant le titre de Chest li livres de toutes les keures de le vile d'Ypres (Lambin, Notice sur les Archives d'Ypres, Annales de la Société d'Emulation de Bruges, t.I)), puis seulement au XIVe siècle, le flamand est utilisé de plus en plus en concurrence avec le français (en 1363, le livre des keures, orné de miniatures, se dit : Dit es de kuerbouc van der stede van Ypre), jusqu'au règne de Louis XIV.

    Sous Louis XIV, "le roi de la centralisation par excellence", nous dit Godefroid Kurth (Volume II, Livre Troisième, p.78), on interdit le 4 janvier 1685, l'usage de la langue flamande à Ypres et dans toutes les villes et châtellenies de la Flandre occidentale nouvellement conquises (le flamand s'y maintient cependant, notamment à Warneton, dans quelques actes jusqu'en 1750 environ). Le français pénétra ainsi jusqu'à Warneton, Comines, Reckhem, Ploegsteert, Houthem... D'autres édits de 1685 et 1700 appliquaient les mêmes dispositions à l'Alsace, ainsi qu'aux pays de Roussillon, Conflans et Cerdagne, où l'on parlait un dialecte catalan. Le but du gouvernement français était évidemment d'arriver à l'unité linguistique, symbole de l'unité politique du royaume.

    "On peut, sans crainte de se tromper, affirmer que l'extinction du flamand comme langue publique [dans le Pas-de-Calais et le Nord] était un fait accompli dès les premières années du XVIIIe siècle." (Godefroid Kurth, Volume II, Livre Troisième, p.80) Cependant il resta parlé au prône, au catéchisme, à l'école, jusqu'à la Révolution, après laquelle on remplaça les écoles religieuses par des écoles laïques où le français seul était enseigné. Au XIXe siècle, à Warneton, les enfants redisent encore dans leur jeux quelques strophes d'une chanson de Saint-Martin en flamand, mais dont il ne comprennent plus le sens : Sinte Martin 's avond / De tor gâ mee naer Gend, / Als myne moeder koeke bakt...2

    Un bilinguisme était donc de mise dans les hautes sphères des communes, plus souvent du côté flamand, mais aussi parfois du côté picard et wallon, ceci jusqu'à l'ère bourguignonne. Ce ne sont donc pas les ducs de Bourgogne qui les premiers ont introduit et imposé la langue française en Flandre (« Depuis la fin du XIVe siècle jusqu'à celle de l'ancien régime, on resta persuadé, dans les hautes régions du pouvoir, que ce n'était pas au peuple à apprendre la langue de ses gouvernants, mais aux gouvernants à savoir la langue de leurs peuples »)3, mais d'abord les Espagnols puis les Autrichiens au XVIIIe siècle (« C'est, chose curieuse, le gouvernement autrichien qui va, le premier, rompre avec la tradition séculaire, en parlant français aux échevinages des grands villes flamandes »4), et enfin les Révolutionnaires.

    Surtout le picard a gagné sur le flamand au Nord (surtout du XVIe au XIXe siècle). Les noms de communes en -inghem et -inghen sembleraient prouver une extension du germanique beaucoup plus étendue qu'actuellement, puisqu'on en retrouve aux environs de Lille (région des Weppes, dont le nom vient de ad vesperem (lat.) = au couchant, à l’ouest, sous-entendu de Lille) : Erquinghem-le-Sec (Erkegem en néerlandais, langue que l'on parlait encore en 1230 dans le village), Radinghem-en-Weppes (qui se trouve en Flandre romane (ou wallonne) et où le peuple ne parla pourtant certainement jamais que gallo-roman).5

    Le suffixe -heim est inégalement répandu : le Holstein et Lippe l'ignorent presque totalement ; la Flandre et la vallée du Rhin en présentent de nombreux exemples. En Angleterre, on le trouve dans un dixième des noms de lieux. « Les noms affectés de ce suffixe, plus ou moins modifié selon les prononciations locales (heim, hem, em, ghem, gem, ghen, ghien, ain, etc.), sont particulièrement fréquentes dans les Pays-Bas. Ils remplissent la carte de la Belgique depuis les provinces de Limbourg et d'Anvers, où ils prennent fréquemment les formes -um et -om, pullulent littéralement dans le Brabant et dans la Flandre orientale, et à gauche, dans le Hainaut et dans la Flandre française, des essaims assez nourris, pendant que le gros de la troupe se répand avec une abondance extraordinaire le long de la Lys et de l'Aa, jusque dans les environs de Boulogne, pour aller s'arrêter presque subitement au nord de la Canche, avant d'avoir atteint la vallée par laquelle cette rivière se fraye un chemin jusqu'à la mer.

    « Ce n'est pas seulement son extraordinaire diffusion, c'est encore la longue durée de son emploi qui fait du suffixe -heim une des caractéristiques de la toponymie thioise des Pays-Bas. Il y apparaît dès le Ve siècle dans les noms légendaires des trois localités où ont été élaborée la loi salique : Saleheim, Bodoheim, Widoheim ; six siècles après, nous le retrouvons vivant et fécond dans le Boulonnais, à l'extrémité méridionale de la terre franque, où un seigneur du nom de Helbolo laisse son nom au village de Helbodeshem. »6 mais aussi dans Westrehem (62) ou en association, dont voici la liste des possibilités :

    -inghen dans l'arrondissement de Boulogne ;

    -inghem dans celui de Saint-Omer ;

    -inghien et -inghem dans celui de Lille ou Cambrai ;

    -ent (Brexent, Beussent, Norrent-Fontes, Ecocuffent...(62)) ;

    -inghen : possessif, puis patronymique, donc l'homme de quelqu'un, et plus part, son fils ou son descendant. « Tous les gens d'un même chef portaient son nom : les fils, les vassaux, les esclaves, les sujets de Merovech s'appelaient (au pluriel) Merovechingen, ceux de Lothar s'appelaient Lotharingen. Voilà comment sont nés trois groupes de noms distincts : 1° plusieurs noms de peuples : les Thuringen, les Astingen, les Silingen, les Tervingen, les Lotharingen, les Karlingen ; 2° des noms de dynasties : les Merovingen, les Karlingen, les Amalingen, les Agilolfingen, qui pourraient bien avoir été tous, dans l'origine, étendus aux peuple sujets de ces dynasties ; 3° une innombrable quantité de noms de familles qui, fixées sur un point du sol, lui ont laissé leur nom ».7

    -suff. lat. -inium (gaulois -inio) a été traduit en -inghen, puis est redevenu -in, -ain (très courant dans le Tournaisie et le nord de la France) : Crespin, Couvin, Denain, Espain, Châtelet (anc. Chatelin) et Châtelineau (diminutif du précédent)... (ailleurs -ay, -aye : Liège : Amay, Hesbaye, Jehay...). Kurth, pour l'expliquer, pense à une colonisation germanique en masse, à l'époque de la conquête du pays par les Francs.8

    -ignies est courant dans le Hainaut et le nord de la France est du germ. -ingen : Brandignies, Gondregnies, Guignies, Mervergnies, Ottignies, Papignies (Ht), Baudignies, Mecquignies, Mérignies (59)

        • ou du gallo-roman -iniacum (lat. -inius) : Battignies, Goegnies, Gougnies, Harmignies, Montignies-Saint-Christophe, Soignies, Trazegnies... (Ht), Ligny, Montigny, Sassegnies, Wargnies, Aubignies, Selvigny (59)...

           

    Les Saxons auraient été déjà présents lors de l'invasion franque du Ve siècle, donc dès le IIIe siècle (les Romains disaient pour désigner la région Littus Saxonicum « littoral peuplé et colonisé par les Saxons »), et particulièrement lors de la mission du Ménapien Carausius, en 286, de protéger la côte septentrionale de la Gaule, à partir de Boulogne. N'y réussissant pas, Maximien ordonne de la tuer, mais il s'enfuit et s'empara de la Bretagne et force l'empire de signer la paix avec lui. Il était en effet de son intérêt à rester maître du rivage situé en face de lui.

    Les invasions vikings ont donc lieu par les côtes. En témoigne encore la toponymie de la Flandre à la Normandie, où une petite quantité de villages a été fondée par des Saxons, descendus du sud du Danemark (le Holstein ou Holsten en danois). Ils traverseront ensuite la Manche pour coloniser la Britannia (Wessex, Essex, Sussex et Middlesex signifient Saxons de l'Ouest, de l'Est, du Sud et du milieu ; certains voient aussi dans plusieurs noms de villes une origine saxonne, mais on peut plutôt supposer le latin saxum, « roche, rocher, roc », saxa, pluriel de saxum pris pour un féminin), et seront en partie rejoint sur le continent par les Francs saliens aux Ve siècle.

    Ces villages saxons ont la particularité de se voir affubler du suffixe -thun aux environs de Boulogne, le long du littoral ("habitation, ferme-enclos, établissement")9 : Alincthun, Audincthun, Baincthun, Frethun, Landrethun-le-Nord, Landrethun-lez-Ardres, Offrethun, Pelingthun, Verlincthun... On compte aussi Warneton/Wasten (commune sur la frontière franco-belge). Peut-être le premier élément de Dunkerque en Flandre. -ton, -tun dans le Boulonnais est combiné à -ing, donne -incthon, -incthun (-ington en Angleterre) : 42 localités dans le Boulonnais et des doublets des deux côtés de la frontière : Alencthun / Allington (Kent), Colincthun / Collington (Sussex), Todincthun / Toddington (Bedford), Frethun / Freton (Norfolk)... mais aussi en France Audincthun / Audinghen, Baicthun / Bainghen, Florincthun / Floringueselle, Tardincthun / Tardinghen, Warinchtun / Waringueselle... La colonisation saxonne concerne aussi la Normandie (Ronthon, Cottun).

    On pense également que l'élément -bourg dans la toponymie du Nord de la France a été introduit vers le Ve siècle et est d'origine saxonne10 : Bourbourg, Lisbourg, Richebourg (62), Bours (59) ; Espaubourg (60) ; Estaimbourg, Obourg, Ottenbourg (Hainaut), Ottenburg, Middelburg, Oudenburg, Bourg-Léopold/Leopoldsburg.... Idem pour le Bessin normand : Ricquebourg, Richebourg, Cherbourg, Cabourg, Jobourg, Jerbourg, Caillebourg....

    De même pour le suffixe -(h)am/-(h)em ou le préfixe (h)am- (ancien allemand hamma "méandre", ou allemand Heim "hameau" ; le suffixe -hausen est typique des Francs) : Ambleteuse, Drincham Abihen (commune de Lépine), Ham, Audrehem, Gonnehem..., peut-être Ames et Amette, Hames-Boucres..., dans le Nord-Pas-de-Calais ; Ouistreham, Étréham, Sudherham, Hemevez, Huppain, Surrain, Le Ham, Roches de Ham... peut-être Canehan, Grohan, Hambye..., en Normandie. Ham et Oostham, Hamme, Hamont, Berchem, Hemelveerdegem, Appelterre-Eichem, Broechem, Zichem, Pittem... en Flandre. Egalement en Angleterre, avec ces doublons : Nossegem (Brabant flamand) / Nottingham (Nottinghamshire), Loppem (Flandre occidentale) / South et North Lopham (Norfolk), Rotherham, Newham...

    Et aussi le suffixe -wyk (autant germanique que latin, commun à toutes les langues anciennes pour désigner "un village, une colonie", il est spécialement anglo-saxon11, en néerlandais -wijk) : Salperwick (62)(Salperwich, 1096, Salperwic, 1175) = NP germ. Selbericus + lat. vicus ; Austruy, Andruick dans le Pas-de-Calais ; Vicques en Normandie...

    Et encore les noms en -sel(e), -zel(e) (vieux germanique sala "lieu d'habitation", qui donne zaal en néerlandais et en français salle, salon) qui serait cependant d'origine franque uniquement, et des Francs-saliens particulièrement pour Godefroid Kurth), très nombreux en Belgique et dans le nord de la France : Basseux, Broxcele, Herzeele, Ellezelles, Andresselles, Audreselles, Lincelles, Bruxelles, Oldenzaal, Onkerzele, Strazele...

    -schott : Hautecôte (62), Hondschoote (59), du germ. Hundo + germ. schott «cloison, clôture» ; attr. de oïl côte ; Schoten (province d'Anvers, Scote 868) a pour homonyme Schoten, une ancienne commune des Pays-Bas et remonterait selon Gysseling (Toponymisch woordenboek van Belgie, Nederlands, Luxemburg, Noord Frankrijk en West Duitsland (voor 1226), Tongres 1960), au germanique skauti, « hauteur », terme également représenté au Luxembourg Schoos, en Normandie : Écots (Calvados, Escotum XIe siècle) ou Écos (Eure, Scoht ; Scoz 1060), etc.

    -hausen (-huizen) est par contre beaucoup plus rare qu'en Hesse ou en Oberlahngau.

     

    Voici d'autres éléments d'origine germanique :

    -lar ou -laer le plus anciens : Huclier (62), Hucqueliers (62), Lillers (62)...

    -steen (pierre) : Estaimbourg (Ht), Estaimpuits (Ht) ;

    -hove : Westhove, com. Blandecques, Westrehove, com. Surques, Zuthove, com. Quelmes,

    -kerk (particulièrement le long de la côte en Flandre, montrant son caractère récent) : Mavenquerques (62), Saint-Marie-Kerque (62), Steenkerque (Ht), Oisquercq (Br)...

    -beek (-bach en allemand, mais Godefroid Kurth précise qu'il est fort probable que le mot beek fut emprunté par le gallo-romain, en témoigne plusieurs Le Becque, comme nom de ruisseaux de l'arrondissement de Saint-Omer, le mot est aussi cité par Hécart (vol.I, p.416-17))(forme latine : -baccus parfois -bacia, -bisia, et en diminutif -baciolus)12 :

    -baix, -bais (Belgique et Picardie) : Corbais (02), Lambais (02), Fleurbais (62), Roubaix (59), Lobbes (Ht), Rebaix (Ht)...

    -bise (de -bisia)(Hainaut) : Jurbise, Lombise, Straubise, Tubise,

    -biseul (de -baciolus)(Belgique) : Corbiseul (Ht), Lombisoeul (Ht), Robiseul (Ht)...

    -becq (Nord et Pas-de-Calais, frontière linguistique) : Aubecq (Ht), Bambecques (62), Le Becque (62), Belbet (62), Bousbecque (59),

    -born (-brunn) (source) :

    -bourne (nord du 62, d'origine francique) : Courtebourne (62), Floquembourne (62), Lostbarne (62), Timborne (59)...

    -bronne (sud du 62, d'origine alémanique, entrée dans la langue gallo-romane, voir La Bronne, affluent de la Grande-Geete et affluent qui se jette dans la mer près de Dannes (arrondissement de Boulogne) ; le Molin de Bronnes à Arras au XIIe s. ; Le Brogne, commune de Remy ; Brogne, village de la province de Namur, et le Burnot ruisseau qui a donné son nom à la commune) : Caudebronne (62), Thiembronne (62), Hellebronne (62)...

    -brune (sud du 62, d'origine alémanique) : Bellebrune (62), La Brunelle (62), Questebrune (62)...

    -stroom (cours d'eau) : Estrun (59), Etroeux (59), Etroeungt (59), Lestrem (59), Etrun (62), Etrenx (02)...

    -mar, -meer (flaque d'eau, étang) : Grande Meer (62), Marbais (Brabant)

    -water (eau) : Bédouâtre, com. Saint Martin - Boulogne, sur un affl. g. du Wimereux (62), breit « large » + water « eau, cours d'eau »,

    -voorde (wez en roman, passage sur l'eau, les marécages, pont) : Audenfort (62), Etienfort (62), Belle-et-Houllefort (62), Londefort (62)...

    -brique (-brugge, pont) : Le Pont-de-Briques (62), Cobrique (62), Stambruges (Ht)...

    -berg, -bergue, -bercq (mont) : Audembert (62), Autembert (com. de Wierre-Effroy, 62), Berguette (62), Berck-sur-Mer (62), Berck (62), Flobecq (Ht),

    -dal, -delle (vallée) : Dalles (62), Besdalle (62), Dippendale, com. Bouquehault (62), Dohem (62 de dal + heim),

    - le rapport avec le bois est constant :

    - loo, lo, -el, -le, -l (loh, particulièrement franc salien, jamais sur un nom propre de pers. ce qui atteste de son ancienneté d'utilisation) : Averlot (62), Beaulo (62), Hardelot (62), Pont-de-Loup (Ht), Clenleu (62), Watterlos (59), Watrelos (Ht)...

    - holt, hout (holz, en haut allemand -wald) : Avroult (62), Bécourt (62), Bouquehault (62), Ecaut (62), Westhécourt (62), Houthem (Ht)...

    - aski (chêne) : Acq (62), Aix en Issart (62),

    - Esquerdes (62)(Squerdia, 857 ; Suerdes, XIIe s. ; Squerdes, 1166) = pl. de germ. *skarda, qui a donné oïl pic. eskerde « écaille, copeau, piquant de hérisson » (FEW, XVII, 96b), peut-être pour désigner un terrain hérissé de buissons ;

    - gault (wald) : Les Gault (02), Mainvault (Ht), Wault (Ht), Mirvaux (80)...

    - bosch (busch) : Witembus (62), Le Bucq (62), Le Bucquet (62), La Bouquelboisque (62)...

    - wide, wede : Colwide (deux dans le 62),

    - waber (forêt) : Wavre (Brabant, Luxembourg), Wabern (près de Kassel), Wabern (en Suisse, près de Berne), Wawern (près de Trèves), Wavrans (Pas-de-Calais), Wavrechin (Nord), Wavrin (Nord), Wavreille (Namur), Wavremont (Namur et Liège)...

    - rode, rade, riete, reute, reuth, -ert (sart) : Le Roeulx (Ht), Broqueroie (Ht), Familleureux (Ht)...

    - champs :

    -veld, -vert, -fault, -vaut, -faut : Pittefaux (62), Wingrefaut (62), Saint-Inglevert (62), Le Quervet (62)...

    -land : Garbeland (62), Hardiland (62), Hodelant (62),

    -acker (germ. d'origine latine ager) : Lacres (62), Denacre (62), Landracre (62), Le Renard (Outreau, 62)...

    - Wastine (terrain inculte) donne Wattignies ;

    -straet (rue) : Hollestraet (Lecques et Ecques), Nordstraet (Eperlecques).

    - Franc : terre du Franc, des Francs (ou peut-être terre libre, ou localité ayant reçu des franchises, ou terre de Franco) : Francquier (Wannebecq, Ht), Franque Pierre (Outreau, 62), Franquesart (Wimille, 62), Franqueville (Honnecourt, 59), Frankeselle (Everbecq, Ht),

    - Saxons : terre du Saxon, des Saxons, (ou peut-être terre de Sassia, de Sasso, de Sassonia, de Sassius, ou de Sassonius) : Sassegnies (59, Jacques de Guyse raconte au XIVe s. la légende qui attribue la fondation de l'endroit à un chef saxon) (d'autres exemples en Belgique).

     

     

    Il y a donc eu recul, mais, depuis le Moyen-Age, cette frontière entre les aires romanes et germaniques, a très peu bougée. On note que le picard gagne Everbecq (au XIIIe s., Wisselingveld est traduit par Ghinselincamp, Hoogbosch devient Haut Bos, Plankkauter devient Couture de le Planke...), Bois-de-Lessines (peuplé par des Lessinois au XIe s. qui provoque la minorisation de la population flamande d'origine), Goy (même cas que la précédente), une partie de Petit-Enghien et Hoves (au XVIIIe s.), Reckem (aujourd'hui en Flandre-Occidendale, faisant partie de Menin où 44% de la population est francophone), Zandvoorde (aujourd'hui en Flandre-Occidendale également), Comines-Belgique, Houthem, Warneton, Ploegsteert (en Belgique, au XIXe siècle était encore flamand).

    Le flamand avait gagné du terrain à Mouscron au XVIIIe s.

    Le picard gagne, par contre, de grande étendue dans le Nord et le Pas-de-Calais. Au XIIIe siècle, entre Boulogne et Guines (canton de Marquise jusqu'à la frontière flamande actuelle), la région était encore majoritairement flamande (sauf à Boulogne cependant qui resta toujours latine, les Comtes de Guines au XIe siècle avait appris le français). Coyecques l'était également au XIVe siècle, alors que Herbelle ne l'est plus depuis le XIIe au moins. Saint-Omer (de langue germanique) était la frontière à l'est. Au nord d'une ligne droite de Boulogne à Saint-Omer, le pays était flamand. La ville de Calais, très anciennement était aussi flamande. Au XIIIe siècle, le canton d'Hazebrouck commence à se romaniser.

    Dans l'arrondissement de Lille, Halluin, Bousbecque, Comines-France était encore flamand. Le comté de Flandre (Ypres, Bruges, Gand) choisit le moyen-français comme langue administrative.

    « La rive droite de la Lys, avec toute la Flandre française au nord de Lille, et française dès l'époque où commencent à apparaître les noms des lieux-dits et les localités flamandes sont une exception rare dans cette région. Quant à Lille même, on peut affirmer sa romanité originelle ; le nom de Ryssel, sous lequel les Flamands la désignent, n'a de sens qu'en français, puisque Ryssel, abrégé de Ter Yssel, n'est que la traduction germanique de l'Isle. Aussi, un écrivain du XIIIe siècle pouvait-il dire, en racontant son arrivée à Lille au retour d'un voyage en Flandre :

    Nos ubi barbaricae post verba incognita linguae

    Sub quâ longa diu fueramus taedia passi

    Demum nativae cognovimus organa vocis.

    (Guillelmus Brito, Philippid, 1, IX, 581, édition de la Société de l'histoire de France) »13

    « A partir d'Aire-sur-la-Lys et tout le long de la rive droite de cette rivière jusqu'à sa source, à Lisbourg, et de là jusque dans les environs de Montreuil, les noms germaniques, sans être aussi nombreux que de ce côté de la ligne idéale de Saint-Omer à Boulogne, se rencontrent cependant en fort grande quantité, mêlés à des noms romans qui sont les uns plus anciens et les autres plus modernes. On peut, dans tous les cas, considérer comme pays germanique tout ce qui se trouve entre la Lys et la mer jusqu'à la Canche. »14

    Godefroid Kurth signale en 1895 qu'il y avait encore des flamandophones dans quelques villages du Pas-de-Calais (Clairmarais, Ruminghem, hameaux de Haut-Pont et de Lysel à Saint-Omer). Dans le Nord, comme flamandes, il cite le communes de Bailleul, Vieux-Berquin, Morbecque, Steenbecque, Sercus, Lynde, Eblinghem, Bavinchove, Zuydpeene, Noordpeene, Lederzeele, Wulverdinghe, Millame, Cappellebrouck, Looberghe, Brouckerque, Spycker, Petite-Synthe. En gros, la frontière entre le roman et le thiois va en ligne presque droite d'Arlon à Visé, et de Visé à Dunkerque.

    A Dunkerque, grand port, on ne parle plus flamand depuis longtemps ; cependant la région a développé son propre sociolecte, puisqu'on n'y parle pas picard non plus, mais plutôt ce qu'on peut appeler déjà un français régional, ayant subi l'influence à la fois des substrats picard et flamand.

    Il reste cependant étonnant qu'il y ait encore des noms d'origine picarde ou même flamand, car beaucoup ont été traduites en français : Valenchiennes devient Valenciennes, Ellezielle devient Ellezelle, Groote et Kleine Sinte sont devenus Grande et Petite-Synthe, Guienes est devenu Guînes (Giezene en flamand), Armentière est devenu Armantières (maintenant Armentières)...

    Hirson en Thiérache, du latin ericius, qui signifie « hérisson », en picard hirchon, a la forme Iricio, en 1136 dans le cartulaire de l'abbaye de Clairfontaine ou Terra Yricionis en 1187 dans le cartulaire de l'abbaye de Bucilly, puis Irezun (1183), Yrizun (1189) et Ericon (1234), on passe naturellement à Hirechon, Yrechun vers 1250. On retrouve Hyrecon, Ireson, Heircon, Heirson et Herson vers 1300-1400 sans interruption, sauf un Hyrechon dans le cartulaire de la seignerie de Guise de 1335. Signalons les compromis de Yrecon-en-Thiérasche, dans le même cartulaire en 1323 et de même un Yrechon en Therasche en 1379. A partir de 1400 on ne trouvera plus que le son -ss- francisé, alors que le nom de la Thiérache restera avec le -ié- du picard...

    Le nom de la ville de Chelles (en Seine-et-Marne, région Île-de-France), du bas latin cala, « abri sous roche, maison », issu du gaulois, lui même d'origine pré-indo-européenne *kal (cf. chalet). Au VIe siècle, mentionnée en tant que Villa Cala. En 580 Grégoire de Tours, historien, aurait utilisé le nom de Cala (désignant le mont Châlats) pour désigner le futur Chelles. Vers 632 Kalense, puis deux siècles plus tard, Calense et Calensis. Vers 811 Kala, puis, quarante ans plus tard, Cale. Kalas en 1026, Chela et Cale, au siècle suivant. Cela et enfin Chiele en 1346. Ce n'est qu'à partir de 1388 que le nom actuel de la ville apparaît progressivement : Chielle, puis Chelles Sainte Bautour, en 1550, Chelles Sainte Bathilde en 1672 et Echelle Sainte Bandour en 1788.

    Citons encore Carnetin (apparaît dans une charte d'Adèle reine de France en 1178 sous la forme Apud Carnotinum), Monceaux (dans l'Oise, a connu les variantes : Monceaulx, Monciaux, Montceaux, Monchaux, Mauciens en 1295 du latin Moncelloe), Cauffry (Oise, appelée Cauferei en 1104, Chauferi en 1218, Caufri en 1220 et Caufratum en 1250)... Que d'hésitations et d'hadaptations...

     

    Le patois picard est parlé sous différentes formes du Nord au Sud de la zone picarde. L' Observatoire linguistique dénombre treize variantes du picard :

      • laonnais (Aisne nord est)

      • vermandois (Aisne nord ouest)

      • noyonnais (Oise nord est)

      • amiénois (Somme et Oise nord)

      • vimeu (Somme ouest)

      • marquenterre (Somme nord et Pas de Calais sud ouest)

      • boulonnais-paysan (Pas de Calais ouest)

      • boulonnais-marin (Pas de Calais ouest)

      • calaisien (Pas de Calais nord ouest)

      • ternois (Pas de Calais centre)

      • arrageois (Pas de Calais sud)

      • ch-ti-mi (Nord et Flandre ouest)

      • hennuyer (Hainaut et Nord)

    Cependant la langue picarde est assez homogène et la variation phonétique est régulière, l'intercompréhension est donc généralement possible du nord au sud de l'aire de diffusion de la langue.

     

    1Marche-lez-Écaussinnes est maintenant dans l'aire wallonne, mais faisait partie du domaine picard au début du XXe siècle encore (Walther Wartburg, Hans-Erich Keller, Robert Geuljans, Bibliographie des dictionnaires patois galloromans : 1550-1967, p.27, note 10). Cependant le flamand perd aussi en faveur du français : « Louis XIV, par ordonnances de juin 1663 et de décembre 1684, rendit obligatoire l'emploi du français pour les actes publics et les procédures. L'édit du mois de décembre 1683, enregistré le 4 janvier 1684, au parlement de Flandre veut "que dorénavant il ne puisse plus être plaidé dans la ville d'Ypres et dans toutes les autres villes et châtellenies de la Flandre occidentale qu'en langue française ; défendons pour cette fin", ajoute-t-il, "à tous avocats et procureux de se plus servir de la langue flamande, soit pour les plaidoyers, soit pour les écritures, ou autres procédures ; et aux magistrats des dites villes et châtellenies de le souffrir, ni de prononcer leurs jugements qu'en langue française à peine de nullité et de désobéissance. » (L. de Simple, Envahissement de la langue française en Flandre (Ploegsteert, Warneton, Bas-Warneton, Comines et Houthem), p.43-44).

    2 Dans le dialecte de Westvleteren : Sinte-Moartens oavend, / de torre goa mei noa Gent, / En o' mien moedre koekschjes bakk'n. (Le soir de la Saint-Martin / Les étoiles vont à Gand / Pendant que notre mère cuit des gâteaux).

    3 Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume II, Livre Troisième, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.52-53.

    4 Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume II, Livre Troisième, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.54

    5 Cf. Henriette Walter, Le français dans tous les sens, Le Livre de Poche, p.140

    6 Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume I, Livre Troisième, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.256-57. -heim est de formation secondaire, "de celle qui commence avec les invasions et qui se prolonge au delà de Charlemagne" (Kurth, vol.I, p.529) et d'origine francique (les Alamans ne l'utilise que rarement, par contre -ingen (seul, sans -heim, -ing en Bavière et -ikon en Suisse, -ange en France et Luxembourg (Tihange se dit Tîhondje en wallon et Dudelange Diddeleng en luxembourgeois et Düdelingen en allemand ; Aubange, luxembourgeois : Éibeng/Ibéng, wallon : Åbindje, allemand : Ibingen ; )), -weiler (-willer en Alsace, -wyl ou -weil en Suissen, -villers en Moselle et Alsace), -beuren sont typiquement alamans et donc très rares dans l'aire picarde. Le Luxembourg présente les suffixes francs et alamans, c'est donc la zone tampon entre les deux peuples. -scheid est franc ripuaire, donc également rare (les Francs ripuaires sont à l'origine de l'avancée germanique à l'est de la ligne nord-sud depuis la rive droite de la Meuse jusqu'à l'extrémité méridionale du Luxembourg).

    7 Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume I, Livre Troisième, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.301.

    8 Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume I, Livre Troisième, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.322.

    9 Du germ. *tunaz, *tunan qui donne en allemand Zaun "clôture", en anglais town à l'origine "ville fortifiée" et en néerlandais tuin "jardin" ; en Ecosse, une ferme isolée s'appelle toujours toun, en Islande tun. En flamand de France (Bailleul), tün aurait encore le sens de "barrière d'enclos" (toe veut dire "fermé, clos").

    10 Voir les noms anglais sous la forme -bury, -borough, -brough, -burgh : Cadborough, Cadbury (cf. Le doublon Cabourg en Normandie), Dewsbury, Bury, Middlesbrough, Edinburgh, Bamburgh, Peterborough...

    11 Sous la forme -wich/-wicken en Angleterre : Greenwich, Norwich, Ipswich, Nantwich, Alnwick...

    12 D'autres mot d'origine germanique sont entrés dans la langue romance pour en disparaître par la suite : beek (ruisseau), bronne (source), warichet (canal d'irrigation, en flamand waterschap, en wallon werixhas, aisances communales) ; falise (rocher, cf. notamment Haute falise à Rinxent et Audrighem, 62 ; falaise vient en français du norrois par le normand), breux (de broek, bruch, cf. Dolembreux, Mangonbroux, Breucq en Hainait et d'autres, dans le Registre de l'église Sainte-Croix, du XIVe siècle, on lit "De Nedrehem usque ad locum qui dicitur Bruke teuthonice et gallice, latine ad paludes."), rode (sart, cf. le verbe déroder), leut (peuple), forrière, fourrière (de fodraria, foriara, du germ. voder, Futter, "fourrage")...

    13 Nous, chez les Barbares, après entendre une langue inconnue / sous laquelle, pendant longtemps, nous fumes las de la rudesse de la langue / nous entendions enfin les voix de ma langue natale. (Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume II, Livre Troisième, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.231-32.)

    14 Godefroid Kurth, La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France, Volume II, Livre Troisième, in Mémoires couronés, vol. 48, 1895, p.399-400.


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